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Les récentes publications sur Qumrân ont amené J. Magness à réviser la première édition de son ouvrage, en particulier la chronologie du site et l’interprétation des dépôts d’ossements, tout en retenant la position de l’occupation essénienne du site avancée par R. de Vaux, qui n’employait jamais cependant les mots ‘secte/sectaire’ comme le fait l’A.[1] Ces qualifications ne font pas droit à l’histoire. ‘Essénien’ est à mettre au même rang que ‘Pharisien’ et ‘Sadducéen’, et ceux que le terme désigne étaient certainement les plus fidèles observants de la Loi, et non des ‘sectaires/sectarians’.
Les changements apportés au chap. 2 sont les renvois à la fig. 3 Rouleau de la Guerre et au livre de Weston Fields. La fouille de ‛Aïn Feshkha eut lieu en 1958, et l’inspection de la falaise fut effectuée par l’École biblique et archéologique française, le Musée de Palestine et l’American School, et non par cette dernière seule (p. 30).
Présentant les manuscrits découverts, le chap. 3 traite des occupants de Sokokah d’après les données externes et internes. Les diverses informations à disposition demandent d’identifier la Communauté de célibataires aux Esséniens, même si eux-mêmes n’emploient jamais cette désignation, se considérant comme ‘les pieux, Fils de Zadoq’. L’absence dans la bibliographie de Józef T. Milik, Ten Years of Discovery in the Wilderness of Juda (Studies in Biblical Theology, 26), London, SCM Press, 1959 est surprenante, d’autant que Milik a fouillé le site avec de Vaux et qu’il est le meilleur connaisseur des documents, les deux aspects retenus par Magness dans son introduction.
Au chap. 4, l’A. déforme quelque peu les dates de l’occupation essénienne du site proposées par le responsable des fouilles. Pour de Vaux, la période Ia commence sous Simon (sous Jonathan selon Milik), la période Ib quelque part sous Jean Hyrcan (non Jannée) jusqu’à -31, et la période II de -4 à 68 (figs 7-8, inverser droite et gauche pour Ib et II, idem figs 11-12 et 31-32, et fig. 26 échanger les périodes II et III). Le tremblement de terre de -31 n’a pas dû être la cause d’un abandon du site ni la fin de la période Ib (de Vaux), comme le prouve le trésor du L.120, clairement enfoui dans les remblais sous le sol de II, qui atteste une occupation au moins jusqu’en -9/8, mais ne prouve pas une fin d’occupation à cette date. Les remblais accumulés supposent un abandon pendant au moins un hiver, sans pouvoir en dire plus. La même communauté a réoccupé le site quelque temps après et enfoui un trésor clos en -9/8. Avec Mizzi, Magness montre bien que le tremblement de terre n’a pas affecté également l’ensemble du bâti et que les réparations furent diverses d’un point à l’autre, abandonnant les loci trop endommagés (LL.34, 48-49, 89), sans coupure nette entre Ib et II. Ainsi se trouve prouvée l’occupation essénienne continue à l’époque hellénistique jusqu’en 68, en accord avec de Vaux et contrairement à diverses autres propositions. Magness ne reconnaît pas la Période Ia. Les bâtiments sont clairement destinés à une vie communautaire : salles, cuisine, ateliers divers, et les occupants vivaient soit à l’intérieur du site ou dans les grottes environnantes creusées dans la marne. Vu la quantité impressionnante de vaisselle de table et de tombes, le nombre maximum des occupants du site pouvait aller de 150 à 200.
