Résumés
Résumé
Malgré la réduction des rejets de phosphore (P) dans l’environnement, les efflorescences phytoplanctoniques sont toujours observées dans un grand nombre de masses d’eau. C’est notamment le cas dans les retenues de barrage où la perturbation de la continuité sédimentaire peut conduire à une accumulation importante de phosphore au sein du compartiment sédimentaire. Ainsi, pour lutter contre l’eutrophisation, une meilleure connaissance de la distribution, de la réactivité et de la mobilité du P sédimentaire s’avère indispensable. Dans ce contexte, les sédiments de surface de la retenue de Champsanglard (Creuse, France) ont été prélevés en différents points selon un gradient amont/aval. Une caractérisation physico-chimique (granulométrie; teneurs en P, Fe, Al, matière organique; fractionnement chimique du P suivant le protocole de RYDIN et WELCH [1998]) a été effectuée afin d’évaluer le potentiel de relargage de P de ces sédiments. Les résultats montrent une évolution de la concentration et de la distribution du P dans les sédiments de surface dans la retenue de l’amont vers l’aval (de 1,5 à 2,3 mg P∙gsec‑1), qui semble corrélée avec l’évolution de la granulométrie. L’analyse du fractionnement chimique a montré que le P était majoritairement lié aux oxyhydroxydes de Fe et Mn amorphes (66 %), ces concentrations augmentant également à l’approche du barrage. Ces résultats indiquent que les conditions d’oxydoréduction sont l’un des paramètres clés du contrôle de la remobilisation du P sédimentaire vers la colonne d’eau. À l’opposé, le P associé aux fractions de la matière organique et de l’aluminium ne semble quant à lui ne pas évoluer spatialement de façon significative.
Mots-clés :
- Eutrophisation,
- retenue de barrage,
- sédiment,
- phosphore,
- fractionnement chimique
Abstract
Despite the reduction of phosphorus (P) discharged into the environment, phytoplankton blooms are still observed in many water bodies, especially in dam reservoirs where the disturbance of sediment continuity could lead to a significant accumulation of sedimentary phosphorus. Thus, a better understanding of the distribution, reactivity and mobility of sedimentary P is essential in the control of eutrophication. In this context, the surface sediments of Champsanglard reservoir (Creuse, France) were sampled at different points along an upstream/downstream gradient. A physicochemical characterization (particle size; P, Fe, Al and organic matter content; P fractionation following the modified protocol of RYDIN and WELCH [1998]) was conducted to assess the potential leaching of P from the sediment. Results show an evolution of the concentration and distribution of P within the dam reservoir from upstream to downstream (from 1.5 to 2.3 mg P∙gdw‑1), potentially correlated with the particle size. Chemical fractionation results show that P was predominantly associated with amorphous Fe and Mn oxyhydroxides (66%) and concentrations increased with distance down-reservoir. This result suggests that the redox conditions are one of the key parameters controlling the remobilization of sedimentary P into the water column. In contrast, P bound to the organic matter and Al fractions did not show any significant variations in spatial distribution.
Keywords:
- Eutrophication,
- dam reservoir,
- sediment,
- phosphorus,
- chemical fractionation
Corps de l’article
1. Introduction
Le phosphore (P) est un nutriment indispensable à la production primaire en milieu aquatique et contrôle directement les phénomènes d’eutrophisation en milieu continental (CARPENTER, 2008; SCHINDLER, 1974; SCHINDLER et al., 2008). À partir de la moitié du 20e siècle, son utilisation intensive dans les détergents et fertilisants a conduit à son enrichissement dans les milieux aquatiques, faisant de l’eutrophisation une problématique prioritaire au niveau mondial (SMITH et SCHINDLER, 2009). La diminution des entrants en P dans les milieux aquatiques, que ce soit par l’amélioration des dispositifs de traitements des eaux ou par l’interdiction d’utilisation des phosphates dans les détergents, ne suffit pas à éviter les proliférations algales dans un grand nombre de retenues.
