Recherches sémiotiques
Semiotic Inquiry
Volume 38, numéro 1-2, 2018 Sémiotique et bande dessinée. Tome 2 Semiotics and Comics. Tome 2
Cette livraison de RS/SI couvre exceptionnellement deux volumes (vol. 37 no. 3 et vol. 38 nos. 1-2). En vertu de notre entente avec la plateforme Érudit elle est présentée ici en deux tomes (Sémiotique et bande dessinée 1 et 2) dont l’ensemble correspond à l’intégralité de la version imprimée.
This publication of RS/SI exceptionally covers two volumes (vol. 37, no. 3 and vol. 38 nos. 1-2). According to the terms of our agreement with the Érudit platform it is presented here in two tomes (Semiotics and Comics 1 and 2) which, together, correspond to the integrality of the printed version.
Sommaire (10 articles)
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Le super-héros et ses possibles : comment lire les comics aujourd’hui?
Camille Baurin
p. 103–125
RésuméFR :
Cet article a pour objectif de présenter la production contemporaine des comics de super-héros en montrant comment celle-ci se fonde désormais sur une réflexivité massive. On partira ainsi de la tendance du genre à se déployer en une variété d’univers alternatifs qui ne cessent de confronter les super-héros à des contreparties de plus en plus subversives. Partant de ce constat, on verra que la réflexivité, après s’être s’établie à l’intérieur des récits, est devenue une stratégie promotionnelle s’enracinant dans les politiques des éditeurs elles-mêmes. Ce faisant, nous pourrons interroger le rôle de la métatextualité au sein d’une industrie contemporaine de culture populaire comme moyen de cerner les contours de la culture geek à laquelle elle appartient plus globalement et de revitaliser en même temps la nature contre-culturelle des comics.
EN :
This article aims to present the contemporary production of superhero comics showing how it is now based on self-reflexivity on a massive scale. To this end we will show how the genre now consistently unfurls a variety of alternative universes that constantly confront superheroes to increasingly subversive counterparts. Based on this observation, we will see how reflexivity, having established itself within comic book plots, has also been turned into a promotional strategy by the comic book industry and its publishers. This will lead us to question the role of metatextuality in comic book culture – an important contemporary popular culture industry – as a means to identify the contours of geek culture (to which it belongs) and simultaneously revitalize the counter-cultural nature of comic books.
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Feintise et travestissement : la BD maquillée
Thierry Groensteen
p. 127–140
RésuméFR :
On propose d’appeler ici travestissement la procédure selon laquelle un médium s’érige en sujet de ses propres fables mais parle de lui-même sur le mode de la feintise, en s’inventant d’autres usages et fonctionnements que les vrais. Cette procédure réflexive semble particulièrement fréquente dans les bandes dessinées. À partir de l’analyse d’un célèbre dessin de Joost Swarte, l’auteur en dégage les principales caractéristiques, avant de s’attarder à commenter l’hypothèse narrative du héros de bande dessinée professionnel, se sachant tel.
EN :
This essay proposes the term “miss-representation” (travestissement) to describe the process whereby a given medium takes itself as subject while lying about itself, its uses and its techniques. This self-reflexive procedure is especially common in the domain of comics. Starting with the analysis of a famous drawing by Joost Swarte, the author comments on the main characteristics of miss-representation before moving on to examine the narrative hypothesis of a comic book hero self-aware of being a “professional hero”.
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Reflets des cités : les mondes en miroir (sans tain) de Schuiten et Peeters
Alain Boillat
p. 141–162
RésuméFR :
L’article étudie la présence de procédés réflexifs dans la série Les Cités obscures, en particulier à travers une comparaison entre les deux versions du premier album, Les Murailles de Samaris. Dans ces albums de bandes dessinées qui privilégient dès leur titre, en tant que facteur de cohésion, des espaces urbains plutôt que les aventures de personnages, l’exhibition spectaculaire du monde tend à primer sur le récit. L’auteur montre comment la démarche réflexive de Schuiten et Peeters demeure solidaire de la construction mondaine. Même si certains motifs qui imbriquent texte et image renvoient à des caractéristiques du langage de la bande dessinée et sont traités de telle sorte qu’ils produisent un discours sur les possibilités du médium, l’immersion dans la fiction n’y est pas pour autant atténuée; elle s’y voit même paradoxalement renforcée grâce à un jeu subtil avec la frontière entre le monde réel et le monde de la fiction qui confère à ce dernier un fascinant pouvoir d’absorption.
