Résumés
Résumé
L’émergence de pathogènes dans l’eau destinée à la consommation humaine représente une préoccupation majeure en matière de santé publique pour les industriels et les pouvoirs publics concernés. Parmi ces pathogènes, certains sont d’origine fécale (Cryptosporidium, Campylobacter ou bien les rotavirus), alors que d’autres vivent dans l’environnent naturel (Legionella, Pseudomonas, Aeromonas ou bien les mycobactéries). Dans l’optique de mettre en place une analyse des risques liés à la présence de ces pathogènes, il est important d’accroître nos connaissances sur l’écologie de ces microorganismes et de développer des outils d’analyse afin de réaliser une meilleure surveillance sanitaire. Par conséquent, l’écologie microbienne du réseau de distribution d’eau potable doit être étudiée en détail, particulièrement vis-à-vis des propriétés physiologiques et la diversité des espèces microbiennes présentes, afin de mieux comprendre les interactions entre les espèces communément rencontrées et celles pathogènes.
Mots-clés :
- réseau de distribution,
- eau potable,
- écologie microbienne,
- biologie moléculaire
Abstract
The emergence of pathogens in water intended for human consumption is a major concern in terms of the public health industry and the public authorities concerned. Among these pathogens, some are of faecal origin (Cryptosporidium, Campylobacter, or rotavirus), while others live in the natural environment (Legionella, Pseudomonas, Aeromonas or mycobacteria). In order to establish a risk analysis related to the presence of these pathogens, it is important to increase our knowledge on the ecology of these microorganisms and to develop analytical tools to achieve better health monitoring. Therefore, the microbial ecology of drinking water distribution networks must be studied in detail, especially with respect to the properties and physiological diversity of the microbial species present, in order to better understand the interactions between species commonly encountered and those that are pathogens.
Keywords:
- distribution network,
- drinking water,
- microbial ecology,
- molecular biology
Corps de l’article
1. L’eau potable : un défi permanent
1.1 Les maladies d’origine hydrique et la potabilité de l’eau
L’accès à une eau dite propre à la consommation humaine est la base de toute civilisation. Le captage ainsi que l’acheminement de l’eau vers les villes ont été principalement initiés par les Romains via la construction des aqueducs (CHANSON, 2008). Ces nombreux aqueducs ont été utilisés pendant des siècles. Certains de ces ouvrages sont encore en service aujourd’hui pour l’approvisionnement des populations en eau potable, c’est le cas notamment de la ville de Paris. Malgré la découverte d’organismes microscopiques vivants dans l’eau par Antonie van Leeuwnhoek en 1676, ce n’est qu’à partir du XIXe siècle qu’une conception de l’hygiène hydrique sera développée. À cette époque, l’accroissement des populations urbaines était telle que les quantités de déchets rejetés dans le milieu naturel ont engendré une pollution des captages, provoquant ainsi de graves épidémies d’origine hydrique (CRAUN et al., 2006; OMS, 2003; SCHOENEN, 2002). En 1855, John Snow identifia l’eau comme source d’épidémie de choléra à Londres. Mais ce n’est qu’après la réfutation de la théorie de la génération spontanée (PASTEUR, 1860) et la démonstration du lien de cause à effet entre un pathogène et une maladie infectieuse (KOCH, 1890), que les pathogènes présents dans l’eau ont pu être reconnus comme responsables de maladies chez l’être humain. Grace aux découvertes de Louis Pasteur et de Robert Koch, la microbiologie va connaître un essor qui constituera les bases de cette discipline et les premiers pas vers une compréhension des maladies d’origine hydrique. À la fin du XIXe siècle, les techniques de culture microbienne ont rendu possible l’isolement des agents pathogènes d’origine hydrique. En plus de ces découvertes concernant les agents infectieux, il est également devenu évident que la pollution des ressources en eau potable par les déchets humains constituait un grave problème de santé publique. La découverte et le développement des procédures de traitement (filtration et désinfection) et de contrôle sanitaire (les indicateurs de contaminations) ont engendré un recul considérable des épidémies d’origine hydrique particulièrement vis-à-vis du choléra et de la fièvre typhoïde (CRAUN et al., 2006; SCHOENEN, 2002). Mais ceci n’aurait pas été possible sans la mise en place de mesures d’hygiène sanitaire telles que l’évacuation des déchets et des matières fécales. Après cette période de progrès, plusieurs découvertes scientifiques sont venues enrichir l’arsenal de lutte antimicrobienne telles que les vaccins et les antibiotiques (Figure 1). À cette époque, les avancées étaient telles que, en 1967, le directeur général de la santé des États-Unis déclarait « la guerre contre les maladies infectieuses a été gagnée » (MORENS et al., 2004). Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, de nouvelles maladies infectieuses apparaissent, montrant ainsi la vulnérabilité de l’être humain face aux infections microbiennes. Au cours des dernières décennies, de nouveaux agents infectieux ont été identifiés engendrant des épidémies dévastatrices dans le monde entier. Face à cette nouvelle ère des maladies infectieuses, Joshua Lederberg définit les infections émergentes et ré-émergentes comme des maladies infectieuses dont l’incidence chez l’être humain a augmenté au cours de ces deux dernières décennies (LEDERBERG et al., 1992). Depuis cette date, de nombreux articles ont été publiés sur ce sujet, en particulier à propos des pathogènes émergents dans l’eau (Neumannet al., 2005; Nwachuku et Gerba 2004; OMS, 2003; SHARMA et al., 2003). Par conséquent, le spectre des principaux pathogènes d’origine hydrique s’est vu élargi (Figure 2). Toutefois, une partie de ces microorganismes fut identifiée avant qu’ils soient reconnus comme agents étiologiques à l’origine de maladies d’origine hydrique (Figure 1). Bien que l’incidence des épidémies d’origine hydrique affecte tous les pays du monde en causant la mort de 1,7 millions de personnes par an, ces épidémies accablent essentiellement les pays en voie de développement en raison d’un approvisionnement en eau impropre à la consommation (OMS, 2002). Malgré cette disparité, les pays développés souffrent eux aussi de sévères épidémies d’origine hydrique (Craunet al., 2006; Karaniset al., 2007). Parmi les plus importantes, celle de Milwaukee (Wisconsin, États-Unis) en 1993, imputée à Cryptosporidium parvum, a affecté plus de 400 000 personnes dont 100 décès (MacKenzieet al., 1994). En plus des conditions socioéconomiques, d’autres facteurs peuvent expliquer l’émergence de ces pathogènes (Figure 3).