Depuis la révolution industrielle, le nombre de barrages n’a cessé d’augmenter à travers le monde, atteignant actuellement 58 402 barrages d’au moins 15 m de hauteur (CIGB, 2016). Aujourd’hui encore, le nombre de barrages en construction est en constante augmentation en raison des demandes en eau et en électricité croissantes (ZARFL et al., 2015). Ces barrages entrainent des discontinuités hydrologiques et modifient le transport des sédiments, matières en suspension et composés dissous, le long des cours d’eau (FRIEDL et WÜEST, 2002; VÖRÖSMARTY et al., 2003). L’augmentation du temps de résidence des masses d’eau et la diminution des phénomènes de turbulence favorisent la sédimentation des particules en suspension et le stockage d’éléments biogènes (BARTOSZEK et KOSZELNIK, 2016; SOW et al., 2016). Le P possède une forte affinité avec la fraction particulaire, ainsi l’accumulation de sédiment au sein des retenues crée une charge interne en P, potentiellement remobilisable vers la colonne d’eau. MAAVARA et al., (2015) estiment qu’en 2000, 12 % de la charge globale en P des rivières était stockée dans les retenues de barrage, pouvant atteindre 17 % en 2030.
Le P se trouve sous différentes formes au sein du sédiment, il peut être lié aux oxyhydroxydes de Fe, Al, Mn, au Ca, à la matière organique ou inclus, précipité et/ou adsorbé à la surface de minéraux (PETTERSSON et al., 1988). La stabilité de la plupart de ces différentes formes est principalement contrôlée par les conditions physicochimiques du milieu.
Cette étude s’intéresse à la caractérisation spatiale et à la spéciation du P sédimentaire dans le contexte d’une retenue de barrage. L’analyse de la spéciation du P et des paramètres physicochimiques influençant chaque fraction fournira une meilleure connaissance du système et des mécanismes de mobilisation et de relargage du P. L’ensemble de ces données apportera des outils utiles aux futures politiques de gestion et de remédiation de ces milieux.
2. Matériels et méthodes
2.1 Site d’étude
La retenue de Champsanglard, située dans le département Creuse en France (Figure 1) et sur la rivière Creuse, a été mise en service en 1984 par le groupe EDF. Haut de 19,4 m et long de 102 m, le barrage à contrefort crée une retenue d’une superficie de 55 ha et d’un volume total de 4,2 hm3, avec un temps de séjour moyen des eaux estimé à 3,5 jours. Les eaux de cette retenue sont classées comme étant de qualité « moyenne » concernant le P total (MEDDE, 2015) et qualifiées comme étant en « bon état » par le ministère des Affaires sociales et de la Santé. Pourtant, chaque année elle fait l’objet d’interdictions de baignade causées par le développement important de cyanobactéries (>100 000 cell∙mL‑1) et représente donc un site pertinent pour l’étude du P sédimentaire en vue de son rôle potentiel dans le processus d’eutrophisation.
2.2 Échantillonnage et caractérisation
Les sédiments de surface (jusqu’à 10 cm de profondeur) ont été prélevés en mars 2016 à l’aide d’une benne de type EKMAN en 6 points de la retenue (Figure 1). Après homogénéisation, les échantillons ont été conservés à 4 °C jusqu’à leur arrivée au laboratoire, puis lyophilisés ou séchés à 105 °C et tamisés à 2 mm.
L’analyse granulométrique a été effectuée par diffraction laser en voie humide avec un Mastersizer 3000® (Laboratoire GEHCO, Université de Tours, France). Les teneurs en matière organique (HEIRI et al., 2001), P total (RUBAN et al., 2001) et le fractionnement chimique séquentiel du P (protocole modifié de RYDIN et WELCH (1998), [Figure 2]) ont été analysés. Le dosage du P a été réalisé suivant la méthode normalisée NFT90-023 (MURPHY et RILEY, 1962), et les éléments majeurs Ca, Al, Fe, Mg, Mn ont été analysés par spectromètre d’émission atomique. Les limites de quantifications respectives sont les suivantes : 25 µg∙L‑1, 2,4 µg∙L‑1, 4 µg∙L‑1, 6 µg∙L‑1, 0,2 µg∙L‑1, 1,4 µg∙L‑1
3. Résultats et discussion
3.1 Caractéristiques générales du sédiment
Le diamètre médian (D50) des sédiments de la retenue de Champsanglard est compris entre 19 et 45 µm (Figure 3). Ces sédiments limoneux-sableux montrent une granulométrie décroissante de l’amont vers l’aval, qui reflète la baisse d’hydrodynamisme induite par la présence du barrage. Ils ont des teneurs en matière organique de 20 % qui sont stables dans l’ensemble de la retenue. Ces sédiments sont riches en Fe et Al mais pauvres en Ca (Tableau 1), ce qui reflète la composition des roches métamorphiques et volcaniques du bassin versant de la retenue.