EN :
The article examines the presence of reflexive processes in the series Obscure Cities, in particular through a comparison between the two versions of the first album, Samaris. In these comic books, which already in their title give priority to urban spaces rather than to the adventures of characters, the spectacular exhibition of the world tends to prevail over the story. The author shows how Schuiten and Peeters’ reflexive approach is not in contradiction with an emphasis on worldbuilding. Even if some motifs that intertwine text and image refer to characteristics of the language of comic books and are treated in such a way that they produce a discourse on the possibilities of the medium, immersion into the fiction is not attenuated; it is paradoxically reinforced by a subtle interplay between real world and the world of fiction, which gives the latter a fascinating power of absorption.
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Fenêtres sur cases : la fenêtre comme figure réflexive dans quelques bandes dessinées contemporaines
Henri Garric
p. 163–179
RésuméFR :
Cet article décrit comment la bande dessinée peut proposer un nouveau paradigme de réflexivité : la fenêtre prend la place du miroir et remplace une réflexivité du sujet par une réflexivité du code. Les fenêtres dans les bandes dessinées sont les équivalents des cases et elles structurent la planche comme des façades d’immeubles. Plusieurs dessinateurs (de Will Eisner à Pascal Rabaté) utilisent le potentiel spectaculaire de la fenêtre pour montrer explicitement le fonctionnement propre de leurs oeuvres et inventent de nouvelles formes d’albums qui vont déconstruire ou reconstruire la représentation.
EN :
This essay describes how comics may offer a new paradigm of reflexivity : in them the window can play the role of the mirror and replace subject-based reflexivity with code-based reflexivity. Windows in comics are analogues of the comics’ panels and they frame the page as do façades of buildings. Various artists (from Will Eisner to Pascal Rabaté) use the spectacular potential of the window to explicitly highlight their own work and create new forms of graphic novels that deconstruct or else reconstruct representation.
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Comme des perles dans la nuit : lecture de Batman et réflexivité du détail
Denis Mellier
p. 181–201
RésuméFR :
Si les formes de la réécriture transmédiatique et transfictionnelle jouent sur des caractéristiques générales de la fiction matrice ou sur des effets de rupture, de subversion ou de révérence aux éléments du Canon qui fixe les règles du jeu transtextuel, qu’en est-il quand le moteur de toute cette production d’avatars et de versions est un simple instant, un geste, une image, qui se sont imposés au coeur même d’une des stations constitutives du récit. Le jeune Bruce Wayne trouve sa vocation de justicier nocturne et schizée dans le meurtre de ses parents. L’assassin se saisit du collier de perles qui cède et celles-ci s’envolent en l’air, se répandent dans la case, roulent dans la planche, et continuent dès lors d’essaimer formellement et sur le plan figural dans un Batmanverse qu’elles occupent de leur présence visuelle : traces, archives, mémoires ou figures obsédantes? On s’interrogera sur la façon dont l’étude figurale et le réemploi d’un motif visuel ténu, minimal et local, peuvent servir un processus d’engendrement des images qui nourrit une forme de réflexivité spécifique à travers le corpus intermédial de la geste de Batman.
EN :
Transmedia and transfictional “re-writings” typically play off the general characteristics of a source text or else offer various rupturing effects which either subvert or celebrate canonical elements whose very status implicitly sets up the rules of transtextuality. But what happens when the materials that trigger this productivity are less clear-cut, less obvious, less canonical, whether they be found in a single instant, a single gesture, or an image that darts out from the various stations of a narrative? We remember how young Bruce Wayne found his calling as a schizoid masked vigilante in the murder of his parents and how the pearls from his mother’s broken necklace were sent flying in the air, filling the panels of the page. It wasn’t long, however, before those pearls also began roaming, formally and figuratively, the entire Batverse. But what exactly are those “moving” pearls : traces? A form of archive? A memory? An obsessional figure? This essay examines how the study of figures and how the reuse of micro-textual and local motifs can contribute to a generative process whereby images feed a specific form of reflexivity through the epic intermedial corpus known as Batman.
