À qui parcourt la table des matières du présent numéro de Recherches sémiotiques/Semiotic Inquiry, l’idée pourrait venir qu’il tient entre les mains la livraison d’une publication davantage interdisciplinaire que proprement sémiotique, tant sont divers les objets et les méthodologies réunis en ses pages. La lecture du numéro même confirmera, autant sans doute qu’elle invalidera cette première impression car, si toutes les contributions portent sur la photographie, rien n’est moins certain que toutes parlent du même objet, ni que toutes le fassent de la même façon. La photographie, telle que l’entendent les auteurs de ce numéro, se divise en deux objets ou en deux catégories: d’une part, elle peut désigner un objet, le résultat d’un acte photographique et, d’autre part, elle peut renvoyer à l’acte lui-même, de production et/ou de réception. Dans nombre de cas, il s’avère que pareille division soit artificielle — voire trompeuse et dangereuse — et la plupart des présentes contributions s’efforceront de montrer justement en quoi elle l’est: d’abord en montrant qu’il n’est plus guère possible de penser l’objet en le détachant de l’acte qui l’a produit, et inversement; ensuite en insistant sur le fait que tant l’objet que la pratique photographiques sont eux-mêmes des entités ou des opérations complexes et multiples qu’il est impossible de réduire à des définitions homogènes. Une image photographique, même analysée en dehors de tout renvoi à l’acte qui l’a produite, n’est jamais une image unique. Même en faisant abstraction des débats sur la reproductibilité de la photo (et la lecture des articles de ce numéro indique clairement que ce genre de questions n’occupe plus la place qui était la leur il y a une décennie encore, tellement le numérique semble être entré dans les usages), une image se multiplie inévitablement dès qu’elle se met à circuler, à être diffusée, bref à se prêter à des usages qui sont parfois à mille lieues de ses fonctions initiales. De même, la pratique photographique est elle aussi pensée comme un ensemble d’opérations (de la simple décision de prendre une photo aux efforts de la distribuer de telle ou telle manière), dont la mise en réseau implique la difficulté de les ramener à un seul faire, à un seul opérateur, à une seule temporalité. Il convient toutefois de se demander dans quelle mesure la diversité dont témoigne ce numéro reflète ou non les tendances contemporaines de la sémiotique visuelle appliquée à la photographie. Pendant de longues années, la sémiotique visuelle a été caractérisée par une approche pouvant être qualifiée de ‘spécialisée’ et ce, dans deux mesures. D’abord, parce que les deux grandes traditions sémiotiques, la tradition continentale (Saussure-Hjelmslev-Greimas) et la tradition américaine (Peirce) s’ignoraient largement, et l’absence de dialogue de même que des contestations réciproques accroissaient le repli sur soi-même. Ensuite, parce que l’une et l’autre de ces traditions avaient une propension certaine à se focaliser sur un nombre limité de problèmes: la question du statut indiciel et/ou iconique de l’image (du côté de la sémiotique américaine) ou la question des formants ou paramètres de l’image (du côté de la sémiologie européenne). Bien entendu, il y a toujours eu des go-between et le domaine a priori plus étroit de la sémiotique de la photographie s’est révélé particulièrement fructueux à cet égard, notamment à travers les analyses d’Umberto Eco (1975) qui ont renouvelé l’analyse de l’iconique, celles de Jean-Marie Schaeffer (1987) qui ont joué un rôle clé dans l’acclimatation de bien des idées peirciennes dans la pensée visuelle européenne, ou encore celles du Groupe μ (1983) dont le Traité du signe visuel demeure à ce jour une synthèse inégalée. De même, la photographie …
Parties annexes
Bibliographie
- BARTHES, R. (1957) Mythologies. Paris: Seuil.
- BARTHES, R. (1980) La chambre claire. Paris: Seuil/Gallimard.
- ECO, U. (1975) Trattato di semiotica generale. Milan: Bompiani.
- HALL, S. (éd.) (1997) Representation. Londres: Open University.
- FRIZOT, M. (éd.) (1994) Nouvelle histoire de la photographie. Paris: Bordas.
- GROUPE MU (1993) Traité du signe visuel. Paris: Seuil.
- SCHAEFFER, J.-M. (1987) L’image précaire. Paris: Seuil.
- BARTHES, R. (1972) Mythologies. New York: Hill and Wang.
- BARTHES, R. (1981) Camera Lucida: Reflections on Photography. New York: Hill and Wang.
- ECO, U. (1976) A Theory of Semiotics. Bloomington: Indiana University Press.
- HALL, S. (ed.) (1997) Representation. London: Open University.
- FRIZOT, M. (ed.) (1998) A New history of Photography. Cologne: Konemann.
- GROUPE MU (1993) Traité du signe visuel. Paris: Seuil.
- SCHAEFFER, J.-M. (1987) L’image précaire. Paris: Seuil.