Compte rendu

Nyela, D., et Bleton, P. (2009). Lignes de fronts. Le roman de guerre dans la littérature africaine. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 338 p.[Notice]

  • Jean-Blaise Samou

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  • Jean-Blaise Samou
    Université de Calgary

Le roman de guerre demeure en Afrique une catégorie atypique, méconnue, et injustement délaissée par la critique, en dépit d’une abondante production fictionnelle qui couvre les nombreux conflits ayant déchiré le continent noir depuis les effervescences hégémoniques des grands empereurs précoloniaux. Sur le plan formel, la thématisation de la guerre dans la littérature africaine s’étend sur un large éventail de textes qui ne sont pas sans refléter l’histoire immédiate et tumultueuse du continent africain. Parler du « roman de guerre » en Afrique exige donc au préalable que l’on pose les balises théoriques qui permettent de circonscrire cette catégorie dans ses particularités génériques. C’est ce à quoi se consacrent Désiré Nyela et Paul Bleton dans Lignes de front. Le roman de guerre dans la littérature africaine ; un livre qui se fonde sur une problématique de type essentialiste, à savoir : « qu’est-ce que le roman de guerre africain ? ». La réponse à cette question amène les deux auteurs à aborder de manière chronologique la représentation romanesque des conflits armés dans l’Afrique contemporaine, et le lecteur peut relever dans leur analyse, une typologie du personnage belligérant. À l’origine, il y avait le guerrier des temps précoloniaux, classe sociale à laquelle, pour protéger le clan, tout enfant mâle, après le rite d’initiation, devait appartenir (p. 75) à l’instar d’Okonkwo dans Things Fall Apart (1958) de Chinua Achebe. Il y avait également le « tirailleur sénégalais », supplétif de l’armée coloniale ; puis, de nos jours, le soldat de carrière au service de l’État, et à ce titre, adjuvant des pouvoirs dictatoriaux qui s’éternisent en Afrique postcoloniale. Il y a enfin l’enfant-soldat que l’on retrouve dans les récits actuels des récentes guerres civiles. Au-delà de cette typologie, l’intérêt de Lignes de fronts se trouve dans l’analyse dialectique et détaillée d’un vaste corpus aux thématiques variées, relevant d’époques, voire de sous-genres différents, mais que les auteurs parviennent à fédérer sous le dénominateur commun de la belligérance. Intitulé « L’inspiration épique et ses destins », le premier chapitre « recherche une possible source africaine du roman de guerre » (p. 45). Les auteurs posent qu’en Afrique, bien que le genre romanesque ait vu le jour suite au métissage culturel avec l’Europe coloniale, le roman de guerre trouve ses racines plutôt dans un genre traditionnel, à savoir l’épopée, avec laquelle il partage toujours des affinités formelles évidentes. En effet, qu’elle se présente sous forme poétique ou sous forme prosaïque, l’épopée s’affirme comme « le genre par excellence de la guerre », puisqu’il y est question de héros victorieux des sorts auxquels sont confrontés leurs peuples. L’épopée est de ce fait l’ascendant direct du roman de guerre. En ce sens, bien que par leurs titres les textes comme Soundjata ou l’épopée mandingue (1960) de Djibril Tamsir Niane, ou encore Chaka. Une épopée bantoue (1940) de Thomas Mofolo s’inscrivent dans le registre épique, ils présentent au même moment des caractéristiques romanesques. De l’avis même de leurs auteurs, ces récits ne sont que des transcriptions romancées de la parole séculaire des griots, dépositaires de la mémoire ancestrale tant individuelle que collective. Toutefois, si dans sa métamorphose vers le roman, l’épopée a légué à ce dernier genre l’habitude du choix d’un titre-éponyme du héros/personnage central, le roman de guerre africain, quant à lui, est dans sa structuration narrative une « anti épopée ». Car, au lieu d’être comme son ascendant épique une histoire de héros vainqueurs sur le destin, il met en scène plutôt des antihéros. Devrait-on lire dans ces récits de bravoure et de déchéance, l’échec des résistances africaines face à l’occupation coloniale de l’Europe, ou encore …

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