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Le plus récent ouvrage de Michel Quesnel offre une analyse diachronique des propos et des attitudes de l’apôtre Paul à l’égard de la femme selon trois corpus littéraires : les lettres authentiquement pauliniennes, les pseudépigraphes et la littérature antique à son sujet. Ce livre, qui inaugure une nouvelle collection sur l’apôtre Paul, cherche à distinguer la posture paulinienne à l’égard des femmes de celles qui lui ont été attribuées à tort après sa mort. La sélection des passages littéraires étudiés se fonde sur la présence d’un vocabulaire relié à la féminité et la masculinité, incluant les mentions de noms féminins (p. 9-10).

Première partie : Les lettres authentiques de Paul

En accord avec le consensus des spécialistes, Quesnel reconnaît l’authenticité de sept des treize lettres du corpus paulinien. Comme les textes choisis dépendent de la présence d’un champ lexical relié aux genres, la longueur des analyses varie considérablement d’une épître à l’autre : 1 Th (4 p.), 1 Co (26 p.), 2 Co (3 p.), Ga (8 p.), Rm (10 p.), Phm (1 p.), Ph (1 p.). L’enquête procède dans cet ordre chronologique, de la lettre la plus ancienne à la plus récente. Divers passages en 1 Co sont l’objet des commentaires les plus développés : 1 Co 5,1-5 ; 9,1-6 ; 11,2-16 ; 14,33-36, avec une attention particulière donnée à 1 Co 7 (p. 33-43).

Pour l’essentiel, les lettres authentiques témoignent du rapport similaire que l’apôtre entretient avec le genre féminin et le genre masculin. Dans les Églises auxquelles Paul s’adresse, dont la plupart ont été fondées par lui, certaines femmes possédaient des responsabilités importantes. De ce nombre se trouvent notamment Phoebé, Junia (désignée « apôtre », avec son mari) et Priscille (Prisca). À Corinthe, la controverse sur la tenue vestimentaire ne doit pas cacher « une des leçons majeures » : lors des assemblées, les femmes peuvent prier et prophétiser – et donc prendre la parole dans le culte – au même titre que les hommes (p. 24). Les deux premières épîtres de l’apôtre (1 Th et 1 Co) contiennent des métaphores féminine et masculine pour rendre compte de son activité missionnaire et pastorale. 1 Co 7, le passage néotestamentaire contenant le plus de références à la féminité et à la masculinité, témoigne de l’importance de la réciprocité entre l’homme et la femme dans le couple, un point de vue plutôt neuf quant aux cultures de l’époque. De même, la possibilité, pour la femme, de quitter son mari représente un élément novateur en rapport avec la loi juive. Tout cela manifeste que « [l’]apôtre est, dans ce domaine, nettement plus féministe que la société de son temps, tant juive que gréco-romaine » (p. 42).

Fait curieux : Quesnel consacre moins d’une page à l’épître aux Philippiens, affirmant qu’elle « ne comporte aucun terme ayant un rapport avec la féminité, et [qu’]aucune femme n’y est nommée… » (p. 69). Pourtant, en Ph 4,2, Paul encourage « Évodie et Syntyche à penser de la même manière dans le Seigneur ». Ces deux femmes ont été collègues de Paul préalablement dans l’oeuvre missionnaire (4,3). Paul cherche à les réconcilier par l’entremise d’un médiateur qu’il interpelle de façon anonyme. Bien que la référence à ces deux femmes soit succincte, il semble y avoir des éléments intéressants concernant la question du rapport entre Paul et les femmes[1].

Deuxième partie : Les épîtres des disciples de Paul

L’analyse des lettres deutéro-pauliniennes commence avec la deuxième lettre à Timothée (p. 77-80), puisque celle-ci contient une partie authentiquement paulinienne. Une incise ajoutée par un disciple de Paul, à partir de 2 Tm 2,14, laisse paraître des cicatrices entre le début et la fin de la lettre, deux parties écrites par l’apôtre. L’attitude bienveillante de Paul à l’égard des femmes se distingue de celle de son disciple : Paul souligne le rôle de la mère et la grand-mère de Timothée dans l’acquisition de la foi de ce dernier et il mentionne deux femmes dans les salutations finales (Prisca et Claudia). Au contraire, l’incise contient une représentation négative de certaines femmes, alors que l’auteur accuse certains opposants de séduire des « femmelettes », auxquelles l’auteur adosse plus d’un défaut (2 Tm 3,5b-7).