L’accroissement de la concentration urbaine de plus en plus importante ainsi que les changements dans l’utilisation de l’eau potable ont contribué à l’émergence de pathogènes d’origine hydrique. En effet, la conception de réseaux de distribution d’eau potable et d’eau chaude domestique ainsi que des systèmes aéroréfrigérants ont créé de nouveaux écosystèmes dans lesquels les microorganismes ont pu se développer. Outre les contaminations liées à des accidents d’exploitation (au niveau des filières de traitements ou des infrastructures de stockage et de distribution), les microorganismes peuvent se multiplier dans le système de distribution (Beaudeauet al., 2007; Delahayeet al., 2003; LeChevallieret al., 1987; LeChevallieret al., 1996). Cette contamination de l’eau potable peut engendrer non seulement une dégradation de la qualité organoleptique, mais aussi des cas de maladie d’origine hydrique (Berryet al., 2006). Des études ont ainsi montré que des contaminations du réseau de distribution sont l’origine d’épidémie et seraient responsables d’une augmentation des maladies hydriques aux États-Unis selon les données recensées depuis 1971 (Beaudeauet al., 2007; Craunet al., 2006). L’exemple type est celui de la bactérie Legionella pneumophila qui colonise les tours aéroréfrigérantes, les systèmes de climatisation et les réseaux d’eau chaude sanitaire. Cette bactérie pathogène, d’origine aquatique, a été identifiée après une épidémie de pneumonie (maladie du légionnaire) en 1976 infectant 192 personnes dont 29 décès (McDadeet al., 1977). D’autres bactéries d’origine environnementale, telles que Pseudomonas aeruginosa et les Mycobactéries (telles que Mycobacterium avium), sont capables de coloniser les réseaux d’eau potable, engendrant ainsi de nouveaux risques sanitaires (Craunet al., 2006; Szewzyket al., 2000).
L’écologie microbienne liée à leur remarquable faculté d’adaptation constitue également un véritable facteur d’émergence de maladies d’origine hydrique. Ceci provient principalement du temps de génération de ces organismes, très court comparé à celui de leurs hôtes. Ainsi, l’utilisation généralisée et abusive des antibiotiques a conduit à l’apparition de bactéries résistantes ou multi-résistantes : Pseudomonas aeruginosa ou certaines entérobactéries (French, 2005). De plus, l’acquisition de gènes de virulence par transfert horizontal peut être responsable de l’émergence ou la réémergence de certains pathogènes tels que Vibrio cholerae 0139 et Escherichia coli O157 :H7 (Sharmaet al., 2003).
Un autre facteur d’émergence de maladies hydriques provient des nouvelles technologies. Afin de répondre aux besoins alimentaires croissants d’une population en constante augmentation, la mise en place de pratiques agricoles intensives a engendré le rejet de grandes quantités de matières fécales dans une zone localisée. Malgré les bénéfices obtenus par ce type d’agriculture, cette dernière a conduit à une contamination des eaux naturelles par lessivage des sols lors de précipitations (Pimentelet al., 2007). De la même manière, la pollution relarguée dans l’environnement par l’intermédiaire des fosses septiques et des usines de traitement des eaux usées constitue aussi un risque de contamination des points de captage (Gerba et Smith, 2005). Ainsi, lors de fortes précipitations, des épidémies d’origine hydrique sont souvent en partie imputables à une pollution des ressources utilisées pour la production d’eau potable (Rizak et Hrudey, 2007).
