Le thème choisi pour le présent numéro se situe au croisement de la philosophie morale et des études cinématographiques. Il concerne, pour le dire simplement, l’usage que les spectateurs font des films lorsqu’ils réfléchissent à la conduite à tenir dans leur propre vie ou qu’ils s’apprêtent à émettre des jugements moraux sur la conduite d’autrui. Cette dimension, quoique très courante, n’a que rarement été abordée dans le champ des études cinématographiques. Lorsqu’au sein de ce champ on se mêle de questions éthiques, c’est presque toujours à propos des transgressions opérées par des films qui s’exposent à la censure ou défient les “bonnes moeurs”. L’expérience ordinaire du spectateur, sa façon d’intégrer les films courants dans le “comment dois-je vivre?” qui le travaille plus ou moins explicitement, n’y a pas bonne presse. Dans le combat qui oppose sans cesse le “sens commun” et les chercheurs habités par le “démon de la théorie”, ce sont souvent ces derniers qui ont occupé le terrain : on ne s’est jamais trop penché sur la “philosophie pratique” au quotidien que suppose l’usage des films. La remarque est valable aussi en ce qui concerne le champ critique et intellectuel en général : “faire comme si les personnages étaient de véritables personnes” y est vu comme un signe d’infériorité culturelle, digne de la bêtise de Don Quichotte attaquant les marionnettes de Maître Pierre parce qu’il y “croit trop”. Pourtant, un grand nombre de conversations quotidiennes à propos de cinéma, comme il est courant d’en entendre dans les cafés, les transports en commun, ou au sein de la famille, consistent à commenter la conduite des héros du film qu’on a vu la veille, les choix qu’ils ont opérés pour le pire ou pour le meilleur, ou simplement leur façon d’être ou leur caractère. De nombreux philosophes de l’éthique, comme Bernard Williams, Cora Diamond, ou Owen Flanagan, trouvent naturel de prendre pour exemples des situations tirées de films. S’ils le font, c’est sans doute que le cinéma excelle à suggérer les raisons d’agir de tout un chacun, y compris des crapules, au risque de flirter avec le relativisme moral, tel qu’Octave (Jean Renoir) l’expose dans La règle du jeu (“Ce qui est terrible sur cette terre c’est que tout le monde a ses raisons”). Quantité d’expériences de pensée en philosophie morale, de Hume à Rawls, ont également quelque chose de “cinématographique” par l’importance qu’elles accordent à la position de l’observateur et à la figure du “champ-contrechamp” (comment je vois le monde vs. comment j’apparais au monde), ou par leur figuration du solipsisme. Enfin, au croisement des champs de la philosophie et des études cinématographiques, on ne saurait bien entendu passer sous silence le travail de Stanley Cavell, que ce soit sur la question de l’exemplarité morale, ou sur le contenu proprement éthique, et pas seulement illustratif, des comédies américaines en tant que lieu de formation morale. Toutes ces interactions disciplinaires se produisent autour de certains films, des leçons de vie fictionnelles qui ne sont pas des exhortations, mais des représentations fines de situations particulières. Et puisque “c’est seulement par l'effort imaginatif pour nous mettre à la place d'autrui que nous pouvons accéder à un jugement moral digne de ce nom” (Chavel 2012, 4e de couverture), on conviendra que le cinéma est bien placé pour soutenir cet effort. La question de la “leçon” croise également un domaine aujourd’hui en plein essor, qui intéresse à la fois l’éthique et les Gender Studies, celui de l’“éthique du care”, qui consiste d’abord à tenir compte d’autrui et de ses besoins propres (Paperman & Laugier 2005). Le cinéma peut être conçu …
Parties annexes
Bibliographie
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Parties annexes
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