Recherches sémiotiques
Semiotic Inquiry
Volume 33, numéro 1-2-3, 2013 Peirce et l’image Peirce and the Image
Sommaire (14 articles)
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Peirce et l’image : présentation / Peirce and the Image: Presentation
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Iconoscopy Between Phaneroscopy and Semeiotic
André De Tienne
p. 19–37
RésuméEN :
Phaneroscopy and semeiotic study two entities with distinct modes of being : the phaneron and the sign. Each consists in a continuum, one of first intention, the other of second intention, the latter lying within the former. Peirce sought to solve the question of the passage from one to the other since the time of his first publication ‘Upon a New List of Categories’. The mature writings reveal the important role the notion of image plays in this transition. Peirce indeed develops a pragmatic conception of image that turns the latter into the fundamental ingredient of the concrete experience of signs. An image in this sense is not a drawing or a picture, but at first a logical concept with a mathematical basis that helps explain the psychological phenomenon. The image is at the junction between the percept (phaneral element) and the perceptual judgment (the most elementary kind of semiotic event) through the percipuum, and it can be observed through a special kind of activity called iconoscopy. I shall present those properties of the image that allow it to govern the transition between phaneron and sign, and clarify in what sense Peirce could assert that images ‘instigate to judgment’.
FR :
La phanéroscopie et la sémiotique étudient deux entités aux modes d’être distincts : le phanéron et le signe. Chacun forme un continu, l’un d’intention première, l’autre d’intention seconde, ce dernier reposant au sein du premier. Peirce chercha à résoudre la question du passage de l’un à l’autre depuis la publication en 1867 du texte fondateur entre autres de la sémiotique, “Sur une nouvelle liste des catégories”. Les écrits de la maturité révèlent le rôle important joué par la notion d’image dans cette transition. Peirce développe en effet une conception pragmatique de l’image qui fait de celle-ci l’ingrédient fondamental de l’expérience concrète des signes. Une image en ce sens n’est pas un dessin ou une représentation picturale, mais en premier lieu un concept à la fois phanéral et logique dont la base mathématique permet de rendre compte du phénomène psychologique. L’image est à la jonction du percept (élément phanéral) et du jugement perceptuel (l’espèce la plus élémentaire d’événement sémiotique) par l’intermédiaire du percipuum, et c’est en pratiquant une activité spéciale appelée iconoscopie qu’on peut l’observer le plus adéquatement. Notre article présente ces propriétés de l’image qui lui permettent de gouverner la transition entre phanéron et signe, et éclaircit en quel sens Peirce pouvait affirmer que les images “instiguent au jugement”.
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Perception, Dreams, Films: Iconicity and Indexicality in Peirce's Theory of Perception
Anne Dymek
p. 39–61
RésuméEN :
Chronologically speaking, Charles S. Peirce (1839-1914) could have mentioned the technique of film in the context of his phenomenological, or as he called them, phaneroscopic theories. But when he compared the human percepts to “moving pictures accompanied by sounds and feelings” in 1905 (MS 939 : 24), Peirce did not speak of the cinema. However, his investigations in the fields of cognition and phenomenology show relevant intersections with major concepts and problems of filmic perception theory. The present article aspires to investigate Peircian philosophy and film theory through some of their common concepts. The question will be raised as to whether the filmic viewing situation can be understood as a genuine perceptual situation in the Peircian sense. In a first step, I will give an analysis of Peirce’s theory of perception. In contrast to the majority of interpretations of the latter, which emphasize its iconic character, I shall argue for a perceptual process where iconicity is not the starting point but rather the outcome of it. This will imply an analysis of the roles of iconicity and indexicality in perception and of their relation to cinema’s “impression of reality”. Despite the phenomenological realism of cinematic images, the nature of what the viewer actually perceives is not as obvious as one might be tempted to think. Finally, an interpretation of filmic images as “diagrams of perception” will open up to some pedagogical dimensions of film viewing.
