Revue de l'Université de Moncton
Volume 36, numéro 1, 2005 Signalétiques et signalisations linguistiques et langagières des espaces de villes (configurations et enjeux sociolinguistiques) Sous la direction de Thierry Bulot et Lise Dubois
Actes de la 4e journée internationale de sociolinguistique urbaine, Moncton, septembre 2005
Sommaire (13 articles)
Articles
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Les voix de la ville revisitées. Sociolinguistique urbaine ou linguistique de la ville ?
Louis-Jean Calvet
p. 9–30
RésuméFR :
Depuis 1994, la sociolinguistique s'est principalement penchée sur le terrain urbain, au point qu'on a pu se demander s'il n'y avait pas là un lien de nécessité, si la ville n'était pas le terrain par excellence de l'approche sociale des faits de langue. L'exploration de ce questionnement nous mènera, bien sûr, à parcourir les avancées de la science depuis dix ans, mais aussi à nous interroger sur les différentes visions de la ville qui apparaissent dans les diverses publications et sur les différents choix de villes : une analyse d'une ville africaine ou asiatique très plurilingue ne mène pas nécessairement aux mêmes retombées théoriques que celle d'une ville européenne plus unifiée linguistiquement. Enfin, on s'interrogera sur la pertinence de l'opposition linguistique / sociolinguistique en prenant le ville comme pierre de touche.
EN :
Since 1994, sociolinguistic research has been concerned mainly with cities, to the point where one may ask if cities are not the field of choice for the social study of language. To answer this question, we will look not only at the progress that this discipline has made over the past 10 years, but also at the various visions of the city that emerge from various publications and choices of city as objects of study. Indeed, the study of an African or Asian plurilingual city does not lead to the same theoretical conclusions that the study of a linguistically unified European city. Finally, the relevance of the linguistic/sociolinguistic dichotomy will be questioned, using the city as touchstone.
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La ville et ses composantes : l'émergence des catégories en interaction orale
Jeanne-Marie Barbéris
p. 31–60
RésuméFR :
Cette étude repose sur un corpus d'interviews semi-directives où les sujets sont interrogés sur leurs territorialités et sur leurs déplacements quotidiens dans le quartier.
J'envisagerai la mise en jeu de trois objets discursifs dans différentes interactions : la ville, le quartier, la rue. Selon la logique des relations parties-tout, la rue sera dite a priori « dans le quartier », le quartier « dans la ville ». Cependant les catégories sont susceptibles de « glisser » les unes sur les autres, ou de se substituer l’une à l’autre. La nature interactionnelle de ces descriptions de ville est évidemment déterminante pour la démarche explicative. Les conflits dialogaux et dialogiques sont ici le cadre « naturel » du modelage des entités urbaines. Versant cognitif et versant social de la production de sens sont étroitement liés.
EN :
This study is based on a set of open-ended interviews in which the informants were asked to define their territory and describe the routes they take each day within their own neighbourhood.
The paper examines the use of three concepts in discourse: the city, the neighbourhood, and the street. According to the logic of the part-whole relationship, the street consequently emerges as being (in principle) a part of the neighbourhood which is a part of the city. However, categories can sometimes overlap or become interchangeable. These shifts are the inevitable consequence of the process of oral interaction, where the dialogal and dialogic conflicts are the « natural » setting for this shaping of urban entities. The cognitive and the social aspects within the explanations are tightly interwoven.
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Spatialité vécue, dite et (inter)agie par des adolescents dans un quartier péricentral en mutation
Cyril Trimaille
p. 61–96
RésuméFR :
La présente recherche a pour objet la socialisation langagière d’adolescents urbains majoritairement issus de l’immigration. De nombreuses interactions montrent que, parmi les facteurs qui jouent un rôle dans l’accession au statut social de pair, et de certains traits langagiers, la spatialité vécue semble tenir une place non négligeable. De plus, les sujets identifiés comme leaders paraissent avoir une fonction d’affirmation et de représentation (presque au sens diplomatique du terme) d’espaces territorialisés qui ne correspondent forcément pas aux catégorisations exogènes, qu’elles soient administratives, journalistiques ou profanes. Je tenterai de déterminer dans quelle mesure et comment la constitution de territoire(s) et d’espaces de référence, leur investissement différentiel ainsi que les catégorisations et attributions qui y sont associées, participent, parallèlement aux pratiques langagières, des processus de construction et d’affirmation identitaires.
EN :
The research project concerns language socialization among urban immigrant adolescents. A large number of interactions shows that among the factors that play a role in rising to peer social status and in acquiring certain language features, space seems to be important. As well, the subjects identified as leaders seem to have an affirmative and representational function in terrritorilized spaces that do not necessarily correspond to exogene categories, be they administrative, media or popular. I will attempt to determine to what extent and how territories and reference spaces are constructed, and with what characteristics they are associated with respect to language practices and identity building.