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Politique des mains en vis-à-vis : le dessin comme processus de réflexion
Adrien Genoudet
p. 203–219
RésuméFR :
Il s’agit d’approcher, dans cet article, la manière dont certains auteurs de bandes dessinées se réapproprient, par plusieurs procédés, des images déjà existantes. Ces images, appropriées et diluées par la pratique des dessinateurs nous permettent de comprendre différemment les jeux de miroirs stylistiques lorsqu’on les analyse dans le temps. Chaque reprise d’images, quelle qu’elle soit, est toujours un dialogue temporel avec l’Autre. En s’intéressant aux reprises de photographies dans des bandes dessinées ou aux montages et compositions de David Vandermeulen dans Fritz Haber, nous essayons de comprendre dans cet article, plus largement, le geste de la main du dessinateur prit comme un mouvement de vis-à-vis avec un autre créateur.
EN :
This article focuses on the various means by which comic book artists can re-use or borrow pre-existing images. In each case various forms of stylistic mirroring can manifest themselves. Yet this practice always involves a temporal form of dialogue or conversation between past and present works and artists, one that presupposes a certain reflexivity. Thus, when a cartoonist draws starting from already existing exogenous material to produce second-hand imagery, they are engaging with someone else from a different time. In examining how David Vandermeulen uses pre-existing photographs for his Fritz Haber we seek to highlight the ways in which the artist's hand itself draws a movement that translates an encounter with another artist.
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Pop Art and Nostalgia: The New Lessons of David Vandermeulen’s Ric Remix
Hugo Frey
p. 221–236
RésuméFR :
Dans cet article l’auteur propose une analyse originale de l’oeuvre de David Vandermeulen, Ric Remix (2012), en soulignant la manière dont cette bande dessinée s’approprie et réinvente la série classique réalisée par Tibet & Duchateau, « Ric Hochet ». Le personnage de Ric Hochet est d’abord apparu pour la première fois dans le Magazine Tintin avant sa sérialisation à compter de 1961. Les aventures de Ric Hochet sont encore publiées de nos jours. L’article se sert de l’oeuvre de Vandermeulen pour montrer qu’elle ne correspond pas aux nombreuses attentes contemporaines concernant la relation entre bande dessinée et Pop Art, ni à la mode actuelle pour la nostalgie en tant que topos contemporain de la narration graphique. L’hypothèse défendue ici est que Ric Remix montre que le format narratif graphique peut utiliser et récupérer des images et des techniques pop art sans ressentiment. Dès lors, il appert que le travail rétro peut offrir de nouvelles perspectives fascinantes lorsqu’il est soutenu par une philosophie politique forte.
EN :
This article provides an original analysis of David Vandermeulen’s work, Ric Remix (2012). It underlines how it appropriates and reimagines the classic French language comic strip detective series by Tibet & Duchateau, ‘Ric Hochet’. That work was first published in Tintin Magazine (starting full serializations in 1961) and has continued to the present day. The article uses Vandermeulen’s work to show that it does not conform to many contemporary expectations about either the comics/Pop Art relationship, or the current fashion for nostalgia as a common contemporary theme in graphic narrative. Ric Remix evidences that the graphic narrative format can successfully use and recuperate Pop Art images and techniques without implying any great ressentiment. It informs that retro work can offer new and fascinating perspectives when shaped by a strong underlying political philosophy.