FR :
D’un point de vue historique, Charles S. Peirce (1839-1914) aurait pu parler de la technique cinématographique dans le contexte de ses théories phénoménologiques, ou, pour reprendre son propre terme, phanéroscopiques. Mais en comparant, en 1905, les percepts humains à des “images en mouvement accompagnées par des sons et des sentiments” (MS 939 : 24), Peirce ne parlait pas du cinéma. Ceci dit, ses investigations dans le champ de la cognition et de la phénoménologie présentent des intersections importantes avec des concepts et problématiques majeurs de la théorie de la perception filmique. Cet article aspire à examiner la théorie peircienne et la théorie filmique à travers quelques uns de leurs concepts communs. En outre, il sera question de déterminer si regarder un film constitue une situation perceptuelle authentique au sens peircien. Dans un premier temps je donnerai une analyse de la théorie peircienne de la perception. Contrairement à la majorité des interprétations de cette dernière, qui soulignent principalement son caractère iconique, je vais argumenter pour un processus perceptuel où l’iconicité n’est pas le point de départ mais plutôt le résultat. Cela impliquera une analyse des rôles de l’iconicité et de l’indexicalité dans la perception et leur relation avec l’effet d’“impression de réalité” au cinéma. Or, malgré le réalisme phénoménologique des images filmiques, la nature de ce que perçoit le spectateur n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le croire. Enfin, une interprétation des images filmiques comme des “diagrammes de perception” ouvrira vers une dimension pédagogique du visionnage de films.
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La représentation diagrammatique chez Peirce et Wittgenstein : quelques remarques sur une ressemblance de famille
François Latraverse
p. 63–80
RésuméFR :
Cet article esquisse quelques moyens permettant de rapprocher les propos que Wittgenstein a tenus dans le Tractatus logico-philosophicus à propos de la figurativité du langage et divers aspects de la réflexion que Peirce a conduite au sujet de l’iconicité. Il ne saurait être question de conclure à quelque influence que ce soit du second sur le premier mais plutôt de suggérer comment deux pensées construites autour de l’idée de ressemblance peuvent elles-mêmes être similaires.
EN :
This article traces various ways for connecting Wittgenstein’s Picture-Theory of language as developed in the Tractatus logico-philosophicus with C.S. Peirce’s conception of iconicity. The point isn’t to determine whether Peirce could have influenced Wittgenstein but instead to show how two systems of thought built around the idea of resemblance can share a likeness.
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Peirce and the Logic of Diagrams
Paul Forster
p. 81–93
RésuméEN :
Peirce’s insistence that logic and mathematics are prior to, and independent of, the natural sciences faces serious objections. First, his claim that all knowledge is scientific seems to imply that any justification of the principles of scientific method presupposes the legitimacy of those principles and thus is circular. Second, his claim that truths of logic and mathematics hold independently of facts about the actual world seems hard to square with his insistence that they are established by observation using the experimental method. Finally, his view that logic and mathematics are sciences on the same epistemological footing as any other science seems at odds with his view that results in mathematics and logic are more secure than those of the natural sciences. I argue that Peirce’s answers to these objections rest on his theory of icons. If this is right, his theory of icons is central to his epistemology and issues in a view of mathematics and logic that is original and has been largely overlooked.
FR :
L’insistance de Peirce à montrer l’antériorité et l’indépendance de la logique et des mathématiques sur les sciences naturelles rencontre de sérieuses objections : l’affirmation, en premier lieu, selon laquelle tout savoir est scientifique semble laisser entendre que toute justification des principes de la méthode scientifique présuppose la légitimité de ces principes, s’avère un cercle vicieux; sa prétention, en second lieu, à affirmer que les vérités de la logique et des mathématiques se tiennent en dépit des faits concernant le monde actuel, semble difficile à cadrer avec l’insistance qu’il met à affirmer qu’elles sont établies par observation, suivant ainsi la méthode expérimentale; et, finalement, sa vision que voulant que logique et mathématiques soient des sciences au même titre epistémologique que toutes les autres, semble en contradiction avec sa vision voulant que les résultats, en mathématiques et en logique, sont plus fiables que ceux des sciences naturelles. J’argue que les réponses de Peirce à ces objections reposent sur sa théorie des icônes. Si cela s’avère, cette théorie est au coeur de son épistémologie et résulte en une vue originale des mathématiques et de la logique qui a été largement négligée.
