Résumés
Résumé
La théologie de Thomas d’Aquin, sur les passions humaines du Christ, reflète une forte influence de celle des Pères et surtout d’Augustin. Thomas d’Aquin indique trois principales causes du trouble et de la tristesse du Christ. La première est humaine. Elle est l’expression de l’Incarnation du Fils de Dieu. En ce sens, pleurer manifeste sa sensibilité corporaliter. La deuxième cause est d’ordre éthique. Elle traduit la compassion, l’amour et la miséricorde du Christ. Elle enseigne aussi la norme et la mesure émotionnelles en réaction contre l’insensibilité et l’indifférence des stoïciens face aux passions. Quant à la troisième cause, Thomas la met en relation avec l’émotion de Jésus, la piété, la discrétion et la puissance de la raison, qui l’amène à utiliser le terme propassio. Au demeurant, Thomas fait du Christ le modèle pour tous les affligés.
Abstract
The theology of Thomas Aquinas on the human passions of Christ is greatly influenced by that of the Fathers of the Church and especially that of Augustine. Thomas Aquinas points to three main causes of Christ’s trouble and sorrow. The first is human: It is the expression of the Incarnation of the Son of God. Weeping reveals Christ’s sensitivity corporaliter, emotions being the expression of human corporeity. The second cause is ethical: it translates compassion, love and mercy of Christ. It also teaches the norm and the emotional measure in reaction against the insensitivity and the indifference of the Stoics in the face of the passions. As for the third cause, Thomas connects it with the emotion of Christ, piety, discretion and the power of reason, using in that occurrence the term propassio. Moreover, Thomas makes Christ the model for all the afflicted.
Corps de l’article
L’une des influences les plus marquantes sur la théologie de Thomas d’Aquin relative aux passions humaines du Christ est assurément celle d’Augustin. Comme l’a relevé Paul Grondreau, on dénombre près d’une quarantaine de citations augustiniennes dans la Summa et dans le De veritate[1]. Ce qui fait d’Augustin la troisième source la plus citée après l’autorité des Écritures et Aristote[2]. À partir de la passion humaine, Thomas élabore une théologie des passions humaines du Christ. Il s’appuie principalement sur La Cité de Dieu, particulièrement sur les livres IX et XIV, où il puise l’essentiel de ses emprunts[3].
L’ingéniosité de Thomas d’Aquin, en rapport avec le passage de Jn 11,35, se vérifie à travers la lecture synthétique qu’il sait faire de l’Écriture et de la tradition patristique, en y joignant son propre apport. Son commentaire sur les pleurs de Jésus en Jean 11 reprend en effet l’exposition de plusieurs Pères grecs et latins. Ceci se voit, particulièrement, dans son Exposition suivie des quatre Évangiles[4], sorte de compendium des enseignements patristiques sur les récits évangéliques. Nous ne nous proposons pas de reprendre ici le condensé qu’il dresse des interprétations patristiques sur le texte à l’étude. Nous allons plutôt suivre son propre commentaire sur l’évangile de Jean à propos des larmes de Jésus s’acheminant vers le tombeau de Lazare[5].
En effet, on relève, chez Thomas, six niveaux de lecture et de sens quant aux larmes de Jésus. Ces six niveaux de lecture constitueront l’ossature de notre réflexion.
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Thomas explique les pleurs de Jésus comme étant une manifestation de sa compassion et de son amour pour les affligés.
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Il les aborde aussi en rapport avec l’Incarnation, c’est-à-dire avec l’humanité du Christ partageant la vie et les faiblesses de la condition humaine.
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Considérant Lazare comme un pécheur mort à cause de ses péchés, il aborde la dimension spirituelle des émotions du Christ.
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De cette dimension, Thomas inaugure la question des émotions en termes de vertu : vertu de piété, de discrétion et de puissance du jugement.
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Dans cette perspective, il établit un rapport entre les émotions de Jésus et la propassion.
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En tout dernier lieu, il aborde les pleurs de Jésus sous l’angle d’un paradigme éthique normatif pour tous les coeurs affligés.
1. Compatir et aimer par les larmes
Selon Thomas d’Aquin, les pleurs de Jésus sont d’abord l’expression de son amour pour Lazare ainsi que pour ses deux soeurs affligées. Une telle explication permet de parler de larmes d’amour ou d’amour en larmes traduisant l’opposition de Jésus à la mort de Lazare. Suivant Thomas, « s’il l’aimait au point d’aller jusqu’à pleurer devant sa mort, il semble qu’il aurait voulu qu’il ne meure pas : car la tristesse provient de choses qui sont arrivées alors que nous ne le voulions pas[6] ». Et quand ces choses arrivent contre notre gré, on ne manque pas d’exprimer la compassion et l’amitié. L’amour que Jésus avait en son coeur est manifesté par ses larmes et par les paroles qu’il prononça avant de les verser (Jn 11,34). Pour Thomas, « il commence [l’évangéliste] par montrer l’amour du Christ, celui qu’il a eu dans le coeur, puis comment il le manifesta par des larmes[7] ». C’est du coeur de Jésus, en effet, que montent ses pleurs. Ceux-ci manifestent son amour et sa compassion.
