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Le véganisme est une « philosophie » qui prône le rejet de l’utilisation et de l’exploitation des animaux, que ce soit pour l’alimentation, les vêtements ou les loisirs. Bien que le véganisme soit souvent considéré comme une pratique contemporaine, certaines de ses racines peuvent être retracées dans l’histoire. C’est une généalogie du véganisme que présente Que veulent les véganes ? La cause animale, de Platon au mouvement antispéciste, un essai philosophique co-écrit par Alexia Renard et Virginie Simoneau-Gilbert et publié en 2021 par les Éditions Fides. Virginie Simoneau-Gilbert et Alexia Renard sont deux chercheuses qui se consacrent à l’étude de l’éthique animale et de la défense des droits des animaux. Virginie Simoneau-Gilbert, boursière Rhodes et doctorante en philosophie à l’Université d’Oxford, a choisi de se concentrer sur la question des comportements moraux chez les animaux non humains, une problématique éthique de plus en plus discutée. Elle est également passionnée par l’histoire de la cause animale et a signé en 2019 un livre sur l’histoire de la SPCA de Montréal, une organisation vouée à la protection des animaux. Alexia Renard, doctorante en science politique à l’Université de Montréal, se spécialise quant à elle dans la sociologie des mouvements sociaux et en politique comparée. Elle se consacre à l’étude des jeunes antispécistes et véganes au Québec, un groupe de plus en plus influent dans la société actuelle.
L’essai explore la cause animale dans une perspective philosophique, historique et sociologique. Il montre que cette question n’est pas nouvelle et remonte à l’Antiquité, où des penseurs se demandaient déjà si la consommation de viande était justifiable. Le livre s’intéresse également aux mouvements contemporains tels que le véganisme et l’antispécisme, mouvement qui propose une réflexion sur la place des animaux dans notre société et les enjeux écologiques et politiques liés à leur traitement. La réflexion explore les différents arguments philosophiques pour ou contre la consommation de viande et examine les implications sociales et politiques de la lutte pour les droits des animaux. Elle aborde également des sujets tels que l’exploitation animale dans l’industrie agroalimentaire et la question de la souffrance animale.
La première partie de l’essai traite de l’histoire des idées philosophiques sur les animaux en Occident, de l’Antiquité au 20e siècle, en se penchant sur la position des penseurs grecs et romains, l’Église catholique, René Descartes, les Lumières et la pensée utilitariste. La deuxième partie examine l’histoire politique des droits des animaux, en se concentrant sur la Révolution industrielle, le 19e siècle et l’émergence des sociétés de protection des animaux, les femmes en tant que pionnières de la cause animale et l’émergence d’un discours sur les droits des animaux au 20e siècle. La troisième partie se penche sur la sociologie de la cause animale, en étudiant les militants végans et antispécistes et leur lutte pour les animaux, les conséquences environnementales de l’exploitation animale, la question de l’éthique animale, avec l’examen de différentes théories, notamment l’utilitarisme de Peter Singer, la théorie des droits des animaux de Tom Regan et l’éthique du care et l’écoféminisme. L’ouvrage offre un bon aperçu de l’histoire et du développement de l’éthique animale, de la Grèce antique au mouvement moderne de défense des droits des animaux. Son approche est à la fois historique et philosophique : c’est une exploration des idées et des arguments de divers penseurs à travers l’histoire et leurs implications pour l’éthique animale contemporaine.
L’originalité de l’essai consiste en sa tentative d’inscrire l’idéologie végane dans l’histoire en cherchant des racines pour donner à cette pratique l’autorité d’une ancienne tradition : « les considérations relatives au traitement que nous infligeons aux animaux sont vieilles de presque 2500 ans et ne cessent de gagner en importance. Les animalistes sont là pour rester. » (p.161) L’appel à la tradition permet de contextualiser le véganisme dans un héritage culturel et spirituel plus large, en montrant qu’il peut être vu comme faisant partie d’un mouvement plus large de non-violence envers les êtres vivants, qui s’étend sur des milliers d’années et dans des cultures diverses. Les véganes peuvent renforcer leur pratique en la reliant à des traditions antérieures, en montrant qu’elle s’inscrit dans une longue histoire de rejet de la violence envers les êtres vivants. Cependant, il convient de noter que l’approche adoptée ici peut être contestée par certains, qui peuvent considérer que le véganisme est plutôt une réponse contemporaine à des problèmes spécifiques de l’industrie agroalimentaire et de l’exploitation animale, plutôt qu’une tradition ancienne à laquelle il est possible de se référer. Néanmoins, cette tentative de situer le véganisme dans l’histoire peut fournir un contexte et une perspective intéressants sur cette pratique éthique, qui continue d’évoluer et de se développer dans notre société actuelle.