Le chap. 5 traite de céramique et d’architecture, en insistant sur l’étroite relation entre la céramique des grottes et celle du site pour appuyer l’occupation essénienne. L’analyse de l’argile montre leur similitude, comparable à celle de la céramique de Jéricho. La plus grande partie de la poterie a été produite dans les deux fours de Qumrân. Les jarres cylindriques et ovoïdes, très typiques du site, sont à peu près inconnues ailleurs. Elles datent de l’époque hasmonéenne et hérodienne. Ces jarres avec leurs couvercles sont particulièrement adaptées aux règles de pureté des habitants, évitant autant que possible les importations pour motif de pureté. Elles peuvent avoir de multiples usages : stockage de nourriture et dépôts des rouleaux, comme le prouvent les découvertes des grottes 1 (et 11). Même si le site a produit la plus grande partie de la céramique pour les usages domestiques, on ne peut en faire un atelier de poterie pour exportation à l’instar de Magen et Peleg, ces productions étant concentrées à Qumrân. L’A. réfute avec raison les propositions faisant de Qumrân un fort, un manoir (Hirschfeld), un poste militaire puis un atelier de poterie (Magen–Peleg), un fort puis le centre essénien (Cargill, Taylor). Elle relève pertinemment l’absence de mur à l’angle sud-ouest pour une villa, un quadrilatère de 37 m de côté avant l’ajout des LL.77 et 86 au sud – thèse de Hirschfeld, des Donceel, et de Humbert–Chambon, transformée en centre de pèlerinage à l’époque hérodienne, puis un centre essénien. La céramique hasmonéenne avec les dépôts d’ossements appuie l’hypothèse essénienne de de Vaux dès la réoccupation (au 2e s. et non au 1er, p. 116 et passim). Une comparaison de villas de la région montre clairement que Qumrân n’a pas les caractéristiques permettant cette identification.
Le chap. 6 traite de l’espace sacré et de la pureté pour les repas, dont le réfectoire, les dépôts d’ossements et les toilettes. De Vaux a identifié une toilette au L.51 au nord du miqweh et Magness propose d’identifier son siège dans la pierre trouée jetée au L.4 après la destruction en -31 (non ‘la bouche de canal’, Humbert–Chambon, p. 169). Mais elle semble ignorer (p. 120 et bibliographie) que J. Zias a déjà prouvé cette identification par les analyses du sol [Revue de Qumrân, 84 (2004) p. 579-584 ; 86 (2006), p. 479-481 et 631-740], ainsi que la pratique essénienne de se couvrir les pieds derrière la colline à quelque distance au nord-ouest – Humbert–Chambon ont proposé une toilette au L.112, Période II, sans miqweh proche ! L’office et le réfectoire ont été clairement identifiés par de Vaux aux Périodes Ib et II. Magness propose de déplacer le réfectoire au second étage dans la partie orientale avec un accès par l’escalier très loin de l’office et d’un miqweh, au L.35 ; or de Vaux a mis en relation la réfection du sol plâtré du L.77 avec celui du L.86, et le miqweh L.56 à l’entrée toujours utilisé à la Période II, et rien ne prouve un passage et un étage au-dessus des LL.58.77. J’ai déjà proposé de faire du réfectoire à l’étage accessible par l’escalier L.113, celui des ‘novices’ avant leur admission au repas communautaire, non à une autre étape. Les Esséniens considéraient les repas communautaires comme des substituts des sacrifices au Temple souillé, au sacerdoce illégitime et au calendrier luni-solaire. Magness a changé d’avis essayant de prouver que les dépôts d’ossements dispersés dans et autour du site sont des restes de sacrifices (de Vaux avec d’autres y était clairement opposé), avec un autel (sans traces) dans l’espace ouvert au nord-ouest. Qu’en est-il alors des ossements de gazelles identifiés ? Les textes ne vont pas dans ce sens. Le qumrânien pouvait manger de la ‘chair désirée’ selon le rituel d’abattage du gibier (Dt 12,15-25, 11QRT LIII 1-6). Cette réglementation, encore suivie par les Qaraïtes, dispense l’exilé « au Désert de Damas » des lois sacrificielles en terre d’Israël, en suivant les lois des Israélites pendant leur séjour au désert [voir Revue de Qumrân, 103 (2014), p. 403-423].
Le chap. 7 est centré sur les citernes et miqwa’ôt ; ceux-ci sont disposés aux points clés : aux entrées du site, des réfectoires, des ateliers et des toilettes pour assurer la pureté de l’espace sacré et la purification des occupants, observant les règles des prêtres au Temple.