En ce sens, les larmes de Jésus expriment, au niveau sensible et émotif, l’affection spirituelle qu’il a pour Lazare. Elles sont la manifestation de son intériorité. À travers elles se révèle son coeur car, note Thomas, « l’amour se manifeste au plus haut point dans les tristesses des hommes[8] ». De plus, l’amitié crée une solidarité qui fait qu’un ami n’est jamais indifférent à la souffrance et à l’infortune de son ami. Quand un ami souffre et meurt, l’ami souffre également avec lui, dans une sorte de fraternité, de compassion active. Pour Thomas, la compassion active apporte à l’éprouvé joie et réconfort.
En effet, la compassion même de l’ami qui s’afflige [souffre] avec nous apporte la consolation dans les tristesses, de deux manières. Premièrement, parce qu’on y recueille une preuve efficace d’amitié : “Dans son malheur”, c’est-à-dire dans l’infortune, “l’ami se fait connaître” [Si 12,9]. Il est même doux de constater que l’on a un véritable ami. Deuxièmement, par cela même qu’un ami s’afflige [souffre] avec nous, il semble s’offrir à porter sa part du fardeau de l’adversité qui cause la tristesse. Et un fardeau porté par plusieurs est assurément plus léger que celui qui est porté par un seul[9].
Le Christ, ami de Lazare, ne pouvait être à l’écart ni être indifférent à la bienséance et à l’amitié, tant envers Lazare qu’envers ses deux soeurs. L’évangéliste Jean rapporte que Jésus aimait Lazare et ses deux soeurs (cf. Jn 11,3.5). Un tel amour ne pouvait que le presser à une compassion émotive selon que, si c’est au milieu des biens et de la fortune que l’on connaît ses ennemis, c’est dans la tristesse et le malheur qu’on reconnaît son ami (cf. Si 38,16). Tout en manifestant sa compassion et son amour, les pleurs de Jésus disent son humanité éprouvée dans la condition qu’il a voulu partager. Ils disent sa sensibilité de chair, de Fils de Dieu fait homme pour les humains.
2. Pleurer humainement pour éprouver la condition de la nature humaine
Selon Thomas d’Aquin, l’une des implications concrètes de l’Incarnation est le fait, pour le Christ, d’avoir assumé les passions humaines sans lesquelles il n’aurait pas été un homme complet[10]. Partant de cette assomption, « le Christ, selon la vulnérabilité de son humanité, souffre une certaine fragilité, éprouvant en lui un trouble au sujet de la mort de Lazare. C’est pourquoi l’Évangéliste dit : il frémit en son esprit et se troubla[11] ». La fragilité de la condition humaine rend vulnérable le Christ au point où il se trouble et pleure. La fragilité du Christ traduit son humanité dans le partage de la nôtre. Pour sauver les pécheurs, il convenait de les rejoindre dans ce qu’ils sont, de prendre leur manière, de partager leur condition dans une proximité familière[12].
Pour Thomas, le Christ voulut se troubler et s’attrister en larmes « pour éprouver la condition et la vérité de la nature humaine »[13]. C’est parce qu’il est né dans la condition et la réalité de la nature humaine qu’il peut mieux la sentir et l’éprouver. Il est humain et il souffre humainement, c’est-à-dire comme un vrai homme, en chair et en os, et non pas comme un pur esprit. Or, la condition de la nature humaine, dont il veut éprouver la vérité, souffre et s’attriste en temps d’épreuve et d’infortune.
Comme humains, écrit Thomas, « nous devons nous attrister devant les morts et pleurer d’une manière sensible »[14], c’est-à-dire corporellement (corporaliter). Cela fait partie de notre humanité souffrante et de notre compassion. Le chrétien n’est pas un stoïcien pour être indifférent ou insensible devant l’épreuve ou le mal auquel l’autre fait face. Par conséquent, « il semble tout à fait inhumain que quelqu’un ne s’attriste pas de la mort d’un autre »[15] et, de surcroît, un ami du Christ comme l’était Lazare de Béthanie. Dans ce contexte, on pourrait bien parler de l’humanité du Christ devant la précarité existentielle d’un ami, de l’humanité de l’Incarnation et de la vie du Christ dans la chair.
De fait, la condition humaine, le Christ la partage « pour qu’on ne doute pas de la vérité de son humanité »[16] parmi les humains, mais pour qu’on y croie au même titre qu’à sa divinité. En ce sens, les affections de frémissement, de trouble et les pleurs qui en proviennent sont, en Christ, des attributs de la condition humaine. Jean, en effet, affirme au sujet du Christ un partage d’attributs plus faibles et plus humbles de celle-ci en même temps que d’attributs caractéristiques de la puissance divine[17]. En Christ, les uns voisinent les autres, suivant que « le Christ est vrai Dieu et vrai homme ; et c’est pourquoi presque partout dans ce qu’il a fait, l’humain se lit mêlé au divin et le divin à l’humain. Et ainsi, toutes les fois qu’on montre quelque chose d’humain au sujet du Christ, on ajoute aussitôt quelque chose de divin[18]. » Le caractère double de sa nature en son unique Personne fait envisager aussi en double ses actes et ses gestes dans la chair. Pour ainsi dire, à côté des pleurs d’émotion, de compassion et d’amour humain du Christ, Thomas propose un sens spirituel.