Une des faiblesses de l’essai est sa forte dépendance à l’égard des sources occidentales. Bien qu’il mentionne brièvement certaines traditions philosophiques non occidentales, telles que le jaïnisme et le bouddhisme, la majeure partie du livre est centrée sur les oeuvres des philosophes occidentaux. Cela peut limiter son utilité pour les lecteurs intéressés par les perspectives non occidentales de l’éthique animale. Il aurait été pertinent de développer des exemples de végétarisme dans les cultures non occidentales anciennes. Le principe de l’ahimsa, ou non-violence, était enseigné par Parshavanatha dans le jaïnisme en Inde, où la croyance en l’âme de chaque être vivant est centrale et interdit de tuer ou de manger ces êtres. Le bouddhisme mahayana préconise également le refus de nuire, tuer ou manger des animaux, basé sur le principe de compassion envers tous les êtres vivants. Le poète arabe Abu al-›Ala’ al-Ma’arri prônait un mode de vie ascétique et est devenu végétarien à l’âge de trente ans. Il considérait que la consommation de viande et de produits animaux était un abus de pouvoir et un crime contre les animaux, incitant ainsi les lecteurs de l’un de ses poèmes à abandonner cette pratique. Ces exemples illustrent que le végétarisme n’est pas une pratique nouvelle ni limitée à une culture particulière, mais plutôt une pratique adoptée à travers le temps et l’espace pour des raisons éthiques, religieuses ou philosophiques.
De plus, la filiation entre la considération de l’animal des philosophes de l’Antiquité grecque et la défense de l’animal des militants antispécistes contemporains doit être nuancée. Les motifs métaphysiques des philosophes grecs, basés sur la croyance en la transmigration des âmes, sont différents des motifs éthiques des antispécistes contemporains. En effet, la croyance en la transmigration d’une âme humaine dans un corps d’animal humanisait l’animal aux yeux de ces philosophes, mais fondamentalement, le mépris de l’animal demeurait. Platon considérait l’animal comme inférieur à l’humain, jugeant l’âme humaine supérieure à l’âme animale. En outre, la philosophie platonicienne, qui prône l’ascétisme et la domination de l’esprit sur le corps, peut logiquement mener à une déconnexion de la nature, y compris de l’animal et du végétal. Il est donc important de ne pas confondre la considération de l’animal des philosophes de l’Antiquité grecque avec l’antispécisme contemporain, qui se fonde sur des principes éthiques égalitaristes et qui vise à remettre en question la hiérarchie entre les espèces et à réduire la souffrance animale.
Enfin, l’ouvrage ne souligne pas suffisamment que le véganisme ne va pas sans controverse, certains affirmant que ces régimes ne sont pas suffisamment équilibrés sur le plan nutritionnel ou qu’ils sont trop coûteux. D’autres soutiennent que la consommation de viande et de produits d’origine animale est nécessaire pour maintenir une bonne santé, ou qu’elle fait partie de la tradition culinaire et culturelle de certaines régions.
Dans l’ensemble, Que veulent les véganes ? : La cause animale, de Platon au mouvement antispéciste est un examen approfondi et stimulant de l’histoire et du développement de l’éthique animale. Il constitue une ressource précieuse pour toute personne intéressée par le sujet et offre un aperçu important des considérations éthiques entourant notre traitement des animaux. Contrairement à d’autres ouvrages dans ce domaine, le livre soutient que le véganisme et le mouvement antispéciste ne concernent pas seulement le bien-être des animaux, mais aussi la remise en question des structures sociales et politiques qui perpétuent l’exploitation animale. Il défend avec force l’interconnexion des mouvements de libération humaine et animale et soutient qu’une société juste doit accorder une considération morale à tous les êtres sensibles.