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Enseignes commerciales, traces et transition urbaine. Quartier de Figuerolles, Montpellier
Romain Lajarge et Claudine Moïse
p. 97–127
RésuméFR :
La ville se définit comme une somme de lieux et d'espaces. Le lieu serait de l'ordre de l'immuable, de l'être là, repères visuels, lieux commémoratifs, monuments, magasins. L'espace serait façonné par les actions, les mouvements, les visions des habitants ou des passants. Ainsi, les représentations des villes se construisent à travers la mise en mots des lieux et des espaces et les frontières urbaines, délimitation de quartiers notamment, se définissent à travers des territoires sociaux et langagiers. Dans un premier temps, nous confronterons nos approches en sociolinguistique et en géographie en particulier à travers les notions de lieu, espace et territoire. Dans un second temps, nous essaierons de voir comment des inscriptions urbaines multilingues dans des quartiers de Montpellier peuvent faire d'un lieu un espace social en changement et en mouvement et comment se redessinent, à travers des inscriptions, les limites de territoires.
EN :
The city is defined as the sum of places and spaces. Places are associated with the unchanging, visual markers, commemorative landmarks, monuments, stores. Spaces are fashioned by actions, movements, the residents’ or passers-by’s visions. Therefore, representations of the city are constructed through the putting-into-words of places, spaces and urban boundaries; i.e. the boundaries of a neighbourhood are defined through social and linguistic territories. In this paper, we combine sociolinguistics and geography to deal with the concepts of place, space and territory. We also attempt to see how multilingual urban signage in some Montpellier neighbourhoods transforms a place into a social space that is forever changing and how territorial limits are redrawn through signage.
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Quand les langues font le mur lorsque les murs font peut-être les langues : Mobilis in mobile, ou la linguistique de Nemo
Didier de Robillard
p. 129–156
RésuméFR :
L’auteur tente, à partir d’un corpus d’affichage plurilingue à l’Île Maurice, de réfléchir à la façon dont les langues sont catégorisées et spectacularisées, affirmées, selon des modalités différentes, ces modalités faisant partie de la façon dont est organisée la socialité. Il réfléchit également à partir de là, à la façon dont s’est imposée la notion dominante de langue (stable, décontextualisée, homogène), et en conclut que les scientifiques et les linguistes sont des acteurs sociaux comme les autres, ce qui leur confère des fonctions bien plus modestes que ce qu’on a l’habitude de leur attribuer. Enfin, il postule que ce qui est constitutif des langues, ce n’est ni leur matérialité, ni leur structure, mais la croyance dans leur existence, ancrée dans le besoin qu’elles existent.
EN :
Basing himself on a plurilingual corpus of posters in Mauritius, the author tries to show how languages are categorised, brought to existence in different ways, these various ways contributing to social structure and organization. This is the occasion to examine how the dominant conception of a “language” (stable, decontextualised, homogeneous) came about, and this leads to the contention that linguists and scientists are social agents like any other, giving them social functions that are substantially less prestigious than what is usually the case. The author argues that what is the core of a language is neither its materiality nor its structure, but the simple belief in its existence, motivated by the need for it to exist.
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Mise en oeuvre du bilinguisme de la ville de Lorient (département du Morbihan, France) : de la conceptualisation politique à l’application territoriale : pratiques, analyse de la demande sociale et enjeux
Roseline Le Squère
p. 157–183
RésuméFR :
Le breton est devenu une langue urbaine. Son avenir ne semble avoir de sens que si son développement est porté par les villes bretonnes. Deux modèles spécifiques ont été créés dans cet esprit : le Comité de l’Identité Bretonne en Haute-Bretagne, et l’autre en Basse-Bretagne, concernant le modèle de politique de ville mis en place par la ville de Lorient. La double démarche établie pour ce dernier, visant à la mise en place d’un jalonnement directionnel bilingue et le développement d’une signalisation bilingue des bâtiments a en vue un développement du bilinguisme. Quand une signalétique symbolique émane du premier modèle, une signalétique systématique découle du second. En s’appuyant, à titre d’exemple, sur le premier modèle, nous observerons comment le second modèle, centre de notre réflexion, procède de toutes les façons d’une volonté de valorisation culturelle par le moyen de l’affichage urbain. Les noms de lieux font partie de ce processus et deviennent pour les acteurs politiques de cette urbanité langagière un moyen qui leur permettra de développer la culture, l’identité, etc. La confrontation de la demande sociale du pays de Lorient liée à cet affichage massif, à l’application réelle sur le terrain permettra de cerner les enjeux identitaires tout d’abord, et économiques ensuite, par le biais d’une enquête publiée dans le journal Ouest-France, et par le biais d’entretiens semi-directifs effectués auprès d’acteurs locaux. Nous observerons ainsi la conceptualisation politique et les pratiques de terrain pour faire un état des lieux de la situation bretonne.