3. Le sens mystique des pleurs de Jésus chez Thomas d’Aquin
Tout comme les Pères, Thomas associe un sens mystique à l’émotion de Jésus. Ce sens consiste en l’amour et la miséricorde qu’il porte à l’égard de tous les pécheurs. Plus exactement, il exprime sa condescendance envers les pécheurs qu’il est venu appeler, consoler et sauver.
Au sens mystique, il est donné par là [l’émotion de Jésus] à entendre que Dieu aime même ceux qui sont dans les péchés. En effet, s’il ne les avait pas aimés, il ne dirait certainement pas : Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, à la pénitence [Mt 9,13 ; Mc 2,17 ; Lc 5,32]. D’un amour éternel je t’ai aimé, c’est pourquoi je t’ai attiré, ayant pitié de toi [Jr 31,3][19].
Affirmant cela Thomas, à la suite des Pères (Origène et Augustin notamment), fait de Lazare un pécheur sur qui le Christ a pleuré avant de le rendre à la vie. Jésus pleure, avec frémissement, sur le sort d’un homme pécheur, de mauvaise vie et dont la puanteur cadavérique témoigne de celle de ses oeuvres mauvaises. Il était mort de péché et il y avait pourri. Pour Thomas,
Il s’agit de celui qui a l’habitude de pécher ; Il sent déjà, c’est-à-dire par une renommée très mauvaise, dont, par le péché s’élève une odeur très repoussante. Car de même que des bonnes oeuvres s’exhale une bonne odeur, selon ce que dit l’Apôtre : Pour Dieu nous sommes la bonne odeur [2 Co 2,15], de même à partir des oeuvres mauvaises se diffuse une odeur mauvaise, puante. Et on dit aussi avec raison qu’il date de quatre jours, comme pressé sous le poids des péchés terrestres et des cupidités charnelles[20].
Si Thomas entend ainsi au sens spiritualise la mort de Lazare, il y a une conséquence logique : la spiritualisation de toutes les actions condoléantes opérées pour ce mort. En cela, on parlerait, ici, des pleurs spirituels sur le mort spirituel que symbolise Lazare. En effet, Jésus partage, par amour et compassion, la condition humaine. Des larmes de la passion sensible liées à la condition de Jésus dans la chair, on en arrive aux larmes spirituelles.
À ce sujet, Thomas livre l’exhortation suivante sur l’affliction spirituelle ou la contrition humaine exprimée par les pleurs : « l’homme, à cause du péché, a besoin de larmes, selon cette parole du psaume : J’ai peiné dans mon gémissement, chaque nuit, je baignerai mon lit de larmes [Ps 6,7] »[21]. Autant dire que le Sauveur, le Verbe fait chair, pleure tout pécheur. Lazare n’en est que le paradigme universel, quant à son malheur et sa misère.
À cause de cela, Thomas justifie le second frémissement – sans larmes – de Jésus (Jn 11,38) par l’incrédulité des juifs. Il écrit : « […] il faut dire que plus haut il frémit en son esprit à cause de la mort de Lazare, et qu’ici à nouveau il frémit en lui-même à cause de l’infidélité des juifs »[22]. Thomas soutient cet argument du fait du jugement porté par certains d’entre eux sur les pleurs de Jésus en Jn 11,35.
En effet, tandis que certains juifs y voyaient une marque d’amour profond pour son ami défunt, d’autres semblaient plutôt se désoler qu’il n’ait pas pu l’empêcher de mourir : « Celui qui a ouvert les yeux de l’aveugle n’a pas été capable d’empêcher Lazare de mourir », disaient-ils (Jn 11,37). D’après Thomas, ce reproche laisse sous-entendre, chez ces juifs, un certain doute concernant la puissance du Christ. Toutefois, pour Thomas, le frémissement de ce dernier est la marque de sa pitié et de sa compassion envers ces juifs douteurs, suivant la parole : « Il vit une grande foule, il fut pris de pitié pour eux » (Mt 14,14)[23]. C’est un frémissement de pitié à l’égard de leur doute.
4. Pleurs du Christ : une émotion de piété, de discrétion et de puissance
Toujours en rapport avec la connotation mystique des larmes, Thomas présente trois raisons au frémissement et au trouble émotif de Jésus. Il parle tour à tour de trouble de piété, de discrétion et de puissance. Ces propositions sont assez originales chez lui, du moins dans les termes. Elles n’offrent pas en effet de recoupements avec les Pères. Avec ces trois motifs conférés aux émotions, on peut envisager les larmes comme vertus humaines du Christ, suivant que piété, discrétion et puissance de raison sont des vertus morales pour les deux premières, et vertu intellectuelle pour la troisième[24]. Certes, la discrétion telle qu’il la décrit Thomas peut également être considérée comme vertu intellectuelle.