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Processes of Imaging and Imagining: Toward a Pragmatic Clarification of the Image
Vincent Colapietro
p. 95–114
RésuméEN :
The paper aims at a pragmatist clarification of imaging and imagining. Using Peirce’s doctrine of the three grades of conceptual clarification (tacit familiarity, abstract definition, and pragmatic elucidation), the author tries to clarify our processes and practices of imaging and imagining by considering them in light of these distinct levels. Above all, he endeavors to push the discussion from the level of abstract definition to that of pragmatic clarification, thereby focusing on the habits of agents in situ, not simply verbal formulations offered in the abstract. Borrowing from Barbara Bolt, he uses as one of his examples that of an artist “working hot”. A process wherein conscious intentions and unconscious drives, cognitive designs and thick materiality, conspire to embody themselves in perceptible media is one especially worthy of examination. Hence, from an overview of Peirce’s general theory of signs, the author turns to some of the specific uses of that theory, uses not central to Peirce’s own interests. Artistic production and performance are foremost among these uses. These are, after all, ones in which the dynamics of imaging and imagining are often more vividly on display than elsewhere.
FR :
Cet article a pour objectif une élucidation pragmatiste des concepts d’imagerie (imaging) et d’imaginer (imagining). Faisant appel à la doctrine peircéenne des trois grades de clarté conceptuelle (familiarité tacite, définition abstraite, élucidation pragmatique), l’auteur vise à rendre clairs les processus d’imagerie et d’imagination pour chaque grade. Plus précisément, il s’engage à déplacer l’enquête de la définition abstraite vers la clarification pragmatique de manière à mettre l’emphase sur les habitudes d’agents in situ plutôt que sur des formulations verbales considérées dans l’abstrait. Pour ce faire, et à titre d’exemple, il emprunte à Barbara Holt la notion d’artiste “travaillant à chaud” (working hot). Il s’agit d’un processus digne d’un examen sémiotique sérieux, où les intentions conscientes, les pulsions inconscientes, les visées cognitives et la matérialité dense (thick materiality) concourent pour prendre corps dans un medium perceptible. Aussi, à partir d’un survol de la théorie générale des signes de Peirce, l’auteur considère-t-il certains usages spécifiques de cette dernière malgré qu’ils n’étaient pas au coeur des préoccupations de Peirce : la production et la performance artistiques. C’est là, tout simplement, que sont mis en évidence avec le plus d’éclat les dynamiques propres à l’imagerie et à l’imagination.
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Esthétique du signe et interprétation des oeuvres d’art
Martin Lefebvre
p. 115–135
RésuméFR :
Y a-t-il un usage en art pour la théorie esthétique de Peirce? À première vue, l’esthétique peircéenne semble assez peu concernée par le problème de l’art. Or, un examen plus poussé montre que ce n’est pas tout à fait le cas. Aussi, plutôt que de plaquer les conceptions de Peirce sur un aspect ou un autre de la pratique ou de la théorie de l’art (par exemple, la créativité, l’histoire de l’art, le style, le genre), ou encore à une oeuvre en particulier, il s’agira ici d’examiner de quelle manière l’art s’insère dans la conception peircéenne de l’esthétique. L’argument est divisé en deux partie. La première section présente la conception peircéenne de l’esthétique dans le contexte des sciences normatives. J’y montre comment l’esthétique entretient des liens avec plusieurs thèmes de la pensée de Peirce, dont sa cosmologie et son agapisme, et le rôle joué par l’abduction et la notion d’insight. La deuxième section considère de quelle manière l’art peut être “admirable” et contribuer au summum bonum. L’esthétique peircéenne suggère que ce qui nous attire vers l’art est une qualité sémiotique entendue comme qualité de l’esprit ou qualité de la Troisièmeté.