Les avancées scientifiques réalisées dans les domaines de l’épidémiologie et la microbiologie ont amplement contribué à accroître nos connaissances sur l’évolution des infections et des maladies qu’elles provoquent. Au cours du XXe siècle, le développement des méthodes analytiques a été un élément déterminant pour l’identification, la détection et la caractérisation des micro-organismes pathogènes (voie de transmission, réservoir, infection). En 1973, l’utilisation de la microscopie à haute résolution a permis la découverte des rotavirus, cause de gastroentérites sévères chez les enfants (Bishopet al., 1973). D’autres méthodes analytiques, telles que les milieux de culture sélectifs, ont contribué à l’exploration des pathogènes (Figure 1). Mais l’avancée sans doute la plus remarquable est celle de la technique de PCR qui, avec la méthode de séquençage de Sanger (1977), marquent l’entrée dans une nouvelle ère : celle de l’épidémiologie moléculaire et génomique (Dong, 2008; Pallen et Wren, 2007). D’autre part, le développement des systèmes de surveillance a également contribué à une meilleure compréhension des épidémies d’origine hydrique (CRAUN et al., 2006; KARANIS et al., 2007; SANGER et al., 1977). Paradoxalement, les succès de la médecine moderne ont participé à l’émergence de nouvelles infections hydriques. En prolongeant l’espérance de vie, la médecine a donné lieu à un nouveau groupe de personnes dont le système immunitaire est affaibli. Ainsi, le vieillissement de la population mondiale, l’utilisation de traitements immunosuppresseurs ainsi qu’une recrudescence des maladies immunodépressives (telles que le SIDA) ont créé une large et grandissante population sensible aux maladies infectieuses (Leclerc, 2003; Lewthwaiteet al., 2005). La survenue de l’ensemble des agents infectieux, reconnus aujourd’hui comme pathogènes hydriques, a modifié notre conception de la maîtrise de la qualité de l’eau potable. L’absence d’agent pathogène dans l’eau de consommation et donc le risque « zéro » est devenu un objectif irréalisable. Afin d’assurer la sécurité sanitaire de l’eau destinée à la consommation humaine, les autorités publiques et les industriels se sont donc engagés vers une gestion des risques basée sur une approche globale à chaque étape de la chaîne de la production et de la distribution de l’eau potable.
1.2 Les moyens de prévention et les attentes industrielles dans les pays développés
L’eau potable est produite principalement à partir des eaux de surface et souterraines, en fonction des ressources en eau douce disponibles. L’eau captée dans l’environnement est ensuite traitée par différents procédés (OMS, 2008). Les traitements couramment utilisés incluent la coagulation floculation, la filtration (comme la filtration sur charbon actif ou sur sable) et la désinfection (en utilisant des procédés physiques comme les rayons ultra-violets, ou des réactifs chimiques tels que l’ozone, le chlore, la chloramine et le dioxyde de chlore) en fonction de la qualité de la ressource en eau à traiter (OMS, 2008). Afin de s’assurer de la qualité microbienne dans l’eau potable de l’usine de potabilisation jusqu’aux robinets des consommateurs, une étape de désinfection est généralement réalisée en fin de traitement. Dans cette étape, un agent désinfectant (tel que le chlore, la chloramine ou le dioxyde de chlore) est ajouté et maintenu à une concentration résiduelle dans l’eau potable tout au long de son transit dans le réseau de distribution. Une défaillance dans le système de production et de distribution d’eau potable peut engendrer de graves conséquences sur la santé publique (Hrudeyet al., 2006; Rizak et Hrudey, 2007). Par exemple, l’épidémie d’origine hydrique de Walkerton au Canada en 2000 a provoqué 2 300 cas de gastroentérites dont 65 hospitalisations et sept décès (O’Connor, 2002). Cette épidémie, causée par les pathogènes Escherichia coli O157 :H7 et Campylobacter jejuni, a été attribuée à une contamination d’un captage, provoquée par du fumier bovin issu d’une ferme locale et de fortes précipitations. L’enquête révéla plusieurs défaillances qui ont contribué à cette tragédie comprenant : une protection insuffisante des captages d’eau souterraine et une déficience des traitements (O’Connor, 2002). D’autre part, une mauvaise maintenance du réseau de distribution peut être source d’épidémies hydriques (Beaudeauet al., 2007).
Par conséquent, l’ensemble de ces éléments montre la nécessité d’une gestion des risques sanitaires à différents points du système de distribution d’eau potable. Afin de minimiser les risques d’épidémie hydrique, une approche multibarrière est mise en place. Cette approche met l’accent sur trois points. Le premier point est la protection des ressources qui repose sur le fait que la qualité de l’eau en amont a une incidence sur la qualité de l’eau produite. Ainsi, les distributeurs d’eau potable veillent à protéger les ressources en eau par la mise en place de périmètres de protection. Le deuxième point est la sélection et la mise en place d’étapes successives de traitement. En cas de nécessité de traiter des eaux provenant de ressources dégradées, les producteurs et distributeurs d’eau potable cherchent à mettre en oeuvre une filière de traitement de manière à réduire successivement les paramètres à risques. Enfin, le dernier point concerne la gestion du réseau de distribution. Ce point a un intérêt majeur dans la mesure où il constitue l’étape finale avant le consommateur. Afin de s’assurer de la stabilité microbiologique de l’eau jusqu’au robinet des consommateurs, un désinfectant à effet bactériostatique est ajouté dans l’eau produite en fin de traitement et maintenue dans le réseau de distribution. De plus, les installations de distribution d’eau doivent être conçues, réalisées et entretenues de manière à empêcher l’introduction ou l’accumulation de microorganismes, de parasites ou de substances constituant un danger potentiel pour la santé des consommateurs.