Le trouble du Christ relève de la piété : « La piété, parce que la cause en est juste. En effet, quelqu’un se trouble d’une manière juste quand il se trouble de la tristesse et du mal des autres ; et quant à cela l’Évangéliste dit : lorsqu’Il la vit pleurer – Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie et pleurez avec ceux qui pleurent [Rm 12,15][25]. » Plus clairement, il est juste et bon de pleurer, suivant la vertu de solidarité humaine, que l’on soit dans le malheur ou dans le bonheur. En Jésus, les larmes peuvent accompagner la vertu morale, tout comme le fait la tristesse. « C’est pourquoi, précise Thomas, il [le Christ] pleurait pour montrer qu’il n’est pas répréhensible que quelqu’un pleure par piété – Fils, sur un mort répands des larmes [Si 38,16][26]. » En cela, le trouble et les pleurs de Jésus n’étaient pas seulement de piété, mais ils étaient aussi source de piété et un modèle pour tout être humain[27].
Toutefois, la piété du Christ ne provient pas d’une nécessité contraignante[28]. Elle est plutôt volontaire. De plus, la piété, ici, semble être une piété horizontale, c’est-à-dire de l’humain envers l’humain, considérant la détresse. Elle n’est pas une piété verticale ou filiale reliant le croyant à Dieu, dans la relation dévotionnelle et spirituelle. C’est une piété anthropologique qui n’est pas loin de la compassion et de la fraternité d’entraide. C’est le sentiment de respect et d’amour, de dévouement et de dévotion de l’humain envers l’humain.
Thomas parle, ensuite, de trouble lié à la discrétion de Jésus : « La discrétion, parce qu’il se trouble selon le jugement de la raison. C’est pourquoi l’Évangéliste dit : Il frémit en son esprit, comme gardant le jugement de la raison. Dans le trouble, en effet, l’esprit est dit pensée ou mieux, raison, selon cette parole : Que vous soyez renouvelés par l’esprit de votre pensée[29]. » Il s’agit, dans ce cas, d’une passion selon la droite raison (recta ratio) parce que, souvent, nous avons des passions hors de portée de la raison, qui sont et proviennent purement de la partie sensitive, et non de l’esprit ; des passions qui ne sont pas sous la garde et la conduite de la raison[30]. Ce genre de passions, note Thomas, perturbent plutôt la direction et le contrôle de la raison. Cependant, cela ne fut pas le cas pour la passion de Jésus qui frémit en esprit, lequel esprit assura la direction et la garde des larmes assorties[31].
Le trouble émotif qui suit le jugement de la raison ou celui de l’esprit est un trouble éclairé, discerné et suivi. Il n’est pas aveugle ni aveuglant. Son sujet sait, par exemple, pourquoi il pleure. Il en connaît la signification et la finalité. C’est dans cette voie, en effet, que Thomas trouve un sens au frémissement de Jésus et l’explique, suivant son étymologie (frémir, embrimaomai), comme étant de la colère et de l’indignation. « Mais que signifie le frémissement ? Il semble signifier la colère : Comme le frémissement du lion, ainsi la colère du roi [Pr 19,12]. De même, il semble signifier l’indignation, selon le psalmiste : Il frémira de ses dents et dépérira [Ps 111 (110),10][32]. » L’objet de la colère et de l’indignation du Christ sont de deux ordres, selon Thomas : ce sont la mort qui frappe l’être humain sous le pouvoir du péché et le diable qui est auteur de la mort. Dans son commentaire, on lit :
Il faut dire que ce frémissement, dans le Christ, signifie une colère et l’indignation du coeur. Toute colère et indignation sont causées par une douleur ou tristesse. Or ici deux choses étaient sous-jacentes. L’une, dont le Christ se troublait, qui était la mort infligée à l’homme à cause du péché ; l’autre, contre laquelle il s’indignait, à savoir la fureur de la mort et du diable. C’est pourquoi, de même que quelqu’un veut repousser un ennemi, il souffre de maux qui lui arrivent par lui et s’indigne pour le punir, de même le Christ a souffert et s’est indigné[33].
Vient enfin la raison de puissance, comme élément d’explication, dans le trouble émotif de Jésus. La puissance, ici, indique la puissance de l’esprit, dans le sens du commandement, de la maîtrise spirituelle des passions par le jugement de la raison. Elle est proche de la vertu de discrétion ou de discernement de la raison, mais en tant qu’elle contrôle l’émotion et non en tant qu’elle le discerne. La puissance de la raison intervient également quant à la valeur qualitative de l’émotion chez le Christ. En effet, le Christ s’émeut, non pas dans le sens qu’il se réjouit du mal survenu à ses amis de Béthanie mais, dans le sens de l’affliction qu’il voit sur leur visage et qu’il partage par compassion d’amitié.
Il se troubla lui-même par son commandement. Car les passions de cette sorte surgissent quelquefois d’une cause indue, comme lorsque quelqu’un se réjouit de choses mauvaises et s’attriste de bonnes – Ceux qui se réjouissent alors qu’ils ont fait le mal et exultent dans les choses les plus mauvaises [Pr 2,14] ; et cela ne fut pas dans le Christ. C’est pourquoi il dit : Quand il la vit pleurer […][34].