Les concentrations en P total varient de 1,6 à 2,2 mg P∙gsec‑1 de l’amont vers l’aval de la retenue (Figure 3). L’enrichissement des sédiments en P vers le barrage est inversement corrélé avec la granulométrie (LUCAS et al., 2015), car les particules les plus fines sont les plus réactives. De plus, par rapport à d’autres sédiments de granulométrie similaire, les teneurs en P de ces sédiments sont élevées (DERRAZ et al., 2005; LIU et al., 2015).
3.2 Fractionnement chimique du P
Le P est lié majoritairement à la fraction d’oxyhydroxydes de Fe et Mn amorphes (66 %) et à la matière organique (15 %). Les autres fractions représentent des pourcentages inférieurs à 10 % (Figure 4). Seuls 14 % du P sont liés aux fractions difficilement remobilisables que sont les fractions d’oxyhydroxyde d’Al, apatitiques et résiduel. Quatre-vingt-six pourcent du P sont liés aux compartiments remobilisables : fractions liées à la matière organique et aux oxyhydroxydes de Fe et Mn amorphes et cristallins. Le P lié à la matière organique peut être libéré vers la colonne d’eau par les processus de minéralisation. De la même façon, en milieu anoxique, la réduction du Fe et du Mn entraîne la dissolution des oxyhydroxydes et la libération du P associé. Cependant, des réactions secondaires au sein du sédiment ou dans l’eau à l’interface eau/sédiment (réoxydation du Fe2+ en Fe3+ et reprécipitation des oxyhydroxydes de Fe et Mn et du P associé, adsorption du P à la surface de particules minérales ou organiques) peuvent maintenir le P dans le compartiment sédimentaire.
L’augmentation de la teneur en P total de l’amont vers l’aval du barrage est soutenue par l’augmentation du P lié aux oxyhydroxydes de Fe et Mn amorphes de 0,64 à 1,16 mg P∙gsec‑1, ces phases porteuses étant majoritairement présentes dans les granulométries les plus fines (STONE et ENGLISH, 1993).
4. Conclusion
Les sédiments de la retenue de Champsanglard sont caractérisés par de fortes teneurs en P dont 86 % sont associés à des phases liées aux compartiments potentiellement remobilisables (matière organique, oxyhydroxydes de fer et de manganèse). Les caractéristiques du sédiment varient suivant le gradient longitudinal de l’amont vers l’aval, avec une diminution de la granulométrie et une augmentation de la teneur en P total. Le P présente une forte affinité avec les oxyhydroxydes de Fe et Mn amorphes dont la quantité est plus élevée dans les fractions sédimentaires fines, ce qui explique les plus fortes concentrations en P total observées en aval.
Considérant que la zone susceptible d’interagir avec la colonne d’eau correspond approximativement aux premiers 15 cm et supposant une répartition homogène des sédiments de surface sur l’ensemble de la retenue, le stock de P total serait d'environ 63 g P∙m‑2. Ces données soulignent le rôle majeur du potentiel d’oxydoréduction comme paramètre contrôlant de la mobilité du phosphore sédimentaire, et donc la nécessité de minimiser les conditions anoxiques au sein de la colonne d’eau.
Parties annexes
Remerciements
Ces travaux s’inscrivent dans le cadre de la Chaire Grandes Retenues et Qualité des Eaux (http://fondation.unilim.fr/chaire-grqe), financée par Électricité de France et la Fondation Partenariat de l'Université de Limoges. Nous remercions Yoann Gérard, Karine Cleries, Emmanuelle Ducloux et Patrice Fondanèche pour leur aide sur le terrain et/ou dans les analyses.
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