Chaque point décrit dans cette approche multibarrière doit faire l’objet d’un suivi sanitaire afin de vérifier le bon fonctionnement des ouvrages, ainsi que le respect des normes de qualité de l’eau potable (OMS, 2008). Ce suivi est composé d’un programme de surveillance mis en oeuvre par les distributeurs d’eau potable et d’un contrôle sanitaire organisé par les autorités publiques (OMS, 2008). Actuellement, la stratégie de contrôle des risques microbiologiques repose sur la recherche d’organismes indicateurs. Parmi ces indicateurs, on distingue deux types d’organismes. Les germes dits « germes témoins de contamination fécale », non directement pathogènes, mais dont la présence laisse supposer l’existence de germes pathogènes pour l’être humain (Escherichia coli et les entérocoques). Les germes dits « indicateurs d’efficacité de traitement », dont la présence peut révéler un dysfonctionnement des filières de traitement de l’eau potable (les bactéries coliformes totaux, les germes aérobies revivifiables, les bactéries sulfitoréductrices et Clostridium perfringens). D’autre part, le suivi en temps réel des caractéristiques physico-chimiques de l’eau potable (température, pH, turbidité, teneur en chlore résiduel, débit) est souvent utilisé comme paramètre additionnel afin d’en assurer la qualité jusqu’au robinet des consommateurs. Malgré l’importance des paramètres physico-chimiques dans le suivi sanitaire de l’eau potable, ceux-ci sont sujets à des limitations dans l’évaluation des risques. La désinfection de l’eau en fin de traitement et le maintien d’une concentration résiduelle de désinfectant dans le réseau de distribution ont un rôle capital dans la sécurité sanitaire de l’eau potable. Ceci est tel que la désinfection ne doit pas être compromise même dans l’optique de contrôler la formation de sous-produits chimiques dans l’eau (OMS, 2008). Néanmoins, cette désinfection a ses limites du fait d’une résistance microbienne aux biocides. Celle-ci provient de différents mécanismes tels que : les propriétés de surface des microorganismes (par exemple les espèces Cryptosporidium et Mycobactérium), la formation d’agrégats microbiens (particules de charbon actif, biofilms), la résistance acquise par échange génétique et les relations d’endosymbiose avec des organismes supérieurs (Bichaiet al., 2008; Gagnonet al., 2005; Gerbaet al., 2003; LeChevallieret al., 1984; Leileiet al., 2008; Russel 1998; Stewartet al., 1990). Bien que l’idée d’une utilisation de la turbidité comme indicateur de contamination microbiologique demeure sujet à discussion (Gauthieret al., 2003; Kistemannet al., 2002), il n’en reste pas moins que ces paramètres physico-chimiques ne permettent pas une détection spécifique d’une éventuelle contamination microbienne de l’eau potable.
La vérification de la qualité microbiologique de l’eau repose donc principalement sur des indicateurs de contamination fécale et d’efficacité de traitement dont les valeurs paramétriques sont l’absence dans cent millilitres d’eau potable ou des variations dans un rapport de 10 par rapport aux valeurs habituelles, seulement pour le dénombrement des germes aérobies revivifiables. Ces méthodes sont basées sur la faculté des bactéries à croître sur milieu de culture artificiel. Par conséquent, plusieurs limitations sont liées à cette méthode analytique : la difficulté à cultiver des bactéries stressées par les traitements ou le temps passé dans le réseau de distribution, l’interférence des résultats par la croissance de bactéries non ciblées, le temps de croissance élevé de certaines bactéries (Rompréet al., 2002; Tallonet al., 2005). Ce dernier point soulève une importante déficience des analyses microbiologiques de l’eau : le temps d’obtention des résultats. En effet, le délai minimal entre l’échantillonnage de l’eau et la communication des résultats bactériologiques est environ 24 heures. Selon les exigences réglementaires, ce délai peut même être plus long dans certains cas où des analyses complémentaires sont nécessaires avant l’émission d’un avis aux autorités sanitaires. L’eau traverse donc le système de distribution et est consommée avant qu’une évaluation ait été faite. De surcroît, le temps d’obtention des résultats ne permet pas une maîtrise des risques dans l’urgence. Par ailleurs, la surveillance bactériologique de routine de l’eau potable, en soi, est un indicateur limité pour assurer la sécurité de la santé publique. Les pratiques actuelles reposent sur un échantillonnage à un temps donné de l’eau complété par une analyse. Or, une contamination microbienne de l’eau potable pouvant conduire à une épidémie est la conséquence de fluctuations spatiales et temporelles du nombre de pathogènes présents dans l’eau. Par conséquent, les analyses microbiologiques actuelles utilisées dans le suivi sanitaire peuvent s’avérer conformes à la réglementation alors qu’une épidémie hydrique s’est produite (Craunet al., 2002; Nwachukuet al., 2002). De plus, les méthodes actuelles sont basées sur la détection bactérienne indicatrice d’une contamination microbienne dans l’eau. Alors que les pathogènes d’origine hydrique peuvent être soit des virus, des protozoaires ou bien des helminthes, plusieurs études ont montré que les indicateurs bactériens peuvent s’avérer inefficaces dans l’évaluation des risques sanitaires d’origine non bactérienne (Harwoodet al., 2005; Monset al., 2009; Nwachukuet al., 2002; Wilkeset al., 2009).