En d’autres termes, puisque le trouble du Christ est commandé par lui-même, cela indique un certain jugement ou discernement de l’esprit sur les passions qui se produisent en lui. De ce jugement de l’esprit intervient ensuite le contrôle, la maîtrise de ses passions et leur domination. Toutefois, même si l’affliction de Jésus est justifiée par l’amitié et s’avère bonne en référence à la compassion, à la fraternité et à la solidarité dans la souffrance, la bonne cause vertueuse n’autorise pas une émotion sans tempérance ni maîtrise de soi. On ne doit pas justifier le débordement des passions par la vertu qui les justifie. Ainsi, d’après Thomas,
Quelquefois elles [les passions] surgissent d’une cause bonne, cependant elles ne sont pas maîtrisées par la raison. Et contre cela il dit : Il frémit en son esprit. Quelquefois, bien qu’elles soient maîtrisées par quelqu’un, elles devancent cependant le jugement de la raison ; de telles passions sont des mouvements subits. Et cela, certes, ne fut pas dans le Christ, parce que tout mouvement de l’appétit sensible fut en lui selon la raison. C’est pourquoi il dit : Il se troubla, autrement dit : par le jugement de la raison, il assuma en lui cette tristesse[35].
Si tout mouvement de l’émotion se produit en lui selon la raison ou le discernement de la raison, il se produit également selon sa volonté et l’épanchement de celle-ci : « Le Christ voulut se troubler et s’attrister[36]. » Son trouble et ses pleurs ne provenaient donc pas d’une nécessité contraignante, mais d’une piété et d’une cause motivées. Ils étaient volontaires, c’est-à-dire causés par sa volonté.
5. Émotions et propassion
Cependant, cette volition est sous la garde et le contrôle du jugement de la raison, de sorte que les passions, dans le Christ, ne pouvaient pas s’opérer de façon désordonnée et agitée. De plus, la volition du Christ est régie par la sagesse divine qui, d’après les Écritures (cf. Sg 8, 1), dispose toute chose avec harmonie et douceur[37]. À la suite de Cyrille d’Alexandrie, d’Augustin et de Jean Chrysostome, il est également question chez Thomas d’émotion selon l’esprit, c’est-à-dire sous le contrôle de l’intelligence. Cela implique, dans le sujet, une certaine maîtrise de soi, un courage et une retenue dans l’effet des émotions[38].
À ce sujet, Thomas emploie souvent le terme propassion[39], une sorte d’euphémisme théologique par révérence à l’égard du Christ et visant à distinguer les passions qu’il éprouva avant sa passion de celles des autres humains. Par propassion, Thomas signifie que les opérations des affects sensibles du Christ sont rectifiées, immédiatement, par la raison et la plénitude de la grâce. Elles ne dominent pas son âme, elles ne s’étendent pas longuement en lui. Mieux encore, le Christ n’est pas aveuglé par ses passions. Celles-ci, au contraire, restaient dans les limites de sa raison et de sa volonté. Il n’en va pas ainsi de nos passions si souvent désordonnées, non rectifiées et agitées. En effet, commentant Is 42,4, sur la propassion du Christ, Thomas écrit :
Il ne sera pas triste, dans son coeur, ni troublé, dans son visage. Il fut toujours joyeux et affable, gardant une égalité d’esprit même si dans sa partie sensible se trouvait une propassion de tristesse, propassion non certes nécessaire, mais volontaire. D’où Mt 26,37 : Mon âme est triste[40].
En d’autres termes, avec la propassion en Christ, il faut admettre une particularité dans les opérations passives en Jésus. Rien ne peut l’émouvoir, dans l’ordre sensible, sans sa volonté. C’est la volonté de s’émouvoir qui le fait s’émouvoir. Les opérations vitales et sensibles de sa chair sont selon sa volonté à la faveur de laquelle il a souffert la passion et la mort. De plus, il existe plus d’harmonie et d’unité dans les opérations vitales de l’homme Jésus Christ que dans celles d’aucun autre homme[41].
D’après Thomas d’Aquin, les pleurs du Christ dans la chair traduisent aussi les souffrances de son âme : « Il est manifeste que toute l’âme du Christ a souffert[42]. » Cependant, par toute son âme, il faut entendre la souffrance de l’âme selon son essence ou selon les parties de l’âme, c’est-à-dire ses puissances. Selon son essence, l’âme du Christ a pâti parce qu’elle est unie tout entière au corps. Les parties de l’âme, c’est-à-dire ses puissances, souffrent de deux manières : de leur objet propre et de l’organe où elles siègent. De leur objet propre, la vue souffre, par exemple, d’un objet visible éblouissant. De l’organe où les puissances de l’âme siègent, la vue pâtit par exemple si elle est piquée ou affectée par la chaleur ou par une substance nocive. Toutefois, la partie supérieure de l’âme, la raison supérieure de l’âme qui est faite pour contempler ne souffre jamais selon son objet propre qu’est Dieu lui-même. Or, Dieu « n’était pas pour l’âme du Christ une cause de douleur, mais de délectation et de joie »[43].
6. De la mesure dans les larmes : un paradigme pour les affligés
Le chrétien n’est pas un stoïcien, mais il doit pouvoir, grâce au jugement de la raison, faire preuve d’un certain stoïcisme à l’égard de ses passions, non pas pour les empêcher, ni les brimer tout à fait, mais pour les régir et les contenir. De fait les émotions, comme le note Vicini, ont ceci qu’elles interviennent pour évaluer les circonstances, mesurer quels ajustements et quelles actions opérer dans les circonstances. Elles concernent à la fois le sujet émotif et ses actions[44]. Elles demandent alors, tel qu’indiqué plus haut, une certaine intelligence, un certain contrôle et une certaine maîtrise.
