Recherches sémiotiques
Semiotic Inquiry
Volume 39, numéro 1-2, 2019 Biosémiotique. Tome 2 Biosemiotics. Tome 2
Cette livraison de RS/SI couvre exceptionnellement deux volumes (vol. 38, 2018, no.3 et vol. 39, 2019, nos. 1-2). En vertu de notre entente avec la plateforme Érudit elle est présentée ici en deux tomes (Biosémiotique 1 et 2) dont l’ensemble correspond à l’intégralité de la version imprimée.
This publication of RS/SI exceptionnally covers two volumes (vol. 38, 2018, no.3 and vol. 39, 2019, nos. 1-2). According to the terms of our agreement with the Érudit Plateform it is presented here in two tomes (Biosemiotics 1 and 2) which, together, correspond to the integrality of the printed version.
Sommaire (12 articles)
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William S. Burroughs and The Wild Boys Against the Language Virus: A Biosemiotic Guerilla
Pierre-Louis Patoine
p. 117–133
RésuméEN :
This article proposes a biosemiotic reading of William S. Burroughs’ The Wild Boys – A Book of the Dead (1971), showing how literature, by cutting up narrative structures and syntactical units, can fight the language virus’ configuring of human vitality, just like bacteria uses CRISPR-Cas9 to cut-up the DNA code-chains of threatening viruses. We will see that, supported by the shared biosemiosic nature of literary texts and biological forms, this parallel extends beyond the metaphorical to reinsert literature within the realm of living processes.
FR :
Cet article propose une lecture biosémiotique du roman de William S. Burroughs The Wild Boys – A Book of the Dead (1971), montrant comment la littérature, entrecoupant des structures narratives et des unités syntaxiques, peut combattre le « virus du langage » et les contraintes qu’il impose à la vitalité humaine. Cette tactique rappelle la manière dont certaines bactéries utilisent le CRISPR-Cas9 pour couper l’ADN de virus attaquants. Nous verrons que, en raison du caractère biosémiotique que partagent les textes littéraires et les formes biologiques, ce parallèle nous permet de réinsérer la littérature au sein des dynamiques du vivant.
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'Overlap and Interlace': Thoreau’s Thawing Sandbank as Transgenic Artwork
Kimo Reder
p. 135–149
RésuméEN :
In the “Spring” chapter of Walden, Henry David Thoreau’s portrait of a melting, thawing sandbank, as a place of “overlap and interlace”, is a bio-semiotic primal scene. For Thoreau, language itself is an agent of transgenic fusion, finding interlinked roots and common properties at every turn. Thoreau’s wordplay is a page rehearsal for later forms of laboratory-assisted, genre-hopping bio-art in which cross-bred materials form inter-species puns and organic conundrums, phrases from the Old Testament and Descartes are translated via code into DNA base pairs and inserted into plants and bacteria, and gene-splicing becomes a creative act. Using sequencing gels and calipers, autoclaves and plasmid samples, transgenic art plays in the gap between our genes’ lettristic code and manifested matter : Thoreau straddles this same divide with puns and wordplay based on some of the more occult linguistic theories of his day.
FR :
Dans le chapitre « Printemps » de Walden, le portrait que brosse Henry David Thoreau d’un banc de sable, comme lieu de « chevauchement et d’enlacement », constitue une scène biosémiotique primale. Pour Thoreau, le langage lui-même est un agent de fusion transgénique qui découvre à toute occasion des racines imbriquées et des propriétés communes. Les jeux de mots de Thoreau anticipent des formes tardives et interdisciplinaires du bio-art en laboratoire; des matériaux métissés forment des calembours inter-espèces et des énigmes organiques; des phrases tirées de l’Ancien Testament et de Descartes sont traduites et encodés en paires de bases d’ADN pour être insérés dans des plantes et des bactéries; et l’épissage de gènes devient un acte créatif. Avec des gels de séquençage et des bioanalyseurs, des autoclaves et des échantillons de plasmides, l’art transgénique joue dans l’écart entre le code lettriste de nos gènes et la matière. Thoreau enjambe ce même fossé avec des calembours et des jeux de mots qui reflètent certaines des théories linguistiques les plus occultes de son époque.
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Biological Aspects of Popular Culture
Marcel Danesi
p. 151–169
RésuméEN :
There are various theories for the origins and rise of popular culture, ranging from sociological to political-ideological ones. But given the existence of such forms of culture across cultural spaces and time, they hardly penetrate the raison d’être of such forms of human expression. Perhaps the one that comes closest to explaining the universality popular and populist forms of culture was put forward by Mikhail Bakhtin, who claimed that spectacles such as carnivals and texts such as novels are popular because they tap into a psychic need, allowing bodily needs and experiences to gain expression and validation. This paper will explore this idea from a generic biosemiotic perspective, looking at how pop culture is a modern-day expressive version of this need.