Les épîtres aux Colossiens et aux Éphésiens réaffirment les codes domestiques en vigueur à l’époque, de sorte que les femmes sont enjointes à se soumettre à leur mari. L’apôtre avait-il recommandé la soumission de l’épouse envers son époux dans ses lettres authentiques ? Dans son analyse de 1 Co 7, Quesnel avait laissé sous-entendre que Paul était progressiste sur cette question en ne corroborant pas cet aspect des cultures gréco-romaine et juive de son époque. Par la suite, Quesnel soutient plusieurs fois qu’une telle injonction paulinienne se trouve en 1 Co 14,34[2]. Cela suscite un peu de confusion concernant la perspective de l’apôtre Paul quant à la soumission de la femme. Pour revenir à la lettre aux Éphésiens, l’auteur cadre néanmoins la soumission de la femme dans l’idéal de la soumission mutuelle, en continuité avec la pensée de l’apôtre (Ph 2,2b-3). Quesnel note les nouveautés diachroniques au passage, comme le sens inédit que possède le mot « Église » en Éphésiens, où le terme désigne alors l’ensemble des croyants et communautés chrétiennes dans le monde.

Si 2 Th ne nous renseigne guère sur le sujet en question, les lettres de 1 Tm et Tt témoignent d’une influence de plus en plus grande de la culture ambiante sur les communautés chrétiennes qui cherchent à s’organiser. 1 Tm en particulier est responsable de la mauvaise réputation parfois associée à l’apôtre Paul dans son rapport aux femmes. Alors que la lettre décrit les qualités à posséder pour aspirer à la charge d’évêque et de diacres, les femmes ne sont appelées à aucune responsabilité ecclésiale. Elles jouent un rôle passif, dans la soumission à leur mari. Des restrictions quant à leur tenue leur sont imposées. Si Paul attribuait la première faute de l’humanité à Adam, en 1 Tm, c’est Ève qui est désignée comme première coupable. Sur cette base, le silence est imposé aux femmes dans l’assemblée de prière communautaire, alors qu’il leur était permis de prier et de prophétiser en 1 Co. L’épître à Tite contient moins d’éléments sur le sujet en question, mais « l’état d’esprit de l’auteur est à peu près le même » que celui de 1 Tm (p. 100).

Troisième partie : Les écrits antiques sur Paul

La dernière partie du livre se penche sur trois types d’écrits antiques où l’apôtre Paul joue un rôle important : le livre des Actes des apôtres (p. 109-118), les Actes apocryphes de Paul (p. 119-124) et trois Pères de l’Église (p. 125-128). Luc dépeint le rapport de Paul aux femmes d’une façon qui converge avec les données recueillies dans les lettres authentiques de l’apôtre : ce dernier avait des collaboratrices dans l’exercice de son oeuvre missionnaire. Le livre recense notamment Lydie, basée à Philippe, et Priscille, qui accompagna l’apôtre avec son mari en plusieurs villes différentes. Sauf dans la présentation initiale du couple en Actes 18, celle-ci est nommée avant son mari deux fois par la suite, ce qui suggère qu’elle avait un rôle prééminent. Au moment où Paul devait quitter Éphèse, il y laissa ce couple en vue de l’enracinement de l’Évangile, avec Priscille comme « la chef de mission » (p. 115).

Les Actes apocryphes de Paul racontent comment une jeune disciple nommée Thècle fut mandatée par l’apôtre pour « aller et enseigner la Parole de Dieu » (p. 123-124). Le célibat et la continence sont présentés comme des éléments centraux de la prédication paulinienne. Bien que l’authenticité de ces événements soit fort douteuse, l’attitude positive de l’apôtre à l’égard de la femme s’inscrit en continuité avec la possibilité qu’avaient les femmes d’être collaboratrices dans la vie missionnaire et l’enseignement. Enfin, du côté des Pères de l’Église (p. 125-128), Quesnel démontre comment des textes de Tertullien de Carthage et Jean Chrysostome ont contribué à ternir davantage l’image de Paul sur cette question. Dans ces passages, la gent féminine est associée à Ève, désignée comme la première responsable de l’entrée du péché dans le monde. Cependant, ce rapprochement entre l’entrée du péché dans le monde et la femme tient davantage de l’auteur de 1 Tm (2,13) que de l’apôtre Paul (cf. 2 Co 11,3) puisque, pour Paul, c’est par l’entremise d’Adam et le mal entre dans le monde (p. 95).

Tout bien considéré, ce petit livre représente une introduction bien ramassée et méticuleuse. Quesnel met en valeur la théologie et la pratique plutôt progressiste de l’apôtre, tout en prenant soin de distinguer les représentations plus tardives qui proviennent d’autres auteurs à son sujet et d’examiner dans quelle proportion il y a convergence et divergence entre leurs propos et les lettres authentiques de Paul.