Pour Thomas d’Aquin, la peine et de l’angoisse du Christ sont suprêmes en leur genre, et ses larmes également. Tout ce que le Christ fait a valeur pédagogique et instructive[45]. Ses pleurs constituent un modèle exemplaire pour les humains et sont une réponse, un argument contre la morale stoïcienne pour laquelle il ne saurait y avoir de souffrance dans l’âme humaine[46].
Le Christ voulut s’attrister pour te signifier que tu dois parfois t’attrister, ce qui va contre les stoïciens. Et dans la tristesse il a tenu une mesure, ce qui va contre les seconds. […] Pleure sur un mort parce que sa lumière a manqué, et plus loin : Pleure peu sur un mort, parce qu’il a trouvé le repos [Si 22,10 et 11][47].
En définitive, l’émotion est à la vérité incontournable, compte tenu de la nature et de la condition humaines. Toutefois, l’émotion comporte aussi un certain repos en son expression. Il ne s’agit pas d’un repos lâche et résigné. Ce repos est lié, en ce qui concerne le deuil, à l’espérance en la résurrection. En plus du repos, les vertus de modération et la force de maîtrise de soi aident également le sujet émotif.
Conclusion
Thomas d’Aquin indique trois principales causes du trouble et de la tristesse du Christ[48]. La première est humaine. Elle exprime la vérité de sa nature humaine dans le partage de notre condition. Pleurer, c’est manifester sa sensibilité corporaliter. La deuxième cause est d’ordre éthique. Elle traduit la compassion, l’amour et la miséricorde du Christ. Elle enseigne aussi la norme et la mesure émotionnelles contre la froideur et l’indifférence stoïciennes. Il faut pleurer par humanité, mais avec une certaine retenue, sans dépasser la mesure. Il est humain de pleurer, et il est également humain de maîtriser ses pleurs. Quant à la troisième cause, Thomas la situe en relation avec l’émotion de Jésus, la piété, la discrétion et la puissance de la raison. Cela est original chez lui. En effet, la corporéité expose notre sensibilité et la manifeste à travers la tristesse. Cependant, elle le fait sous le contrôle de l’esprit qui la discipline dans les limites mêmes de l’émotion.
Pour cela, en lien avec les vertus de piété, de discrétion et surtout avec celle de la puissance de la raison, il est question de la mesure dans les larmes. Suivant Thomas, il faut entendre par là le besoin d’une certaine force d’esprit et d’une modération, eu égard à l’espérance en la résurrection, surtout quand ces émotions se rapportent à un deuil. En cela, les larmes du Christ ont également valeur pédagogique pour toute personne éprouvée. Comme Envoyé du Père, il a, par ses paroles et ses actes, une mission propédeutique à accomplir auprès de ceux qu’il a aimés jusqu’à pleurer d’amour.
Parties annexes
Notes
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[1]
Entre autres références, nous pouvons noter : De Veritate. q. 26, a. 8-10 ; Summa theologiae IlIa, q. 5, a. 3 ; q. 14, aa. 1-4 ; q. 15, a. 1-2, 4-10 ; q. 16, a. 8 ad. 2 ; q. 18, a. 2 ; q. 19, a. 2 ; q. 21, a. 2 ; q. 46, a. 1, 5-8.
-
[2]
Voir Paul Grondreau, The Passions of Christ’s Soul in the Theology of St. Thomas Aquinas, Chicago IL, University of Scranton Press, 2009, p. 51, 127.
-
[3]
Voir Paul Grondreau, The Passions of Christ’s Soul, p. 127.
-
[4]
Thomas d’Aquin, Exposition suivie des quatre Évangiles. La chaîne d’or (trad. Émile Castan), tome VIII, Paris, Louis Vivès, 1855, p. 58-95.
-
[5]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I : Le prologue, la Vie apostolique (trad. sous la direction de Marie-Dominique Philippe), Paris, Cerf, 1998, p. 609-655, nos 1472-1588.
-
[6]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 636, no 1539.
-
[7]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 632, no 1531 ; voir également p. 635, nos 1537-1538.
-
[8]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 635, no 1538 ; voir aussi p. 611, no 1475.
-
[9]
Thomas d’Aquin, Commentaire de l’épitre aux Romains, 12, no 1004 (trad. Jean-Éric Stroobant de Saint-Eloy, Paris, Cerf, 1999, p. 439 ; voir également Thomas d’Aquin, Somme théologique, tome 2 : Ia-IIae, Questions 1-114 (trad. Aimon-M. Roguet), q. 38, a. 3, Paris, Cerf, 1984, p. 256.
-
[10]
Voir Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa, Questions 7-15 : Le Verbe incarné2, tome 2 (trad. Jean-Pierre Torrell), IIIa, q. 15, a. 1, resp., Paris, Cerf, 2002, p. 255-256 : « Le Christ a pris nos déficiences afin de satisfaire pour nous, de confirmer la réalité de sa nature humaine et de nous offrir un exemple de vertu. »
-
[11]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 633, no 1532.