FR :
Diverses théories concernent l’origine et l’ascension de la culture populaire, notamment des théories sociologiques ou des théories de nature politico-idéologiques. Mais si l’on considère l’étendue de ces formes culturelles, au travers le temps et l’espace, force est d’admettre que ces théories expliquent bien superficiellement la raison d’être de ces formes d’expression humaine. Mikhaïl Bakhtine a peut-être abordé de manière la plus convaincante l’universalité de la culture populaire en affirmant que les spectacles, comme les carnavals, et les textes, comme les romans, sont populaires puisqu’ils exploitent un besoin psychique, celui d’exprimer et de valider des besoins corporels. Le présent article examinera la théorie de Bakhtine à l’aune de la biosémiotique, en examinant la culture populaire comme une version expressive contemporaine de ce besoin.
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Pain as Sign and Symptom: A Semiotic Analysis of Nursing Clinical Practice and Research
Thomas Lawrence Long
p. 171–182
RésuméEN :
Physical pain, far from being a monolithic sensation, is a complex and varied somatic response to trauma or pathophysiology. The body registers pain in response to a threat to bodily wholeness; the patient or clinician interprets pain, seeking to associate the pain with its cause (diagnosis or etiology) in order to undertake a remedy and to predict its future course (prognosis). In nursing clinical practice, where symptom assessment and management are central to the scope of practice, reading pain as sign (the clinician’s empirical observation) or as symptom (an experience reported by the patient) entails complex interpretation and translation of the body’s manifestations. This article will make explicit the semiotic dimensions of nursing pain research (and its concomitant implications for clinical practice) in two cases : Xiaomei Cong’s research into procedural pain in infants in neonatal intensive care units (NICU) and Deborah Dillon McDonald’s research into pain communication between older adults with osteoarthritis or post-surgical pain and their healthcare providers.
FR :
Loin d’être une sensation monolithique, la douleur physique est une réponse somatique complexe et variée à un trauma ou une pathophysiologie. Le corps enregistre la douleur en réponse à une menace à son intégrité; le patient ou le clinicien interprète la douleur, et cherche à associer la douleur à sa cause (diagnostic ou étiologie) afin d’établir un traitement et prédire son évolution (pronostic). Dans la pratique clinique des soins infirmiers, pratique centrée sur l’évaluation et l’encadrement des symptômes, la lecture de la douleur en tant que signe (l’observation empirique du clinicien) ou en tant que symptôme (l’expérience rapportée par le patient) implique une interprétation et une traduction complexes de manifestations corporelles. Cet article explicitera les dimensions sémiotiques des recherches sur la douleur dans un contexte infirmier (et des implications associées à la pratique clinique) dans deux cas : les études de Xiaomei Cong sur la douleur interventionnelle chez les nourrissons dans des services de soins intensifs néonataux, et les études de Deborah Dillon McDonald sur la communication de la douleur entre soignants et adultes âgés souffrant d’arthrose ou de douleur post-opératoire.
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Culture, Politics and Biology from a Biosemiotic Perspective
Wendy Wheeler
p. 183–203
RésuméEN :
In this article I shall offer some considerations on the implications for political thought (broadly conceived) of the relatively new interdiscipline of biosemiotics. The semiological analysis associated with the work of Ferdinand de Saussure is a now familiar part of cultural and political analysis, but its weakness has always been, first, its narrow focus on human uses of language alone, and, second, its related inability to talk about biology. Given the extent to which human mind and behaviour are an effect of biological systems, this is a considerable omission. Joining culture and nature as part of the evolution of semiotic layers in recursive biocybernetic systems, biosemiotics insists there is an ontological and practical link between both that should be part of scientifically informed political theory and policies.
FR :
Dans cet article je formulerai des considérations sur les implications que peut avoir l’interdiscipline émergente qu’est la biosémiotique sur la pensée politique (entendue au sens large). L’approche sémiologique associée à l’oeuvre de Ferdinand de Saussure est bien connue dans le contexte de l’analyse culturelle et politique. Or, sa faiblesse a toujours été, premièrement, d’avoir mis l’accent uniquement sur les usages humains langagiers et, deuxièmement, son incapacité corollaire à parler de biologie. Compte tenu du fait que l’esprit et le comportement humains sont des effets de systèmes biologiques, il s’agit là d’une omission considérable. La biosémiotique relie la culture et la nature et les intègre dans l’évolution des strates sémiotiques de systèmes récursifs biocybernétiques. Ce faisant, elle insiste sur le caractère ontologique et pratique de ce lien; de surcroît, elle insiste pour que ce lien soit reconnu dans les théories et pratiques politiques informées par la science.