En conclusion, les méthodes actuelles utilisées dans le suivi sanitaire souffrent de plusieurs limites, notamment des limites de sensibilité et de spécificité du risque sanitaire dues à des microorganismes pathogènes présents dans l’eau potable. Cependant, leur utilisation ne doit pas être remise en cause étant donné leur efficacité à protéger la santé des populations contre les maladies d’origine hydrique depuis de longue date. Néanmoins, l’évaluation de la qualité de l’eau potable nécessite de nouvelles méthodes analytiques. Les défis relatifs à la gestion des risques infectieux liés à l’eau potable sont multiples. Ceci concerne le développement de méthodes rapides, sensibles et spécifiques. Ces outils de diagnostic devront également permettre une analyse des risques sanitaires de l’ensemble des pathogènes hydriques. De plus, leur fiabilité ainsi que leur accessibilité pour une application en routine devront être prises en considération. Les technologies qui permettront un suivi en temps réel pour plusieurs pathogènes dans l’eau potable représenteront un progrès énorme en matière de protection de la santé publique.
1.3 Le développement des techniques de biologie moléculaire : progrès et défis
L’évaluation de la qualité microbienne de l’eau destinée à la consommation humaine est, à ce jour, principalement basée sur des techniques de culture. Largement utilisées en raison de leur facilité de mise en oeuvre, de leur faible coût et d’une interprétation aisée, ces méthodes souffrent de plusieurs limites de sensibilité et de spécificité. Étant donné les risques sanitaires et l’obligation d’assurer une eau propre à la consommation humaine, il est donc essentiel de développer de nouveaux outils analytiques pour le contrôle de la qualité microbiologique de l’eau potable. Grâce aux progrès réalisés dans le domaine de la biologie moléculaire, de nouvelles méthodes offrent des débouchés prometteurs en matière de suivi sanitaire. Aujourd’hui, on dispose donc d’un large éventail de techniques et d’approches moléculaires en fonction de l’objectif recherché (Figure 4).
La première étape commune à toute méthode, incluant les méthodes classiques sur milieu de culture, consiste à échantillonner un volume suffisant et à concentrer les microorganismes ciblés par une méthode appropriée. Cette concentration est nécessaire car les agents infectieux peuvent être présents en faible concentration, variant significativement en fonction du type d’organisme ciblé. Différentes procédures peuvent donc être utilisées pour concentrer les microorganismes présents dans des échantillons d’eau telles que : la filtration, l’ultrafiltration, la séparation immunomagnétique, la centrifugation et l’ultracentrifugation (Borchardtet al., 2009; Boschet al., 2008; Kearnset al., 2008; Hillet al., 2005; Hsuet al., 2001; Straubet al., 2005). Bien que la méthode de filtration ne permette pas une rétention de l’ensemble des espèces bactériennes, elle demeure toutefois la méthode la plus couramment utilisée pour les analyses bactériennes en raison de son faible coût et d’un traitement rapide des échantillons (Brettar et Höfle, 2008; Donget al., 2010; Wanget al., 2007; Yuet al., 2008). En permettant l’analyse de plusieurs dizaines de litres d’eau à forte turbidité, la filtration sur cartouche représente une méthode adaptée pour la recherche des parasites tels que les oocystes de Cryptosporidium et les cystes de de Giardia (Carmenaet al., 2007; Hsuet al., 2001). En outre, l’ultrafiltration s’avère être une alternative pour concentrer simultanément les bactéries, les virus et les parasites provenant d’un grand volume d’échantillon (Hillet al., 2007).
Après concentration des microorganismes cibles, l’analyse des échantillons peut être réalisée soit directement par extraction des acides nucléiques, soit indirectement après une étape de culture puisque les techniques de culture restent l’étalon-or dans la détection et l’étude des agents infectieux (Figure 4). L’extraction des acides nucléiques peut être réalisée avec une variété de protocoles qui reposent, pour la plupart, sur une étape de lyse suivie d’une étape de purification des acides nucléiques extraits. La lyse des microorganismes peut faire appel à un ou plusieurs traitements tels que : des traitements physiques (action mécanique, cycle de congélation-décongélation), des traitements chimiques (des détergents tels que le SDS) ou bien des traitements enzymatiques (lysosyme, protéase) (Valentinet al., 2005). Les propriétés des parois cellulaires externes étant différentes en fonction des microorganismes ciblés, un ajustement des traitements mis en jeu lors de l’étape de lyse est nécessaire (Wintzingerode et al., 1997). Les acides nucléiques sont ensuite séparés des débris cellulaires généralement à l’aide d’un traitement au phénol-chloroforme et/ou guanidine thiocyanate. Afin d’éliminer les contaminants qui pourraient inhiber les réactions enzymatiques utilisées dans les étapes ultérieures, les acides nucléiques peuvent être purifiés par la méthode de gel filtration sur colonne d’exclusion (Purdy, 2005). Les acides nucléiques sont ensuite concentrés par précipitation avec l’éthanol ou un autre alcool (Valentinet al., 2005).