-
[12]
Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa, Questions 40-45 : Le Verbe incarné en ses mystères2, tome 2 (trad. Jean-Pierre Torrell), IIIa, q. 40, a. 2, resp., Paris, Cerf, 2004, p. 22 : « Il convenait à la finalité de l’incarnation que le Christ ne vive pas en solitaire parmi les hommes [cum hominibus conversatur]. Or, il est de la plus haute convenance que celui qui veut vivre avec les autres se conforme à leur façon de vivre, selon ce que dit l’Apôtre (1 Co 9,22) : Je me suis fait tout à tous. »
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[13]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 634, no 1535.
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[14]
Ibid.
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[15]
Ibid.
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[16]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 636, no 1541.
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[17]
Ibid. Thomas reprend ici Jean Chrysostome, Homélies sur l’évangile de saint Jean, 63,1-2.
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[18]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 632, no 1532. En fin chrétien et théologien Thomas reprend, ici, l’essentiel de la doctrine christologique de l’Église sur la vie, l’harmonie et l’unité des deux natures dans l’unique personnalité et sujet divin qu’est le Christ, le Verbe de Dieu. Léon le Grand écrit en effet : « Celui qui est vrai Dieu est, le même, [qui est] vrai homme. Dans cette unité il n’y a pas de mensonge, dès lors que l’humilité de l’homme et l’élévation de la divinité s’enveloppent l’une l’autre. Car de même que Dieu n’est pas changé par la miséricorde, de même l’homme n’est pas absorbé par la dignité. Car l’une et l’autre forme accomplit (agit) sa tâche propre dans la communion avec l’autre, le Verbe opérant ce qui est du Verbe, la chair effectuant ce qui est de la chair. » (Lettre à Flavien, coll. 40, cité dans André Duval al. (dir), Les conciles oecuméniques. Les décrets. Tome II/1, Nicée I à Latran V, Paris, Cerf, 1994, p. 184). Le Concile de Chalcédoine en 451 affirme la même doctrine sur l’unité des deux natures et leur communication.
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[19]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 635-636, no 1538.
-
[20]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 638, no 1546 ; au no 1543, Thomas, à la suite d’Augustin, voit dans la grotte le symbole de la profondeur des péchés, suivant le passage du Psaume 69 (68) : « Je m’enlise dans un bourbier sans fond, et rien pour me retenir. »
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[21]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 635, no 1537. Thomas reprend ici subtilement Augustin, Homélies sur l’évangile de saint Jean, 49, 19 (Bibliothèque augustinienne, 73 B), p. 242.
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[22]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 636, no 1541.
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[23]
Voir Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 637, no 1541.
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[24]
Notons que, dans la Somme, Thomas trouve une certaine compatibilité entre la passion de tristesse et la vertu morale qui l’accompagne. Thomas d’Aquin, Somme théologique, tome 2 : Ia-IIae, Questions 1-114 (trad. Aimon-M. Roguet), q. 59, a. 3, sed contra (trad. Aimon-M. Roguet), p. 362 : « Le Christ fut d’une vertu parfaite (perfectus virtute). Néanmoins, il eut en lui de la tristesse d’après S. Matthieu (26, 38) : “Mon âme est triste jusqu’à la mort.” La tristesse peut donc accompagner la vertu (Ergo tristitia polest esse cum virtute). » Voir Augustin, La Cité de Dieu, XIV, viii, 3 (Bibliothèque augustienne, 35), p. 384.
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[25]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 633, no 1533.
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[26]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 635, no 1537. Commentant 1 Th 4,12, Thomas revient sur cette question de tristesse ou d’émotion – « par piété », précise-t-il – que les humains manifestent envers les morts. Il en livre quatre raisons : « Que quelqu’un s’attriste au sujet des morts, cela regarde la piété. D’abord à cause de la disparition du corps qui fait défaut. Nous devons en effet les aimer, et le corps à cause de l’âme : Ô mort, qu’amère est ta mémoire pour l’homme qui possède la paix (Si 41, 1). Deuxièmement à cause du départ, et de la séparation qui est douloureuse pour les amis : Est-ce ainsi que sépare la mort amère ? (1 S 15,32). Troisièmement parce que par la mort est un appel du péché : le salaire du péché, c’est la mort (Rm 6,23). En quatrième lieu parce qu’on fait le rappel de notre mort : En elle on est averti de la fin de tous les hommes, et celui qui est vivant pense à ce qui doit lui arriver (Qo 7,2). »
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[27]
Voir Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 635, no 1537.
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[28]
Ibid.
-
[29]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 633, no 1534.
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[30]
Thomas d’Aquin, Somme théologique, tome 1 : Ia, Questions 1-119 (trad. Aimon-M. Roguet), q. 79, a. 8, Paris, Cerf, 1984, p. 703 : Thomas fait bien une distinction entre la raison et l’intelligence. La raison est un mode d’opération et d’exercice de l’intelligence humaine. Elle n’est pas une faculté propre avec une puissance de vitalité différente de l’intelligence humaine, mais un mode d’action de l’intelligence : « La raison et l’intelligence ne peuvent être des puissances différentes. […] Raisonner, c’est aller d’un objet d’intelligence à un autre, en vue de saisir la vérité intelligible. » Ainsi, quand l’esprit humain est perturbé par la tribulation de la passion, il n’arrive pas à s’exercer dans la fine pointe de lui-même comme esprit.