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Biopower, Biopolitics, Biosemiotics: Entangling Mortalities and Moralities
Myrdene Anderson et Elize Bisanz
p. 205–230
RésuméEN :
While biosemiotics moves in the direction of liberating both biology and semiotics from strict observance of the paradigms of the 19th and 20th centuries – via evo-devo-eco models and the ontological turn – we propose a glance backwards as well as a sharper focus on the social and sexual conditions of the present and foreseeable future. We bring together contemporary discourses on feminism, biophilia, biophobia, essentialisms, and denial, with the prescient ideas of biopower developed by Michel Foucault with respect to the nation-state. He addressed a bevy of pathologies endemic in the societies he witnessed at that time; these conditions persist and indeed have flourished, ranging from sexism, to racism, to classism, to technologism, to the outsourcing of work and the exporting of refuse, to the addictive mantra of “sustainability”, all culminating in society’s exercising of power over both life and death, both living and dying, both near and far. We also find biopower a suitable critical lens for pursuing the pathologies surrounding population – population as generated, as regulated, as ignored, as denied, whether or not acknowledged as being the work of wombs.
FR :
La biosémiotique tend à se libérer des paradigmes biologique et sémiotique stricts des XIXe et XXe siècles – recourant à des modèles écologiques, évolutifs, et développementaux, et en tirant parti du tournant ontologique. Nous proposons cependant un regard en arrière ainsi qu’un recentrage sur les conditions sociales et sexuelles du présent et du futur proche. Nous réunissons les discours contemporains sur le féminisme, la biophilie, la biophobie, l’essentialisme et le déni, avec les idées visionnaires de Michel Foucault sur le biopouvoir et l’État-nation. Foucault aborda une série de pathologies endémiques dans les sociétés dont il fut témoin; ces conditions persistent et se sont même accrues, allant du sexisme, du racisme, du classisme, de la technologie, de l’externalisation du travail et de l’exportation des déchets, au mantra addictif de la « durabilité », le tout culminant dans l’emprise sociale sur le vivant et sur la mort, sur l’acte de vivre et celui de mourir. Le biopouvoir se révèle aussi comme une lentille critique appropriée pour expliciter les pathologies qui entourent la population – générée, réglementée, ignorée, niée, reconnue ou pas comme étant le résultat du travail des utérus.
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Siri Fails the Turing Test: Computation, Biosemiosis, and Artificial Life
Victoria N. Alexander
p. 231–249
RésuméEN :
Artificial Intelligence (AI) designers try to mimic human brain capabilities with “self-learning” neural networks trained by selection processes. Yet decades on, AI still fails the Turing Test. While computers use codes and develop algorithms apart from contexts, living cells use signs and develop semiotic habits within contexts. This difference, I argue, is partly due to the collective activities of biological neurons that produce traveling waves, which, in turn, further constrain neural activity. It appears wave patterns function as contexts shaping the content of the local connections. At the time of his death, Alan Turing was investigating the organizing role of emergent wave patterns on biological development. Had he lived to continue this work, he might have reoriented AI research, which instead has become merely a tool for stereotyping and regularizing, not thinking.
FR :
Les concepteurs d’intelligence artificielle (IA) tentent d’imiter les aptitudes des cerveaux humains au moyen de réseaux neuronaux qui apprennent par eux-mêmes grâce à des processus de sélection. Mais même après des décennies d’efforts, l’IA n’en continue pas moins d’échouer le test de Turing. Alors que des ordinateurs utilisent des codes et développent des algorithmes hors contexte, les cellules vivantes utilisent des signes et auto-organisent des habitudes sémiotiques de manière contextualisée. Je soutiens que cette différence s’explique, en partie, par les activités collectives des neurones biologiques qui produisent des ondes, lesquelles contraignent l’activité neuronale. Il appert que les motifs ondulatoires fonctionnent comme des contextes, et qu’ils informent le contenu des connexions locales. Au moment de sa mort, Alan Turing l’inventeur original de l’IA, s’intéressait au rôle organisateur des motifs ondulatoires sur le développement biologique. S’il avait vécu et poursuivi ses travaux, il aurait peut-être réorienté la recherche sur l’IA, laquelle est devenue un outil servant simplement la régularisation et la création de stéréotypes, et non un outil de pensée.
