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Ce numéro de Science et esprit paraît grâce à la précieuse collaboration de ses éditeurs, les Pères Michel Gourgues, o.p., et Maxime Allard, o.p. que nous voudrions remercier chaleureusement de leur dévouement. Il a une petite histoire qu’il nous paraît important de rappeler dans cette Introduction.

Le titre du présent numéro fut celui d’un colloque sur le thème « Religion et métaphysique » qui s’est tenu à l’École d’études religieuses de l’Université McGill en mai 2023 et qui a bénéficié d’une subvention « Connexion » du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, que nous tenons aussi à remercier de son soutien.

Tous les textes que l’on lira ici furent présentés lors de ce colloque qui fut aussi le premier de la Société canadienne de philosophie de la religion (SCPR) / Canadian Society for Philosophy of Religion (CSPR). Cette Société, rêvée depuis longtemps, largement souhaitée, mais qui n’a attendu que 2023 pour voir le jour, a été mise sur pied par Garth Green, Jean Grondin et Sean McGrath. Le thème du colloque faisait écho aux thèmes des colloques d’une société-soeur, aussi nouvellement créée, en 2011, la Société francophone de philosophie de la religion, Religion et liberté[1], Religion et vérité[2] et Religion et ritualité[3]. Se situant dans leur continuité, le thème « Religion et métaphysique » a voulu circonscrire l’horizon à la fois conceptuel et historique dans lequel se développent aujourd’hui les réflexions philosophiques sur la religion.

Ce thème pourrait laisser croire que le colloque, et la SCPR elle-même, avait pour but de répondre aux conceptions « anti-philosophiques » que l’on retrouve dans certaines traditions des études religieuses ou à des conceptions « anti-métaphysiques », ou anti-onto-théo-logiques, dans certains courants philosophiques contemporains. Il pourrait, par ailleurs, faire croire que son intention était de défendre une conception ou une constitution métaphysique de la religion, que ce soit dans une perspective théologique ou historico-philosophique. Notre espoir n’était pas de produire un cadre philosophique rigide pour penser la conjonction « Religion et métaphysique », mais de promouvoir une générosité d’esprit et un élargissement d’horizon qui rendent possible une discussion sereine et féconde sur la religion et la métaphysique. Dans cet espoir, notre intention était de poursuivre l’héritage riche et varié de la philosophie de la religion au Canada – de George Grant, Emil Fackenheim, Leslie Armour à Charles Taylor et bien d’autres – et d’inaugurer une SCPR/CSPR dont la vocation soit oecuménique.

Notre colloque fut l’occasion d’un rassemblement hautement collégial de philosophes canadiens et québécois de la religion qui ont pu discuter avec des philosophes de la religion du monde entier qui travaillent sur des questions analogues et notamment sur les liens entre la religion et la métaphysique. Il présenta aussi une occasion idéale pour honorer la carrière et l’oeuvre d’un grand philosophe de la religion, Ray L. Hart, qui fut professeur et directeur du Département d’études religieuses et de théologie à Boston University, et qui a récemment fait à McGill un don historique qui s’annonce transformateur pour les études religieuses.[4] Lors de notre colloque et dans sa foulée, l’Université McGill a voulu souligner, en sa présence, son héritage immense, qui est celui de ses publications – de Unfinished Man and the Imagination (1968) à God Being Nothing (2016) –, de son engagement au sein de l’American Academy of Religion, dont il fut le directeur exécutif (il fut aussi le directeur du Journal of the American Academy of Religion), et maintenant celui de son legs historique à McGill. Ce legs permettra notamment la création de chaires en philosophie de la religion, en théologie philosophique et sur les liens entre religion et littérature. Comme l’a souligné notre colloque, ces chaires permettront à leur tour aux générations futures de continuer à travailler dans ces domaines, vitaux pour les études religieuses et la philosophie de la religion.

On trouvera dans le présent numéro un choix représentatif des conférences présentées lors de notre colloque inaugural. Jean Grondin souligne d’abord quelques différences de base que l’on peut faire entre la religion et la métaphysique et les raisons, historiques et systématiques, qui ont conduit à la fusion de leurs horizons, issus de Jérusalem et d’Athènes. Matthew Nini et Sean McGrath font ressortir la contribution exemplaire et toujours sous-estimée de Schelling à la philosophie de la religion, le premier en se concentrant sur son Essai sur la liberté humaine, le second sur sa Philosophie de la Révélation. Pierpaolo Ciccarelli s’intéresse, pour sa part, à la tension entre raison et Révélation dans l’interprétation que propose Leo Strauss du Tractatus theologico-politicus de Spinoza, alors que William Sweet présente les réflexions de William Chillingworth sur la foi et la raison dans lesquelles il voit l’une des sources cruciales et méconnues de la philosophie de la religion dans le monde anglo-américain. Tyler Tritten met en relief le lien entre raison et Révélation dans la théologie philosophique de Xavier Tilliette, tandis que Jacob Rogozinski propose, dans la continuité de son livre sur Moïse l’insurgé (Cerf, 2022), discuté dans un numéro récent de Science et esprit (2024, vol. 76/2), une méditation profonde sur la « Métaphysique de l’Exode », selon l’expression célèbre d’Étienne Gilson. Carla Canullo souligne ce que métaphysique et religion se sont donné et peuvent encore se donner l’une à l’autre, dans leur différence spécifique et leur autonomie ; elle propose une constitution collaborative d’une théorie de la temporalité. Enfin, Marie-Anne Lescourret rattache la relation entre la religion et la métaphysique à celle que l’on trouve entre « physique et mystique » chez Robert Musil, qui donne lieu à une « religiosité apologético-ironique », celle de l’Anderer Zustand ou de « l’autre état ».

Sans épuiser son horizon, ces contributions espèrent donner une première idée de l’envergure et du travail accompli au sein de notre Société et de la philosophie de la religion, au Canada comme à l’échelle internationale. Ils constituent un mémorial de notre colloque, de la première rencontre de la Société canadienne de philosophie de la religion et de l’héritage multiple de Ray L. Hart, qui promet d’avoir un impact durable et important à McGill et dans les recherches en philosophie de la religion. Tous ceux et toutes celles qui y ont assisté sont reconnaissants d’avoir pu participer à ce colloque et à la naissance de cette Société, et nous espérons que cette reconnaissance sera aussi celle des personnes qui liront les fruits de nos travaux et qui porteront l’avenir de la philosophie de la religion.