Le chap. 8 recherche une présence de femmes à Qumrân à partir des textes, du cimetière et des artefacts. Les sources (Philon, Josèphe, Pline l’ancien) tout comme la Règle s’accordent sur une communauté de célibataires, CD traite de femmes et d’enfants vivant dans les camps, comme ‘l’autre ordre’ de Josèphe, en 1QM les impurs (femmes et enfants) sont exclus, et 1QSa vise l’ensemble des Esséniens à la fin des jours. Les tombes fouillées dans le cimetière principal avec ses quatre extensions, à distinguer du petit cimetière nord (T.A-B non T.9-10 clairement distinctes pour de Vaux et Milik, contrairement à fig. 46), appuient la seule présence d’hommes ; des femmes et des enfants ne sont présents que dans l’extension sud et le cimetière sud dans des tombes au profil très différent, de même T.4, tombes de bédouins. Les analyses anthropologiques récentes (ossements, dentition, préservation des squelettes, etc.) confirment ces résultats, malgré les doutes de l’A. concernant les conclusions de de Vaux, J. Zias et Y. Nagar. L’étude anthropologique n’appuie en rien les conclusions de Magness, l’absence de femmes pendant l’occupation essénienne (de -151 à 68) confirmant les données textuelles (p. 205-206), de même que l’absence d’objet féminin, sans forcer les données pour une présence minimale. Cette conclusion s’oppose à l’identification d’une villa ou manoir [la copieuse bibliographie ne mentionne pas ma note “Synthèse des observations sur la nécropole de Khirbet Qumrân. Tombes d’Esséniens et tombes de bédouins”, Revue de Qumrân, 99 (2012), p. 335-368].
Le chap. 9 traite des monnaies et du trésor L.120 ; la taxe du demi-sicle payé par chaque adulte au Temple ne devrait pas être invoquée pour un essénien, coupé du Temple. Admis dans la communauté, l’essénien remet ses biens qui sont enregistrés (e.g. l’ostracon de la vente d’une propriété à Jéricho, et ma note in Flores Florentino[2]). L’habit de lin blanc exigé pour les repas rappelle celui des prêtres officiant au Temple. Toutefois on ne peut forcer la réaction anti-hellénisante jusque dans le vocabulaire, puisque le Rouleau de cuivre (Grotte 3) en contient un certain nombre, mais l’A. n’en parle pas ! Elle ne mentionne pas non plus l’importante note de B. Callegher sur les monnaies [Studies on the Texts of the Desert of Judah 118 (2016), p. 221-237].
Le chap. 10 s’intéresse à ‛Aïn Feshkha et ‛Aïn el-Ghuweir. Alors que de Vaux ne trouvait aucune preuve pour faire d’‛Aïn el-Ghuweir un établissement essénien éloigné au sud et sans relation directe, en revanche il était convaincu d’un rapport étroit entre Qumrân et ‛Aïn Feshkha : occupations à peu près contemporaines, détruites en 68, bâtiment central de même orientation, le mur reliant les deux sites ; ‛Aïn Feshkha étant un quartier artisanal et agricole, l’absence de miqweh n’importe pas, les bassins suppléent largement. L’absence de jarre cylindrique n’est pas une objection dans ce cas, et le cimetière devait être le cimetière nord de Qumrân d’accès aisé et à l’écart. Si une tannerie et une pisciculture ne sont pas vraisemblables dans ces installations, une fabrique d’indigo est probable, malgré les objections de Magness à la suite de Broshi–Heshel. Des tissus de lin de Qumrân témoignent de cet emploi.