Les acides nucléiques ainsi obtenus peuvent être soit de l’ADN génomique, soit de l’ARN en fonction du type d’organisme ciblé (virus à ARN) et du type de marqueur génétique sélectionné (ARN messager ou ARN ribosomique) (Eichleret al., 2006; Garcès-Sanchezet al., 2009; Keinanen-Toivolaet al., 2006; Perelleet al., 2009). Toutefois, ces approches analytiques ne permettent pas d’établir une corrélation significative sur la viabilité des microorganismes détectés en raison de la persistance des acides nucléiques après la mort cellulaire (Keer et Birch, 2003; Morenoet al., 2007). Afin d’augmenter la spécificité des méthodes moléculaires, une méthode simple pour caractériser les organismes viables consiste à traiter les échantillons avec une sonde intercalant de l’ADN telle que le monoazide d’éthidium (EMA) ou le monoazide de propidium (PMA), avant extraction de l’ADN génomique (Nocker et Camper, 2006; Nockeret al., 2006; Nockeret al., 2007). Alors que l’application de l’EMA est entravée par le fait qu’il peut aussi pénétrer dans des cellules vivantes, le PMA semble être le plus spécifique des cellules dont la membrane est altérée (Nockeret al., 2006). Récemment, une nouvelle approche pour la détection préférentielle des cellules viables a été proposée par Nocker et Camper (2009); elle repose toujours sur un prétraitement avant extraction de l’ADN qui permettrait de sélectionner cette fois-ci les bactéries sur un critère d’activité métabolique. Toutefois, l’application de tels traitements dans l’optique de différencier les cellules viables de l’ensemble des communautés bactériennes présentes dans l’eau potable requiert des mises au point.
Plusieurs méthodes moléculaires ont été développées pour la détection et/ou la quantification des agents pathogènes, l’étude de la diversité microbienne globale, ainsi que le suivi des sources de contamination microbienne dans l’eau (Figure 4). Grâce à sa grande sensibilité, la technique de PCR permet la détection d’agents pathogènes en quelques heures dans un échantillon donné. La méthode de PCR en transcription inverse (RT-PCR) offre la possibilité de détecter la présence de molécules d’ARN spécifiques, notamment les virus à ARN (Garcès-Sanchezet al., 2009). Afin de détecter l’ensemble des pathogènes d’origine hydrique, un large éventail de gènes ciblés peut être utilisé. Pour les eucaryotes et procaryotes, les gènes cibles incluent les gènes dits « ménagers » (tels que les protéines de choc thermique), les gènes ribosomiques (les ADNr 16S et ADNr 18S) et les gènes de virulence (tels que les gènes codants pour des toxines). Dans le cas des virus, les gènes cibles peuvent être des gènes codants pour des protéines de structure (telles que les protéines constituant la capside) ou des protéines de fonction (telles que les polymérases) (Jiang, 2006; LeGuyaderet al., 2003, VanHeerdenet al., 2003). Grâce à la conception de nombreuses amorces et de sondes nucléotidiques, les techniques de PCR multiplexe et de puce à ADN ont rendu possible la détection simultanée de plusieurs agents pathogènes (Choet al., 2000; Maynardet al., 2005). Afin de diminuer le temps d’obtention des résultats ainsi que les équipements requis pour la détection moléculaire de pathogènes, les méthodes LAMP (loop-mediated isothermal amplification) et NASBA (nucleic acid sequence based amplification), basées sur l’amplification isotherme d’acides nucléiques, ont été développées (Karaniset al., 2007; Heijnen et Medema, 2009). Un module de biocapteur microfluidique permet la détection d’organismes pathogènes (Escherichia coli, les spores de Bacillus anthracis, les oocystes de Cryptosporidium parvum) en seulement 15 à 20 minutes (Baeumneret al., 2003; Nugen et Baeumner, 2008; Zaytsevaet al., 2005). De plus, une plateforme automatisée a été mise au point, permettant ainsi la concentration, la purification et la détection de pathogènes par PCR (Straubet al., 2005). Même si ces nouvelles méthodes ne permettent pas l’analyse d’un grand volume d’échantillon, elles nécessitent toutefois une amélioration de leurs limites de détection. Ce type de technologie offre des perspectives prometteuses vers une analyse en continu des pathogènes d’origine hydrique présents dans l’eau potable.