EN :
Is Peirce’s esthetic relevant for the philosophy of art – for what is usually referred to today as “aesthetics”? At first glance Peirce’s idiosyncratic esthetic seems quite unconcerned with issues of art. Yet careful examination reveals that this is not the case. Thus, rather than attempt to apply Peirce’s views to some aspect of the practice or the theory of art (e.g., creativity, historiography of art, style, genre), or even to a particular work of art, my intention is to examine how art fits into Peirce’s own conception of his esthetic theory. The talk is divided into two parts. In the first section I present Peirce’s conception of esthetics in the context of the normative sciences. I argue that esthetics connects with various strands of Peirce’s philosophy most notably his cosmology, his agapism, and with the way that important aspects of them hang together around the principle of abduction and the corresponding notion insight. In the second section, I consider in what way art may be said to be admirable, to contribute to the summum bonum. I try to show that Peirce’s esthetic suggests that what attracts us towards art is first and foremost a semeiotic quality qua quality of mind or quality of Thirdness.
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« Ceci est de l’art ». Analyse peircienne de l’image de l’art
Dominique Chateau
p. 137–151
RésuméFR :
Je prends la phrase “Ceci est de l’art” comme une proposition singulière visant explicitement un objet précis – par exemple une toile de Manet ou l’urinoir de Duchamp. En m’appuyant sur la théorie peircienne de l’icône, et plus particulièrement du diagramme, je réfléchis sur “l’image de l’art” qui habite l’esprit de quelqu’un qui prononce cette phrase à l’endroit d’une chose déterminé, une oeuvre d’art ou ce qui en tient lieu. C’est aussi l’occasion de réfléchir sur cette idée d’une certaine image qui, habitant l’esprit de quelqu’un, actualise une relation sémiotique à visée symbolique.
EN :
I take the sentence “This is art” as a singular proposition dealing explicitly with a precise object – for example any of Manet’s paintings or else Duchamp’s Fountain. Relying on Peirce’s theory of the icon, and more specifically on the notion of diagram, I consider the “image of art” that lives in a person’s mind when they utter this proposition while considering a given thing, a work of art or any substitute of one. This also becomes an opportunity to reflect on this idea of an image that, while it lives in our mind, nonetheless actualizes a semiotic relation with a symbolic aim.
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L’image et l’image peinte : Panofsky d’après Peirce
Pere Salabert
p. 153–163
RésuméFR :
Que tirer de la sémiotique de Charles S. Peirce pour l’esthétique, entendue comme réflexion sur l’art? Cet article invite à trouver des liens entre la pensée du célèbre historien et théoricien de l’art Erwin Panofsky et la sémiotique peircéenne. Plus précisément on y examine comment l’interprétation de la trichotomie peircéenne qui assure le rapport du signe à son objet correspond à la tripartition panofskienne de l’idée, de la forme et du contenu dans sa recherche sur la compréhension des oeuvres d’art.
EN :
Can Peirce’s semiotic be useful for aesthetics understood as pertaining to artistic phenomena? This essay invites the reader to consider possible connections between the work of the famous art historian and theoretician Erwin Panofsky and Peirce’s conception of the sign process, or semiosis. More specifically we examine how the interpretation of the Peircean trichotomy of relations between sign and object corresponds to Panofsky’s tripartite distinction of form, idea and content in his attempt to map how we understand works of art.
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La pensée iconique
Nicole Everaert-Desmedt
p. 165–176
RésuméFR :
Nous partons de la distinction que Peirce (C.P. 2.276) établit entre les signes iconiques ou hypoicônes et l’icône pure. Cette distinction nous est apparue fondamentale pour rendre compte du fonctionnement des oeuvres d’art.
