FR :
Avant de se consacrer à l’écriture, Robert Musil (1890-1942) était un scientifique. Ingénieur de formation, il consacra une thèse au physicien autrichien Ernst Mach pour lequel les sciences exactes ne se pratiquaient pas à l’exclusion des sciences « molles », la psychologie et la philosophie. Si bien que, très ironique à l’endroit des convictions et pratiques religieuses qu’il fustige tout au long de ses romans, Musil n’en tient pas moins compte des expériences humaines susceptibles de brouiller en « ratioïde » la conception du rationnel, jamais exempt à ses yeux de probable ou de possible, ou de ce qui, sans se fondre dans la mystique, relève de ce que Musil appelle « l’autre état ». Par ce dernier, s’ouvre l’accès sinon aux « nombres imaginaires » de Törless ou à la « grandeur inconnue » de Broch, du moins à ce que d’autres nomment l’absolu ou le divin, et qui pour Musil, toujours scientifique, ne peut être qu’une « hypothèse inéluctable ». Il en traite dans une théologie laïque, non exclusive toutefois de références à saint Paul. L’accent porté par Musil sur la notion de possible qui dissout la séparation entre le physique et ce qui le dépasse pourrait annoncer ce que Frédéric Nef considère comme la troisième voie de la métaphysique, la métaphysique du possible.
EN :
Before he became a writer, Robert Musil (1890-1942) was a scientist. He first graduated as an engineer. He then completed a doctoral thesis about the Austrian physicist Ernst Mach, for whom physics though belonging to the Naturwissenschaften - so called “exact sciences” relying on a strict observation of matter and facts- did not exclude the Geisteswissenschaften in charge of humanity and spirit. Therefore, though Musil uttered a strong criticism of religion, as a social behaviour and as a dogma, using his typical irony against the immediacy of “revelation,” he couldn’t but reckon that empiricism and rationality were continuously overweighed or challenged by the unexplainable, the irrational, the possible. He hence replaced strict rationality by what he called the “ratioide,” and replaced mysticism by the Anderer Zustand, the other state of mind. This A.Z allows the feeling, the experience of things that are foreign to ordinary life, such as the Absolute or the Divine, which Musil – still a scientist- names the unescapable hypothesis, which he then describes in his “lay theology” nevertheless connected to Saint Paul. Emphasizing the notion of possible in which merge physics and metaphysics, Musil might announce what the French philosopher Frédéric Nef calls the third way of metaphysics.