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[31]
Voir Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 633, no 1534.
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[32]
Ibid.
-
[33]
Ibid.
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[34]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 633, no. 1535.
-
[35]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 633-634, no 1535. Voir également Augustin, La Cité de Dieu IX, v (Bibliothèque augustinienne, 34), p. 360
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[36]
Voir Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 634, no. 1535. Parlant de la passion du Christ, il écrit : « Il n’était pas donc nécessaire que le Christ souffre au sens d’une nécessité de contrainte, ni de la part de Dieu qui a arrêté que le Christ souffrirait, ni de la part du Christ lui-même, qui a souffert volontairement. Il faut donc entendre cette nécessité du point de vue de la fin. » [Somme théologique, IIIa, q. 46, a. 1, resp. (trad. Jean-Pierre Torrell), p. 19-20]. Cette fin, continue-t-il, fut de trois ordres : 1) pour nous, afin de nous délivrer du péché et de la mort selon Jn 3,15-16 ; 2) pour le Christ, c’est-à-dire la gloire de l’exaltation que le Christ mérite en raison de l’abaissement de sa passion (cf. Lc 24,26) ; 3) pour Dieu selon ce que l’Écriture avait prophétisé (cf. Lc 22,22 ; 24,44-46).
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[37]
Voir Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa, q. 46, a. 9, resp. (trad. Jean-Pierre Torrell), p. 70.
-
[38]
Sur Jésus maîtrisant ses émotions : Cyrille d’Alexandrie, In Joannis Evangelium, VII, PG 74, col. 54, (trad. M.E.C., 1885, p. 122) ; Augustin, Homélies sur l’évangile de saint Jean, 48, 10 (Bibliothèque augustinienne, 73 B), p. 190 ; Jean Chrysostome, Homélies sur l’évangile de saint Jean, 62, 5, in Oeuvres complètes de saint Jean Chrysostome, XIV, p. 172, et le chapitre 62, 4, p. 171.
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[39]
Étymologiquement, propassion vient du latin pro, qui veut dire « avant, pour », et passio. Elle traduit d’une part toutes les angoisses, toutes les affections du Christ vécues avant sa passion. D’autre part, se fondant sur Mt 26,37 selon lequel le Christ commença par s’attrister, propassion s’entend comme un début de passion en lui. Elle ne s’étend pas au-delà de l’appétit sensible pour dominer son âme ou sa raison parce qu’elle est maîtrisée par le Christ. En clair, elle n’est pas une pseudo-passion, mais une passion en parfaite obéissance à l’intelligence et la volonté graciées du Christ ; une passion que la grâce divine a rectifiée dans l’âme du Christ, une super-passion. Voir Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa, Questions 7-15 : Le Verbe incarné2, tome 2 (trad. Jean-Pierre Torrell), IIIa, q. 15, a. 4, resp. et a. 6, ad. 2, p. 273-274 et 284. Cette notion remonte aux commentaires de saint Jérôme sur Matthieu. Voir Donna Trembinsky, « [Pro]passio Doloris : Early Dominican Conceptions of Christ’s Physical Pain », in The Journal of Ecclesiastical History, 59 (2008), p. 630-656.
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[40]
Thomas d’Aquin, Commentarii in Isaiaim prophetam XLII, 4, in Opera omnia, XIX, Paris, Louis Vivès, 1871, p. 5.
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[41]
Voir pour cela Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa, Questions 16-26, Le Verbe incarné2, tome 3 (trad. Jean-Pierre Torrell), q. 19, a. 2, resp., Paris, Cerf, 2002, p. 135-139.
-
[42]
Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa, q. 46, a. 7, resp. (trad. Jean-Pierre Torrell), p. 61.
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[43]
Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa, q. 46, a. 7, resp. (trad. Jean-Pierre Torrell), p. 62. Partant de cette considération, sur la question de la tristesse, de la passion du Christ et la joie béatifique, Thomas soutient que la douleur de la passion du Christ appartient à l’essence de l’âme, mais du côté sensible, du côté du corps qu’informe l’âme. Par contre, la joie de la vision appartient à l’âme, mais du côté de la puissance dont elle est le siège [cf. Somme théologique, IIIa, q. 46, a. 8, ad. 1 (trad. Jean-Pierre Torrell), p. 67]. En ce sens, les pleurs du Christ n’affectent pas la joie de la vision béatifique dont il jouit dans son âme.
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[44]
Voir Andrea Vicini, « The Role of Emotions at the End of Human Life », p. 101.
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[45]
Voir Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 641, no 1555 : « En cela il nous est donné à entendre qu’il a fait et dit beaucoup de choses en vue de l’utilité des autres – C’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous (Jn 13, 15). Car toute action du Christ nous instruit. »
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[46]
Voir Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa, q. 46, a. 6, ad. 2 (trad. Jean-Pierre Torrell), p. 54.
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[47]
Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 634, no 1535. Voir aussi p. 635, no 1537.
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[48]
Voir Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, I, p. 634, no 1535.