Dans des travaux antérieurs, nous avons élaboré, à la lumière de Peirce, un modèle de la communication artistique qui met en rapport la production et la réception d’une oeuvre. Nous considérons que l’objectif d’une oeuvre d’art est de capter ce que Peirce appelle des “qualités de sentiments” (de l’ordre du possible, de la priméité), qui, au départ, sont vagues et confuses. L’artiste les rend intelligibles sous la forme de signes iconiques ou hypoicônes. Cependant, les signes ne parviennent jamais à matérialiser complètement la priméité : l’icône pure demeure irreprésentable.
Ce que fait essentiellement une oeuvre d’art - sa spécificité, à notre avis -, c’est, par un agencement de signes iconiques, conduire le récepteur au-delà de la limite du représentable, à un niveau de pensée iconique, c’est-à-dire une pensée capable d’envisager une qualité totale et infinie.
EN :
This essay begins with the distinction made by Peirce between iconic signs or hypoicons and the pure icon. It is a distinction that we see as being fundamental in accounting for the functionning of works of art.
In some of our previous work we refered to Peirce in order to develop a model of artistic communication that relates the production and consumption of artworks. We believe that artworks aim to capture what Peirce calls “qualities of feeling” (which belong to the world of possibilities or Firstness). Such qualities of feeling are initially vague and confused. The artist renders them intelligible in the guise of iconic signs or hypoicons. However, these signs never manage to fully embody Firstness : Pure icons are irrepresentable.
What work of art do, essentially – where their specificity lies –, is use a pattern of iconic signs to lead the spectator beyond the limit of representability, toward iconic thought; a form of thinking capable of contemplating a total and infinite quality.
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Peirce: Re-Staging the Sign in the Work of Art
Sharon Morris
p. 177–204
RésuméEN :
In the tradition of Rosalind Krauss’ essay “Notes on the Index” (1986) I want to re-posit the importance of the indexical status of the work of art and look at how Peirce’s views of aesthetics, his theory of the sign, and his version of phenomenology, can be useful to our understanding of contemporary works of art. The work of art that emerges from reading Peirce is not a representation of an object in the world but a mode of presentation of experience and in particular feeling. Defined as a complex form of icon, a hypoicon, the work of art is not constrained to mimetic representation but engaged in actively re-interpreting our world and our sense of self, cutting through preconceptions by returning us to the present : presentness, and the possibilities of firstness. Peirce’s late discussion on the study of phenomena, phaneroscopy, allows us to understand the work of art both as a part of our experience, and also as giving meaning to our experience : the work of art as a re-staging of the sign on the cusp between possibility and existence.
FR :
À la façon de Rosalind Krauss dans son article de 1986, “Notes on the Index”, je souhaite de nouveau souligner l’importance du statut indiciaire dans les oeuvres d’art tout en examinant comment la conception peircéenne de l’esthétique, sa théorie du signe et sa phénoménologie peuvent nous être utiles pour étudier l’art contemporain. L’idée d’oeuvre d’art qui émerge de la lecture de Peirce n’est pas fondée sur la représentation d’un objet du monde; elle relève plutôt d’un mode de présentation de l’expérience et plus spécialement d’un sentiment. Définie comme une forme complexe d’icône, une hypoicône, l’oeuvre d’art ne se limite aucunement à sa représentation mimétique. Elle vise plutôt à ré-interpréter notre monde et notre subjectivité au-delà de toute préoccupation de manière à nous retourner au présent : présentité et premièreté. Les considérations tardives de Peirce sur le phénomène et la phanéroscopie nous permettent de saisir l’oeuvre d’art comme à la fois faisant partie de notre expérience et donnant sens à celle-ci : l’oeuvre d’art met en scène le signe à la frontière de la possibilité et de l’existence.