Bien que la détection permette un diagnostic rapide sur la présence/absence de pathogène dans l’eau, une quantification des agents infectieux représente une question essentielle pour l’analyse des risques sanitaires. Ceci peut être réalisé par les techniques NASBA et PCR en temps réel, cette dernière pouvant être précédée d’une étape de transcription inverse (RT-PCR en temps réel) pour la détection de molécules d’ARN (Garcès-Sanchezet al., 2009; Heijnen et Medema, 2009). Les résultats ainsi obtenus sont exprimés en nombre de copies de génome par volume mais cette valeur n’est pas identique au nombre de cellules par volume qui peut être obtenue par les techniques de microscopie telles que la méthode FISH (fluorescence in situ hybridization) (Amannet al., 1995). L’hybridation de sondes nucléotidiques, marquées par fluorescence et ciblées contre les ARN ribosomiques, permet la détection et la quantification de groupes d’espèces ou d’espèces microbiennes sans étape de culture (Amannet al., 1995; Manzet al., 1993). Des approches multiparamétriques, combinant les sondes physiologiques (fluorophores tels que l’iodure de propidium ou le SYTO-9) avec les sondes taxonomiques (celles utilisées avec la méthode FISH) permettent d’évaluer la viabilité d’espèces microbiennes ciblées (Savichtchevaet al., 2005). De plus, la méthode FISH a été améliorée en utilisant une séquence d’acide nucléique peptidique (PNA-FISH) à la place d’une sonde d’ADN, favorisant ainsi la pénétration de la sonde à travers la paroi externe des microorganismes (Stenderet al., 2002). Une autre variante de la technique FISH a été développée, la méthode CARD-FISH (catalyzed reporter deposition fluorescent in situ hybridization) qui facilite la détection des microorganismes avec une faible concentration intracellulaire d’ARN tels que ceux rencontrés dans des environnements oligotrophes comme l’eau potable (Wilhartitzet al., 2007).
L’émergence et la réémergence de certains pathogènes indiquent que la présence de microorganismes pathogènes, non considérés comme étant d’intérêt, peut représenter une menace future pour la santé des consommateurs. À l’aide d’amorces nucléotidiques dites universelles, l’amplification par PCR des gènes codant les ARNs ribosomiques (ADNr 16S et ADNr 18S) et le séquençage de ces produits de PCR ont permis d’identifier l’ensemble des microorganismes pathogènes et non pathogènes dans l’eau (Eichleret al., 2006; Slapetaet al., 2005; Valsteret al., 2009; Williamset al., 2004). Depuis l’avènement du pyroséquençage, il est devenu possible de surmonter les problèmes d’échantillonnage des banques d’ADNr 16S et de diminuer les coûts de séquençage (Huberet al., 2007; Soginet al., 2006). De manière plus globale, les approches métagénomiques ont apporté une compréhension plus précise des espèces microbiennes, de la variabilité de leur génome, et de la distribution intra- et inter-espèce des gènes et des voies biochimiques (Audicet al., 2007; Heinemannet al., 2006; Luet al., 2007; Schmeisseret al., 2003). Toutefois, l’ensemble de ces techniques apporte une grande quantité de séquences qui nécessite un certain niveau d’expertise pour l’analyse des données.
Les techniques d’analyse microbiologique basées sur la recherche de germes indicateurs permettent la détection d’éventuelle contamination microbienne du système de distribution d’eau potable. Dès lors qu’une telle contamination est détectée, il est nécessaire de remonter à la source de cette défaillance afin d’établir les mesures correctives et préventives adéquates. Dans ce domaine, plusieurs méthodes de biologie moléculaire ont été développées afin de déterminer de manière précise l’origine d’une contamination microbienne (Figure 4). Ces méthodes de suivi des sources de contamination ont permis de distinguer les contaminations d’origine fécale provenant de bétails, de la faune ou bien de l’homme (Tallonet al., 2005). Parmi ces méthodes, certaines sont fondées sur des techniques de « fingerprint » de l’ADN génomique (PFGE, ribotypage) ou bien d’ADN amplifié par PCR (RFLP, RAPD, AFLP, BOX-PCR, REP-PCR, ERIC-PCR) provenant d’isolats microbiens (Meayset al., 2004; Simpsonet al., 2002). Ces techniques permettent donc de différencier les espèces ou les sous-espèces microbiennes à partir de leur polymorphisme génétique (Aydinet al., 2007; Tacãoet al., 2005). Bien que ces approches peuvent s’avérer des outils précieux lors d’études épidémiologiques (Casiniet al., 2008; Ficaet al., 1996; Hakkinenet al., 2009), elles nécessitent toutefois l’isolement sur milieu de culture de souches environnementales ainsi qu’une base de données de profils génétiques (Santo Domingoet al., 2007). Afin de palier à ces limitations, les méthodes de LH-PCR (length-heterogeneity-PCR) et de T-RFLP (terminal restriction fragment length polymorphism) ont été développées comme techniques alternatives (Fieldet al., 2003). Mais l’usage de ces approches demeure limité dans le domaine de la microbiologie industrielle en raison d’un équipement onéreux (Meayset al., 2004; Simpsonet al., 2002).