Magness fait de Qumrân un site essénien, en rapport avec les grottes environnantes et elle n’accepte pas avec raison la fin de Ib en -31. Mais elle fait commencer l’occupation au 1er siècle, ne retenant pas la période Ia de de Vaux qui fait commencer l’occupation “in the second half of the second century B.C.”[3] La nouvelle interprétation des ossements comme restes sacrificiels est certainement forcée et erronée, outrepassant largement les données archéologiques et textuelles. Cette révision a certes enrichi le contenu du livre mais Magness fait feu de tout bois pour y trouver à tout prix une présence féminine, même réduite. Le point de vue féministe n’est pas exempt d’a priori pour nombre d’interprétations. Elle a essayé de lire les données archéologiques avec les textes, mais elle a fait des choix. 4QMMT, 4Q523, 4Q175 et 4Q379, 4Q245, 4Q448 entre autres s’accordent pour situer la séparation du grand-prêtre (le Maître de Justice) avec son groupe et le départ au désert (Qumrân), lors de la nomination de Jonathan Maccabée (le Prêtre Impie) grand-prêtre en -152/151, confirmant les étapes rédactionnelles de la Règle, de CD et d’autres manuscrits. Magness donne sa lecture quelque peu biaisée. Milik qui fouilla avec de Vaux a une approche plus réaliste du terrain et de toutes les données, mais il n’est pas cité.
Pour l’occupation essénienne, ajouter maintenant l’étude du disque-cadran au L.45 associé aux quatre clepsydres que j’ai identifiées pour la première fois. Cet ensemble avec 4QHénoch montre la préoccupation des habitants pour les calculs du temps, fêtes, etc., selon les prescriptions bibliques et le calendrier solaire avec la mise à jour de la dérive[4]. Ces objets n’ont visiblement pas d’utilité dans un fort, une villa, un manoir, une fabrique de poteries, un lieu de pèlerinage, etc. Encore une fois, l’archéologie et les textes du site donnent une réponse plus précise et confirment l’identification des occupants avec la Communauté essénienne de célibataires autour du Maître de Justice.
Cette révision permet de reconsidérer un ensemble de données, mais elle est loin d’avoir épuisé le sujet, et le lecteur est invité à vérifier sans cesse et à compléter les informations pour prendre position.
Parties annexes
Notes
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[1]
On est surpris de lire que l’interprétation du site par de Vaux a été influencée par son éducation et son état de religieux dominicain (p. 16) – alors qu’il n’a jamais employé les mots ‘monastère/moines’ – et d’apprendre qu’Alain Chambon était belge (p. 3). L’A. n’a pas entièrement révisé son texte ; voir ma recension dans Bulletin of the Anglo-Israel Archaeological Society, 22 (2004), p. 60-67.
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[2]
Anthony Hilhorst, Émile Puech, Eibert Tigchelaar (eds.), Flores Florentino : Dead Sea Scrolls and Other Early Jewish Studies in Honour of Florentino Garcia Martínez (JournStudJudaismSupp, 122), Leiden-Boston MA, 2007, p. 1-29.
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[3]
Roland de Vaux, Archaeology and the Dead Sea Scrolls2, London, Oxford University Press, 1973, p. 48, 86, passim, et p. 116-117, « The first installation, Period Ia, is certainly earlier than Alexander Jannaeus (103-76 B.C. It seems, therefore, that archaeology rules out any attempt to identify the Wicked Priest with Alexander Jannaeus or his successor Hyrcanus II (…). Period Ia may possibly have begun under John Hyrcanus, 134-104 B.C., or one of his immediate predecessors, his father Simon, 143-134 B.C., or his uncle Jonathan, the high priest from 152 to 143 B.C. (…) There remain Simon and Jonathan. (…) The findings of archaeology suggest that Period Ia was of brief duration, (…) and favours the candidacy of Simon rather than Jonathan. But it cannot supply any positive arguments to support this solution, and its findings on the question are not decisive. »
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[4]
Voir Paul Tavardon, « Un complexe scientifique à Qumrân. Le disque de pierre, les clepsydres et les mišmarot », in Jean-Sébastien Rey et M. Staszak (eds), Hokhmat Sopher. Mélanges offerts au professeur Émile Puech en l’honneur de son quatre-vingtième anniversaire (Études Bibliques, nouv. série 88), Leuven-Paris-Bristol, CT, Peeters, 2021, p. 293-334.