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Le point : un argument en faveur de l’iconicité sémiotique
Francesca Caruana
p. 205–219
RésuméFR :
La sémiotique de Peirce présente le signe sous une forme pragmatiste et non formelle c’est–à-dire dans sa dimension réaliste. Quel que soit le domaine, aucun élément ne peut faire signe sans la spécificité d’un contexte duquel il émerge, si bien qu’il n’y a pas de signe en soi, et dans cet ordre d’idée, l’imbrication des champs de référence du signe rend complexe son interprétation. Les significations multiples d’un signe n’ont de validité qu’en tant qu’elles sont l’objet d’expérience hic et nunc, et que la variabilité du signe n’en représente qu’une interprétation possible. Le point, élément fondamental de représentation scientifique, littéraire ou artistique est considéré ici comme objet-même de l’iconicité.
EN :
Peirce’s semiotics approaches the sign pragmatically and not “formally”, that is to say, in its realist dimension. Whatever the domain, nothing functions as a sign without a context for it to act semiotically. Consequently there is no such thing as a “sign in itself”. This also implies that interpreting a sign requires taking into account the sign’s context, its referencing ability. The multiple significations a sign might possess are valid only in as much as 1) They are objects of experience hic et nunc, and 2) The “variability” of the sign consists of a possible interpretation of it. The point (or period in linguistic usage), which is a basic element for many forms of representation (scientific, literary, artistic, etc.) is considered here as object of iconicity.
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« Un meilleur exemple est une photographie » (CP 2.320). De la valeur de la photographie comme exemple dans les écrits de C. S. Peirce sur le signe.
François Brunet
p. 221–240
RésuméFR :
Cet article prolonge une discussion antérieure sur la place de la photographie dans la réflexion sémiotique de Charles S. Peirce, pour préciser dans ce cadre la fonction de l’image photographique comme exemple pour la théorie sémiotique, plutôt que comme objet théorique à part entière. En se basant sur plusieurs textes des années 1890, on montre que Peirce se sert de l’exemple photographique pour illustrer des points théoriques – comme la distinction entre icône et index – plutôt qu’il ne formule une théorie de l’image photographique – comme index, en particulier. Cette pratique de l’exemple photographique est ensuite interrogée dans sa double relation à un contexte historique – celui de la popularisation de la photographie vers 1890-1900 – et à la notion fréquemment invoquée dans la sémiotique peircienne de “savoir collatéral”, connaissance présupposée pour le fonctionnement correct des signes. La dernière partie de l’article propose de réinterroger la valeur d’exemplarité et la notion de connaissance collatérale dans le contexte de la photographie numérique, où certains commentateurs ont vu une mutation radicale de la sémiotique de l’image photographique. Est introduite ici à titre d’hypothèse la notion symétrique de “doute collatéral”, pour tenter de rendre compte d’un certain obscurcissement de la compréhension commune du fonctionnement technique de l’image photographique. Une courte postface indique que cette hypothèse reste à l’état de conjecture et fait état de quelques développements récents dans la discussion sur la vision peircienne de la photographie.
EN :
This paper further develops a previous discussion on the role of photography in C.S. Peirce’s semiotic thinking, in order to identify more precisely the function of the photographic image, as an examplar in Peirce’s semiotic theory rather than a theoretical object in its own right. Based on several texts from the 1890s, the argument claims that Peirce refered to the photograph in order to illustrate theoretical points – such as the icon/index distinction – rather than formulating a theory of the photograph – as index, especially. Next, Peirce’s use of the photograph as “example” is discussed in relation to both a historical context – that of the popularization of photography in the late 19th century – and to the frequently invoked notion, in Peircian semiotics, of “collateral knowledge”, a knowledge that is implied in the correct functionning of signs. Lastly, the article proposes to re-interrogate the exemplary value of the photograph and the notion of collateral knowledge in the context of digital photography, which has been viewed by some commentators as the site of a radical change in the semiotic make-up of the photograph. A hypothesis is offered, introducing the notion of “collateral doubt” as an attempt to account for a new form of indeterminacy in the common understanding of the technical operations of photography. A short post-scriptum notes that this hypothesis remains a conjecture and briefly reviews some recent developments in the discussion of Peirce’s views on photography.