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Regarde, le dessin a bougé. Mark Beyer et le temps de l’autoréflexivité dans Amy + Jordan
Jan Baetens
p. 237–249
RésuméFR :
On voudrait revenir ici sur le feuilleton post-underground de Mark Beyer, Amy + Jordan (à partir de l’anthologie publiée par Pantheon en 2004). Cette série, à la fois portrait d’une génération et expérience narrative et formelle à mi-chemin de l’abstraction et de la figuration, n’est sans doute pas construite autour du problème de l’autoréflexivité. Cependant, elle y apporte une contribution originale dans la mesure où Amy + Jordan se présente comme un travail dans lequel l’autoréflexivité se déploie à travers le temps de la lecture, attirant ainsi l’attention sur le rôle producteur non seulement de l’interprétation, mais aussi sur le déroulement de cette interprétation dans le temps.
EN :
This article offers an analysis of Mark Beyer’s post-underground comics series Amy + Jordan (an anthology of which was published by Pantheon in 2004). This series, which is both the portrait of a generation and a formal and narrative experiment hovering between figuration and abstraction, does not strike immediately as being utterly self-reflexive. However, the work constitutes a highly original contribution to the field of self-reflexivity in as much as the latter involves the reader’s reading time, foregrounding not only the process of interpretation but also how the latter flows temporally.
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La prison comme topique dans la bande dessinée au XXIe siècle : questions d’intertextualité et de réflexivité
Audrey Higelin
p. 251–266
RésuméFR :
Si la bande dessinée n’a évidemment pas attendu le XXIe siècle pour faire de la prison comme fait social une topique significative, ce sont véritablement dans ses occurrences récentes, liées au renouvellement du médium, qu’elle devient le sujet même de nombre d’albums de bande dessinée. En effet, l’importance prise par la prison dans la BD a partie liée avec ce que l’on appelle la BD de reportage, développée notamment par Etienne Davodeau et Joe Sacco, qui a pour volonté explicite de créer de l’empathie et de la solidarité affective entre les gens décrits et le lecteur. 20 ans ferme, « docu-fiction » de Ricard & Nicoby (2012), se place dans cette perspective, en plus d’admettre un objectif véritablement didactique et militant. Par ailleurs, ces dernières décennies ont vu se développer des récits autobiographiques comme ceux de Manu Larcenet ou encore Fabien Neaud, qui rendent compte de situations ordinaires en mettant en scène des héros parfois prisonniers de leur condition. L’autofiction et le témoignage sont aussi des viatiques génériques particulièrement propices au développement d’un discours sur la prison. Ainsi, Berthet One, dans L’Évasion (2011), propose-t-il un témoignage autofictionnel humoristique d’une expérience de détention réelle, alors que Bast, dans En chienneté, relate son expérience d’animateur d’un atelier de BD au sein d’un établissement carcéral, usant de la focalisation externe pour servir des procédés réflexifs.
Il s’agira donc, en se concentrant sur les références évoquées plus haut, mais sans exclure d’autres occurrences pouvant se montrer éclairantes, de mettre l’accent dans cet article sur les dimensions intertextuelles et la réflexivité dans la bande dessinée ayant la prison pour thème principal.
EN :
Although comics obviously did not wait until the 21st century to use the social fact of the prison as a significant topic, the recent renewal of the medium is not unrelated to the rise of this theme in several comic book albums. Indeed, the growing importance of prison as a topic in comics is linked to what is typically called “reportage comics”, developed especially by Etienne Davodeau and Joe Sacco, and which has the explicit goal to create emotional empathy and solidarity between the people portrayed and the reader. 20 ans ferme is a docudrama produced in this context by Ricard & Nicoby (2012) which also carries out a genuinely didactic and militant objectives. Moreover, the recent decades have seen the development of autobiographical stories like those from Manu Larcenet or Fabien Neaud, which depict ordinary situations and present characters that are prisoners of their own condition. Autofiction and testimony are genres particularly conducive to the development of a discourse on the prison. Thus, in L’Évasion (2011) Berthet One offers a humorous autofictional testimony about a real prison experience, while Bast, in En chienneté, recounts his experience as a facilitator of a comics workshop within prison, while using internal focalization to underscore the self-reflexivity of the situation.
Therefore, by focusing on the above-mentioned works, this article addresses the intertextual dimensions and reflexivity of comics that have the prison as their as main theme.