En s’intéressant aux « sémiotiques du texte francophone migrant », ce nouveau dossier de la Revue de l’Université de Moncton veut relancer la question de la place réelle accordée aux fictions francophones dans les études littéraires consacrées à ce champ. Des analyses thématiques (encore dominantes) aux études sociocritiques, en passant par les approches diachroniques et les « théories postcoloniales », le texte francophone est depuis une cinquantaine d’années l’objet de nombreuses attentions scientifiques. Certaines le disent « reflet » des situations africaines, indo-océanes, caribéennes, maghrébines et diasporales, d’autres le voient entré dans sa révolution esthétique, indépendamment des obligations d’appartenance ou d’engagement, d’autres encore le fondent dans une « littérature-monde », débarrassé des tares de l’origine et du complexe de jeunesse. Il apparaît malgré tout que depuis les années soixante notamment, les fictions francophones semblent résister à toute catégorisation définitive ou révéler des signifiances inédites. Un nombre grandissant d’études récentes ne propose-t-il pas des « relectures » de tel auteur ou telle oeuvre publiée il y a 30, 40, 50 ans ou plus ? Romuald Fonkoua (2010) a remis la dramaturgie d’Aimé Césaire au coeur de sa quête d’un compromis discursif longtemps tiraillé entre une création poétique et un plaidoyer politique. Cilas Kemedjio (2013) met en évidence la portée « polyphonique et philosophique » de l’oeuvre de Mongo Beti, longtemps exclusivement considérée dans sa dimension contestataire et subversive. De son côté, Diana Labontu-Astier (2014) trouve enfin la « complémentarité organique » entre le cinéma, le théâtre, la poésie et le roman d’Assia Djebar, et en détermine la complexité et le paradoxe comme modes générateurs. C’est dire que les créations francophones doivent rester au coeur des recherches universitaires et dans toutes leurs dimensions : les genres littéraires qu’elles renouvellent comme les sujets littéraires qu’elles inventent, les idéologies dominantes locales ou globales qu’elles interrogent comme les langages qu’elles élaborent. Ce dossier de la Revue de l’Université de Moncton s’intéresse à ce dernier aspect des « sémiotiques » francophones, au sens peircien (1958) du terme, c’est-à-dire à l’analyse des representamen textuels dans leur « priméité » ; autrement dit, aux processus de sémantisation des narrations et à l’encodage des signes qui les composent, mais aussi aux arguments pragmatiques des analystes qui permettent d’actualiser leur lecture. Car les interrogations ne manquent pas : comment les littératures francophones expriment-elles un monde en papier qui dit toujours d’une certaine manière notre monde ? Quel est leur rapport à la langue française dont elles manifestent à chaque parution un certain état ? Quelles épreuves de lecture imposent-elles aux divers publics contemporains ? Ce sont là des questions de topoï littéraires dominants et conducteurs que traduisent à leur manière les textes francophones, et le sujet de la « migration » en est une. Celui-ci apporte un autre paradigme de lecture de ces textes, invite à leur réévaluation romanesque et poétique, mais aussi situe les auteurs dans une hiérarchie d’intérêt. Sujet aux vastes implications géopolitiques, sociologiques, économiques ou sécuritaires, la « migration » touche directement à notre actualité contemporaine car si elle est au coeur des recompositions étatiques, elle redéfinit tout autant la finalité de l’intervention humanitaire, recompose les relations internationales et relance les « études littéraires transnationales » telles que envisagées ailleurs . En littérature, la notion de « migration » est multipolaire : elle introduit aussi bien les migrations institutionnelles des auteurs et des textes que les migrations romanesques se déroulant à l’intérieur des diégèses. Elle indique aussi bien les migrations des discours du temps (Marc Angenot, 2013) que les migrations des catégories d’analyse textuelle continuellement soumises à de nouvelles évaluations. La fierté des Québécois de compter dans …
Parties annexes
Bibliographie
- Angenot, M. (2013). Les dehors de la littérature. Du roman à la science-fiction. Paris : Honoré Champion.
- Diouf, M. et Ziethen, A. (dir.) (2015). Géographies transnationales du texte africain et caribéen. Études littéraires. 46.1. 7-221.
- Diouf, M. (2006). L’Islam en termes chrétiens : quand ‘L’Aventure ambiguë’ « croise » Pascal et Saint Augustin. Présence Francophone. 67. 44-58.
- Everaert-Desmedt, N. (1990). Le processus interprétatif : introduction à la sémiotique de Ch. S. Peirce. Liège : Pierre Mardaga Éditeur.
- Fonkoua, R. (2010). Aimé Césaire (1913-1918). Paris : Éditions Perrin.
- Kemedjio, C. (2013). Mongo Beti, le combattant fatigué. Une biographie intellectuelle. Berlin : Verlag, [coll. Littératures et cultures francophones hors d’Europe, n°7].
- Labontu-Astier, D. (2014). Assia Djebar, « les alouettes naïves ». Étude critique. Paris : Honoré Champion [coll. Entre les lignes].
- Peirce, C.S. (1958). The Collected Papers of Charles Sanders Peirce (vol. 1-6 et vol. 7-8), Cambridge, Massachusetts : Harvard University Press, 1931-1935, 1958.