Recherches sémiotiques
Semiotic Inquiry
Volume 28-29, numéro 3-1, 2008–2009 Esthétique et sémiotique Aesthetics and Semiotics Sous la direction de Dominique Chateau et Martin Lefebvre
Sommaire (11 articles)
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Esthétique et sémiotique : présentation / Aesthetics and Semiotics: Presentation
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À quoi sert la sémiotique en esthétique?
Dominique Chateau
p. 11–30
RésuméFR :
Ce texte concerne les rapports de l’esthétique et de la sémiotique envisagés du point de vue esthétique et, plus précisément, du point de vue de son épistémologie (entendue comme métathéorie des sciences). L’esthétique est à la fois théorie de la réception et théorie de la création, théorie du goût et théorie de l’art. Cette dualité donne le critère par rapport auquel on peut évaluer l’apport sémiologique et/ou sémiotique à l’esthétique et, en particulier, l’apport de Peirce à l’égard de la théorie de l’expérience esthétique.
EN :
This paper deals with the relationship of aesthetics and semiotics considered from the point of view of aesthetics and, more specifically, in terms of its epistemology (understood as the metatheory of science). Aesthetics can be understood as the theory of artistic creation and the theory of the reception of works of art, as the theory of taste and the theory of art. These dualities offer us a criterion with which to evaluate semiotics’ contribution to aesthetics, and, more specifically, to better understand C. S. Peirce’s contribution to the theory of aesthetic experience.
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La rencontre de la sémiotique et de l’esthétique chez Peirce. L’état esthétique de l’esprit comme alternative à une science normative
Jean Fisette
p. 31–56
RésuméFR :
Quelle place Peirce accordait-il à l’esthétique dans son système philosophique? Quels liens trouve-t-on chez lui entre esthétique et séméiotique? En fouillant ces questions, l’auteur trouve une piste très riche et démontre comment les démarches de la réflexion esthétique et séméiotique ont été concurrentes chez le penseur américain. Plus spécifiquement il explique comment, en introduisant au fondement même de l’édifice sémiotique les retombées de l’expérience artistique sous le terme d’un état esthétique de l’esprit (vers 1903), Peirce enrichit de manière considérable sa séméiotique, lui conférant une puissance explicative qui étonne encore aujourd’hui, à mesure que nous le redécouvrons.
EN :
What role does aesthetics play in Peirce’s philosophical system? What ties exist, for him, between aesthetics and semeiotic? Examining these issues, the author shows how concurrent aesthetic and semeiotic concerns were for the great philosopher. More specifically he explains that, in introducing (c. 1903) the upshot of artistic experience — of an aesthetic state of mind, really — as a keystone to his semeiotic edifice, Peirce considerably expanded the outlook of his semeiotic giving it an explanatory power that still amazes today as we begin to more fully rediscover his work.
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Récit de crimes sans châtiment : éléments d’une esthétique pragmatiste
Eric Prince
p. 57–79
RésuméFR :
Cet article entend montrer comment une esthétique pragmatiste inspirée de Peirce peut être appliquée aux études cinématographiques et comment cette approche peut nous aider à réévaluer certains lieux communs à propos du cinéma classique. En offrant une nouvelle perspective sur la culture cinématographique classique, l’esthétique pragmatiste d’inspiration peircéenne pourra aussi nous aider à comprendre un corpus de films récents que je nomme “les récits de crimes sans châtiment”. On considère souvent ces films comme reflétant certains problèmes contemporains relatifs à la perte des valeurs fondamentales dans le contexte de la diversité postmoderne. Nous verrons comment une nouvelle interprétation d’un genre classique peut nous aider à réévaluer cet écueil fondamentalement dualiste. L’approche proposée nous permet aussi d’évaluer de façon précise la contribution du pragmatisme à l’esthétique philosophique et de clarifier son rapport à l’éthique et à la logique.
EN :
This paper intends to show how Peirce’s pragmatic aesthetics can be applied to film studies and how it can help us reevaluate some common views regarding Hollywood classical cinema. By offering a new perspective with which to consider classical film culture, Peirce’s aesthetics also helps us understand a recent trend in filmmaking that I call “narratives of crime without punishment”. Such films are often seen to mirror contemporary problems related to the loss of fundamental values in the context of postmodern diversity. This essay shows how an alternative interpretation of a classical genre can help us reassess what appears to be an essentially dualistic problem. It also illustrates pragmatism’s contribution to philosophical aesthetics and clarifies the latter’s ties to ethics and logic.