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Biosémiose vs. Robosémiose
Stéphanie Walsh Matthews
p. 251–268
RésuméFR :
Toute quête identitaire nous conduit forcément à un questionnement sur nos origines. Qu’est-ce qui nous distingue de nos proches? Quels sont nos premiers traits humains apomorphes? Quelle est la première instance de notre humanité? Plus généralement, en tant qu’êtres vivants, de quelle manière sommes-nous propulsés vers l’humanisation? La trajectoire des hominides nous parait ici centrale. Si, à l’évidence, l’ensemble des sciences humaines s’y intéressent, la sémiotique intervient principalement pour questionner notre phéno-réalité dans sa dimension biosémiotique (voire aussi paléosémiotique, archéosémiotique, etc.) Notre travail consiste ici à relever les éléments propres à cette trajectoire. Pourra-t-on mieux comprendre nos traits singuliers en étudiant leur inimitabilité? La robotique humanoïde, toujours incapable malgré ses prétentions de reproduire l’être humain, pourrait-elle nous aider à y voir plus clair? En opposant biosémiose et robosémiose, cet article propose de faire un pas dans ce débat, dont l’enjeu consiste à déceler en nous le trait humain le plus significatif et à saisir comment l’inégalable summum de notre humanité pourrait enfin se dévoiler.
EN :
All identity quests forcibly lead us to questioning our origin. What distinguishes us from others that resemble us? What are our first human apomorphic traits? Where lies the initial manifestation of our humanity? And more broadly, how are we, as living beings, propelled toward humanisation? The overall trajectory of hominids is central to those questions. Whereas most of the human sciences are concerned by it, the role of semiotics is to investigate our phono-reality in its biosemiotic (as well as paleosemiotic, archeosemiotic, etc.) aspects. This article seeks to examine various elements that belong to this trajectory. Might we achieve a better understanding of our specific human traits by studying their inimitability? Might humanoïd robotics, which, regardless of its pretentions, is still incapable of reproducing human beings, help us nonetheless in this task? In opposing biosemiosis and robosemiosis, the author treads this path in an effort to determine the most specific human traits and thus uncover how to best reveal the unequaled Apex of our humanity.
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La numérisation de la vie : de la nécessité d’une approche biosémiotique de la convergence des codes
Thierry Bardini
p. 269–285
RésuméFR :
Cet article soutient la thèse que l’approche de la biosémiotique est nécessaire pour faire sens des phénomènes contemporains de la convergence des codes analogique et numérique du vivant. Après avoir explicité cette notion de « convergence des codes » et présenté rapidement le problème posé par la perspective métaphorique du code génétique qui constitue le paradigme fondateur de la biologie moléculaire, l’auteur insiste sur la nécessité de l’ajout de la notion d’interprétant de la sémiotique Peircienne. Cette avancée biosémiotique permet une meilleure compréhension des passages entre l’analogique et le digital, en transformant la notion d’information génétique, comprise non plus comme une substance, mais bien comme un processus.
EN :
This paper claims that biosemiotics is necessary to make sense of the contemporary phenomenon of the convergence of the analog and digital codes of life. After having introduced the notion of “code convergence” and presented briefly the problem raised by a metaphoric take on the “genetic code” that constitutes the founding paradigm of molecular biology, the author insists on the necessity to further our semiotic understanding with to the introduction of Peirce’s concept of the interpretant. This allows biosemiotics to progress and develop a better understanding of the interactions between the analog and the digital by transforming our modeling of “genetic information”, no longer conceived as a substance, but as a process.
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Deep Ecosemiotics: Forest as a Semiotic Model
Timo Maran
p. 287–303
RésuméEN :
Many concepts used in semiotics today are derived from linguistics, philosophy, literature studies and other fields. Yet a genuinely ecosemiotic approach, requires modelling tools that go beyond imagery based on human culture and communication. In this paper, I develop an ecosemiotic research model that uses “forest” as its primary ground. Basing myself on the Tartu-Moscow school of cultural semiotics, I introduce modelling as an analytic method. Then I describe properties of the forest as an ecosystem as well as its experiential meaning for humans. The forest model can be applied in studying common objects of ecosemiotics, but it can also be mirrored back to the objects of general, cultural or social semiotics. The paper concludes with suggestions on developing the forest model in practical research.
FR :
De nombreux concepts employés aujourd’hui en sémiotique dérivent de la linguistique, de la philosophie, des études littéraires et d’autres champs. Une approche écosémiotique authentique nécessite cependant le développement d’outils de modélisation qui vont au-delà d’un imaginaire fondé sur la culture et la communication humaine. Dans cet article, je développe un modèle de recherche écosémiosique qui s’appuie essentiellement sur la « forêt ». Procédant de l’école de sémiotique culturelle de Tartu-Moscou, j’introduis la modélisation comme une méthode d’analyse. Puis je décris certaines propriétés de la forêt, entendue comme écosystème, et de sa signification expérientielle pour les humains. Le modèle de forêt peut s’appliquer à l’étude d’objets ordinaires de l’écosémiotique, mais il peut également être réfléchi sur des objets de la sémiotique général, culturelle ou sociale. Je termine en suggérant des applications pratiques de ce modèle.