EN :
The Breton language has become an urban languague. Its future development is linked to the cities of Brittany. Two models have been put forward concerning its development: the first by the Committee for Breton Identity in Upper Brittany and the second is the urban policy model developed by the city of Lorient in Lower Brittany. The latter model aims to develop bilingualism in road signposting and signage on buildings. While the first model proposes mainly a symbolic signage, the second model has a systematic character. Basing myself on the first model, I have observed that the second model, which is the object of study, also derives from the will to develop the Breton culture by way of urban signage. The naming of places is part of this process and becomes for the political actors a means to develop culture and identity. The correlation of the public demand in the Pays de Lorient for this type of signage, measured through a widespread questionnaire and semi-directive interviews, with the actual application of the policy reveals the identity and the economic issues. It also enables me to observe the political thinking and the field practices to draw a picture of the Breton situation.
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L’affichage à Moncton : miroir ou masque ?
Annette Boudreau et Lise Dubois
p. 185–217
RésuméFR :
L’étude sur laquelle cet article se fonde combine trois types de démarches : d’abord, l’étude du paysage langagier par le biais de l’affichage public ; des entretiens semi-directifs faits avec des Monctoniens francophones et anglophones ; des séances d’observation selon lesquelles les participants à l’étude ont été accompagnés dans leurs déplacements quotidiens. Les questionnements au centre de la recherche sont les suivants : le citoyen navigue-t-il différemment dans ce paysage selon qu’il est francophone ou anglophone ? Quels sont les indices visibles et audibles qui lui permettent de faire le choix de langue qui lui profitera le plus selon la situation dans laquelle il se trouve ? Est-ce que l’affichage public participe de la négociation de langues que font quotidiennement les Monctoniens ? Quels sont les discours qui circulent autour de la question de l’affichage à Moncton et contribuent-ils à maintenir les pratiques existantes ou, au contraire, à les changer ?
EN :
The research project on which this paper is based combines a three-pronged approach to the study of the city: the linguistic landscape was surveyed through public signage, interviews were conducted with Francophone and Anglophone Monctonians and some of the participants were accompanied throughout their daily activities by a research assistant. The research project attempts to answer the following questions: does a francophone resident of Moncton circulate through the city differently than an anglophone resident? What are the visible and audible clues that allow Monctonians to chose the language that will benefit them the most according to the communication situation in which they find themselves? Is the public signage part of the ongoing daily negociations on what language to use in Moncton? What are the various discourses on the question of bilingual signage and do they contribute to linguistic maintenance or change?
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Discours épilinguistique et discours topologique : une approche des rapports entre signalétique et confinement linguistique en sociolinguistique urbaine
Thierry Bulot
p. 219–253
RésuméFR :
Cet article rend compte d’une recherche engagée depuis plus d’un an en collaboration avec d’autres disciplines sur la mise en mots de l’habitat populaire au travers d’une enquête de terrain effectuée dans la ville de Rennes (France). Dans une zone réputée gallèse, certaines des rues de cette ville de Bretagne ont une signalétique bilingue (français / breton celtique). Nous analyserons les discours sur les corrélations entre mémoire urbaine (le discours sur l’entité urbaine) et sociolinguistique (le discours sur à la fois la stratification sociolinguistique et à la fois la territorialisation, voire la mobilité linguistique) autour de trois axes de questionnement : 1. la signalétique bi ou plurilingue et la discrimination des espaces, 2. l’affichage de langues (notamment via les odonymes) et les traces d’une mémoire sociolinguistique et 3. l’aménagement linguistique des espaces urbains (imposition, ou reproduction ou validation ou dénégation d’une mémoire sociolinguistique et urbaine) et le dirigisme glottopolitique.
EN :
This article concerns a multidisciplinary research project begun over a year ago on the putting-into-words of the working-class habitat in Rennes (France). In an area reputed to be gallo-speaking (a form of Breton), certain streets in this city have bilingual signs (French-Celtic Breton). Discourse on the city as a whole is correlated to sociolinguistic discourse (that deals with sociolinguistic stratification and linguistic mobility) and interrogated from three aspects: 1. multi or bilingual signage and discrimination of spaces; 2. the use of languages on signage (in street names) and traces of sociolinguistic memory; 3. linguistic planning of urban spaces (imposition, reproduction, validation or denial of a sociolinguistic memory) and glottopolitical interventionism.