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Sémiotique du système des objets dans la poétique de Magritte. La durée poignardée entre aisthésis et semiosis
Bernard Darras
p. 81–108
RésuméFR :
René Magritte est l’un des peintres favoris des sémioticiens de la culture visuelle. Il est vrai que son “art des images” est un bon candidat pour une aventure sémiotique tant les interrogations qu’il pose sont stimulantes. De nombreux sémioticiens, notamment Belges, Français ou Canadiens ont exploré cette oeuvre. Tous se sont évertués à expliciter le fonctionnement de telle ou tel oeuvre ou de telle partie du système sémiotique de Magritte. Dans cet article, nous présentons à notre tour une étude qui traite à la fois de ce système et d’un tableau en particulier: La durée poignardée de 1938. Après un rapide exposé de notre position théorique et de notre programme de recherche, nous procéderons à un rapide inventaire des motifs utilisés dans La durée poignardée que nous mettrons en regard avec le répertoire des figures utilisées par Magritte. Nous procéderons ensuite à l’inscription de cette oeuvre dans son environnement historique de production avant de traiter plus en détail la question du “Mystère” que Magritte a tenté d’évoquer dans toute son oeuvre. Ce sera l’occasion d’aborder sa conception des objets, des habitudes, des symboles et d’exposer notre hypothèse de dépassement du mystère en présentant deux hypothèses dérivées de la sémiotique de C. S. Peirce au sujet du fonctionnement de la phanéroscopie et surtout de la sémiotique.
EN :
René Magritte is a favourite painter of semioticians concerned with visual culture studies. His ‘art of images’ is indeed a good starting point for a semiotic journey as the questions it raises are extraordinarily challenging. Many Belgian, French and Canadian scholars have explored his work (De Tienne, Lefebvre, etc.). All have tried to explain the functioning of a given painting or certain aspects of Magritte’s semiotic system. In this paper, we also turn a specific work by Magritte : La durée poignardée (1938). After a brief presentation of our theoretical stance and our research programme, we conduct a rapid inventory of the motifs used in La durée poignardée, comparing them to the repertoire of figures used by Magritte throughout his career. We then contextualize the painting with regards to the historical situation in which it was created and address in more detail what Magritte referred to as the “mystery” — something he spent his entire oeuvre trying to express. This will offer an opportunity to discuss Magritte’s vision of objects, habits, and symbols; and, finally, to present to the reader our hypothesis regarding this “mystery” by refering it to two ideas acquired from the philosophy of C. S. Peirce concerning phaneroscopy and semiotics.
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Des images et des signes. À propos de la relation indexicale et de son interprétation
Martin Lefebvre
p. 109–124
RésuméFR :
Le présent article cherche à démontrer que le diagnostic des théoriciens du cinéma annonçant la fin du 7e art — dans la mesure où il reposerait sur le concept peircéen de l’index — fait foi d’une profonde incompréhension de la théorie sémiotique de C. S. Peirce. En outre, les nouvelles images numériques de la photographie et du cinéma ne sont pas “moins” indexicales qu’avant et ne sauraient l’être d’un point de vue strictement logique. Ce qui ne signifie pas, toutefois, qu’il n’existe aucune distinction pertinente au plan sémiotique entre l’image photo-filmique d’une part, et la peinture, le dessin, ou l’image de synthèse d’autre part. Nous ferons appel à la classification des signes élaborée par Peirce en 1903 pour examiner ce qui distingue ces deux paradigmes de l’image.
EN :
With the digital revolution several scholars have claimed that photography and cinema has irrevocably changed in that it is no longer indexical. This essay shows this diagnosis to rest on a deep misunderstanding of the concept of indexicality as developed by C. S. Peirce. From a logical perspective, digital images are indeed no “less” indexical. However this doesn’t mean that there exist no semiotically relevant distinctions to be made between photo-filmic images on one hand and painting, drawing and CGI on the other. This essay seeks to investigate such distinctions by calling on Peirce’s 1903 classification of signs.
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L’oeuvre d’art comme Janus : l’expression et le style. Quelques remarques
Pere Salabert
p. 125–140
RésuméFR :
Au cours de la lecture de livres sur l’art ou sur la littérature, on rencontre souvent l’évocation de certaines qualités attribuées aux oeuvres ou même à leurs auteurs au moyen de termes généraux tels qu’expression ou style, sans pour autant nous offrir la possibilité de les différencier. Expression et style, en effet, passent fréquemment pour des synonymes et, lorsque ce n’est pas le cas, tantôt l’un des deux termes efface l’autre, tantôt il est contaminé par sa signification. Dans cet article l’auteur les analyse en essayant de les distinguer.
EN :
In books on art or literature, we often meet the evocation of certain qualities attributed to works of art or even to their authors by means of general terms such as expression or style. More often than not, however, these terms are not clearly differentiated. Indeed, expression and style, are frequently taken to be synonyms and, whenever this is not the case, one of both terms either erases the other, or is contaminated by its meaning. In this article the author analyzes these terms and attempts to distinguish them.
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Caractères et signes : à quoi reconnaît-on la valeur éthique des représentations artistiques? Lecture de la Poétique d’Aristote
Christophe Genin
p. 141–161
RésuméFR :
Dans une oeuvre d’art narrative ou figurative, à quels signes pouvons-nous reconnaître et identifier la qualité morale de tel personnage? À partir d’une lecture des textes d’Aristote portant sur l’art et l’éducation, sur le théâtre ou la musique, nous essayons de dégager certains repères liés à des modes culturels comme à la symbolisation de valeurs morales. Puis, fort de cet acquis, nous tenterons une étude appliquée sur des mythes contemporains qui mettent en scène des héros fictifs empruntés à la culture populaire cinématographique.
EN :
How can we recognize the moral character of a person in a narrative work of art? Following Aristotle’s analysis of art and education, and more specifically his consideration of theatre and music, we seek to identify certain key traits, either connected to cultural manners or to symbolization of moral principles, whose function is to help us identify the ethical dimensions of narrative representation. In the second part of the essay these traits are used to examine some contemporary myths whose heroes populate Hollywood blockbuster films.
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Référence et révérence à l’art ou le classicisme d’Hergé
Pierre Fresnault-Deruelle
p. 163–180
RésuméFR :
Si l’oeuvre d’Hergé parle de son temps, notamment des médias (presse écrite, cinéma, télévision), elle réfère également, quoique plus discrètement, aux arts plastiques (sculpture, peinture, art classique et art moderne). Si l’auteur des aventures de Tintin, de nos jours, commence à être considéré comme un artiste (Le Lotus bleu a fait l’objet d’une exposition au Centre Pompidou en 2005), il n’en fut pas toujours de même. À commencer par l’artiste lui-même qui considéra longtemps son travail comme un art mineur. Est-ce à dire que la façon dont Hergé aborde les tableaux fasse ici symptôme? Le sort réservé non seulement aux toiles mais aussi aux statues dans la saga contée apporte, peut-être, un élément de réponse.
EN :
If Hergé’s work is speaks to its time, notably in its representation of the media (print journalism, cinema, television), it also refers, albeit in more modest proportion, to the plastic arts (sculpture, painting, classical art and modern art). If Tintin’s author is just now getting recognition as an artist in his own right (in 2005 the Centre Georges Pompidou put up an exhibition on Le Lotus Bleu), it wasn’t always this way, starting with Hergé himself, who for the longest time, conceived of his work as a minor art. Does this mean that Hergé’s approach to fine art in Tintin ought to be seen as symptomatic? Perhaps the fate that befalls the various paintings and sculptures throughout his work offers a partial answer.
Article hors-dossier / Individual Article
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What Anchors Semiosis : How Descartes Changed the Subject
Marc Champagne
p. 183–197
RésuméEN :
The goal of this article is twofold. First, it revises the historiographic partition proposed by John Deely in Four Ages of Understanding (2001) by arguing that the moment marking the beginning of philosophical Modernity has been vividly recorded in Descartes’ Meditations on First Philosophy with the experiment with the wax. Second, an upshot of this historical study is that it helps make sense of Deely’s somewhat iconoclastic use of the words “subject” and “subjectivity” to designate mind-independent worldly things. The hope is that successfully accomplishing these twin tasks will give semiotic inquiry a better appreciation of its own history, as well as resources genial to furthering its ongoing development.
FR :
Cet article se donne deux buts. Premièrement, il remet en question le découpage historiographique proposé par John Deely dans Four Ages of Understanding (2001) en soutenant que la genèse de la Modernité philosophique se trouve dans les pages des Méditations métaphysiques de Descartes avec la réflexion sur le morceau de cire. Deuxièmement, un atout de cette étude historique est qu’elle permet de rendre compte de l’usage plutôt iconoclaste des mots “sujet” et “subjectif” par Deely pour désigner les choses du monde indépendantes de la pensée. L’espoir est que le fait de mener à bien ces deux tâches donnera à la recherche sémiotique une meilleure appréciation de son histoire, ainsi que des ressources lui permettant de poursuivre sa croissance actuelle.