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Usages actuels du provençal dans la signalétique urbaine en Provence : motivations, significations et enjeux sociolinguistiques
Philippe Blanchet
p. 255–287
RésuméFR :
Les années 1990-2004 ont vu se développer de façon marquante une signalétique en provençal, souvent bilingue français-provençal, dans les villes de Provence (panneaux d’entrée de communes, noms de rues et de bâtiments administratifs, plaques touristiques et historiques, etc.). Les choix linguistiques et graphiques réalisés méritent analyse : les noms des communes affichés sont souvent une re-traduction en provençal du nom français officiel lui-même adapté – souvent maladroitement – à partir du toponyme historique en provençal local, les graphies hésitent entre plusieurs normes et plusieurs langues, les lieux retenus sont souvent symboliques, etc. Cette signalétique révèle la complexité et les tensions sociolinguistiques de la situation provençale (et plus largement française), ainsi que les problèmes auxquels se heurte toute tentative de réhabilitation linguistique et culturelle en situation de minoration et de contacts de langues.
EN :
From 1990 to 2004, signage in Provençal has developed considerably in Provençal cities, often bilingual (French and Provençal) (signs at the entrance of towns, street and building names, tourist information, historical plaques, etc.). Attention should be payed to linguistic and spelling choices. Town names shown on signs are often retranslations into Provençal of official French names that are themselves adaptations – often awkward – of the historical Provençal toponym; spelling hesitates between various standards and languages, the sites are often symbolic, etc. Signage thus reveals the complexity and the sociolinguistic tensions that arise from the Provençal situation (albeit the French situation), as well as problems confronting attempts to rehabilitate a linguistic and cultural minority situation in a language contact context.
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Affichage publicitaire et électoral : enjeux sociaux d'appropriation de l'espace public : réflexions à partir des exemples d'Angers (France) et de Timisoara (Roumanie)
Vincent Veschambre
p. 289–320
RésuméFR :
L’affiche fait partie des éléments de signalétique langagière les plus visibles dans l’espace urbain, des formes de marquage et d’appropriation de l’espace les plus significatifs. Angers, ville qui se revendique comme modèle de « développement durable » et Timisoara, qui affirme son attractivité économique dans une Roumanie marquée par l’irruption de la publicité et des campagnes électorales dans l’espace public, constituent deux exemples contrastés du point de vue des normes et des réglementations locales. Nous avons observé en périodes électorales la concurrence entre affichage « marchand » et affichage « d’opinion » et relevé quels étaient les espaces les plus disputés. L’affichage électoral apparaît comme un mode d’affirmation identitaire de certains groupes politiques et sociaux qui ciblent certains quartiers de la ville.
EN :
Posters and billboards are among the most visible of language signage in the urban landscape and among the most significant markers of the urban space. The city of Angers (France) which has put forward a model of « sustainable development » in matters of signage and Timisoara (Romania) which asserts its economic attractiveness in a country where advertising and election campaigns have irrupted in the public space are two exemples of deep contrast when it comes to standards and local regulations. We have observed during electoral campaigns the competition between commercial and opinion signage and picked out the most disputed spaces. Electoral signage appears to be a way for political and social groups to assert their identity in some of the city’s neighborhoods.
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Une approche sociolinguistique à l’urbanité
Monica Heller
p. 321–346
RésuméFR :
Une grande partie des travaux en sociolinguistique urbaine portent sur les pratiques langagières en milieu urbain ou bien sur la construction discursive de l'espace urbain. Cette communication portera sur l'importance d'utiliser les outils de la sociolinguistique pour contribuer à une meilleure compréhension de la forme spécifique d'organisation sociale, économique et politique qu'est l'espace urbain. La ville joue un rôle primordial dans l'organisation des processus économiques et politiques à travers l'histoire ; actuellement elle contribue à façonner la nouvelle économie mondialisée, où justement la communication est centrale comme processus de production et comme produit. En m'appuyant sur certains exemples tirés de recherches récentes, j'esquisserai certains aspects de ce que la sociolinguistique peut contribuer à la théorisation sociale de la ville.
EN :
A large part of the research being done today in urban sociolinguistics concern language practices in the city or the discursive construction of urban spaces. This paper concerns the importance of using sociolinguistic tools to bring about a better understanding of cities as a specific form of social, economic and political organization. Throughout history, cities have played an essential role in the structuring of economic and political processes. Today, cities contribute to the new globalized economy, in which communication is central as a process and as a product. With examples taken from my recent research, I will examine how sociolinguistics can contribute to the social theorization of the city.