En conclusion, la biologie moléculaire a apporté de grands progrès dans le domaine analytique pour la surveillance de la qualité microbiologique de l’eau potable. Toutefois, des difficultés demeurent dans le développement d’une méthode universelle pour collecter, traiter et analyser un échantillon d’eau. En effet, ces techniques moléculaires nécessitent des contrôles cruciaux à chaque étape de l’analyse tels que la concentration, l’extraction des acides nucléiques, la détection et/ou la quantification des microorganismes ciblés. Par ailleurs, une grande partie de ces analyses repose sur l’utilisation d’amorces et de sondes nucléotidiques de gènes ciblés. Alors que le nombre de séquences génétiques dans les banques de données ne cesse de croître de manière exponentielle, il est nécessaire de vérifier la spécificité des amorces utilisées pour la détection et la quantification des espèces pathogènes avec les données actuelles. Malgré le développement de nouveaux outils bioinformatiques, des difficultés importantes subsistent en raison d’une annotation et d’une organisation insuffisantes des séquences ainsi que la présence de nombreuses séquences erronées (telles que les chimères) dans les banques de données (Christen, 2008; Hugenholtz et Huber, 2003). Dès lors, l’identification des séquences d’ADN, obtenues par les méthodes de séquençage de Sanger (1977) ou de pyrosequençage, est aussi sujette à ce type de complication, nécessitant ainsi un certain niveau d’expertise dans l’analyse des données. Par conséquent, il y a un besoin d’amélioration technologique, de normalisation, de validation et d’automatisation de ces techniques en vue d’une application systématique pour l’analyse de l’eau potable. Par ailleurs, ces technologies moléculaires ne donnent pas encore suffisamment d’information sur la viabilité et la virulence des microorganismes détectés. Dans l’optique d’une application dans la surveillance sanitaire de l’eau potable, ces méthodes de biologie moléculaire doivent encore être améliorées afin d’accroître leur précision, leur fiabilité et leur sensibilité.
L’une des conséquences les plus intéressantes des approches moléculaires, pour l’étude des microorganismes dans les eaux traitées ou non, est que le concept de la mort cellulaire a été reconsidéré en raison de la découverte de stratégies de survie adoptées par les microorganismes.
2. L’écologie microbienne dans le réseau de distribution d’eau potable
2.1 La découverte de la partie cachée de l’iceberg : les microorganismes non cultivables
Pendant longtemps, l’absence de croissance de microorganismes sur un milieu de culture signifiait leur absence ou leur mort. Le développement des techniques analytiques de biologie moléculaire et cellulaire a rendu possible l’étude directe des espèces microbiennes au niveau cellulaire sans étape de culture (Amannet al., 1995; Joux et Lebaron, 2000). Le développement d’instruments de mesure, tels que la cytométrie en phase solide ou en flux, a également contribué à l’utilisation de ces méthodes directes en microbiologie industrielle (Allegraet al., 2008; Lepeupleet al., 2004; Pheet al., 2005). En comparant les données obtenues avec ces méthodes directes et les techniques de cultures traditionnelles, il a été montré que seulement à 0,001 à 15 % de la flore microbienne totale est cultivable dans un environnent donné (Amannet al., 1995). Dans l’eau potable, la proportion de microorganismes cultivables peut être comprise entre 0,01 et 0,42 % du nombre de cellules totales (Berneyet al., 2008). Bien que cette disparité puisse être en partie attribuable à l’utilisation de conditions de culture inappropriées (temps et température d’incubation, composition du milieu) pour certaines espèces microbiennes ou bien à la présence de cellules mortes, il est maintenant reconnu que les méthodes de culture peuvent considérablement sous-estimer la diversité des espèces microbiennes présentes dans un environnement (Amannet al., 1995).
Les microorganismes présents dans l’environnement, notamment dans l’eau potable, sont exposés à des conditions de stress telles une faible concentration en nutriments, une action oxydante des agents désinfectants ou bien des variations de température. Grâce au développement de sondes fluorescentes, différentes fonctions physiologiques et structures cellulaires peuvent être évaluées telles que le potentiel membranaire, l’activité enzymatique, l’intégrité membranaire (Figure 5) ou bien l’activité des pompes à flux cellulaire (Joux et Lebaron, 2000). À travers l’utilisation de sondes fluorescentes, plusieurs études ont ainsi évalué l’état physiologique ainsi que la croissance sur un milieu de culture donné de plusieurs espèces microbiennes soumises à des conditions de stress (par exemple : une carence en nutriments, des variations de température et de pH ainsi que la présence d’agents bactéricides). Ainsi, il a été montré que des microorganismes soumis à un ou plusieurs stress environnementaux, après inoculation dans un microcosme simulant les conditions rencontrées dans l’eau potable, perdent leurs capacités à croître sur un milieu de culture artificiel mais conservent une activité cellulaire ou une membrane externe intacte (Bouloset al., 1999; Changet al., 2007; Liuet al., 2008; Wong et Wang, 2004). Bien que l’utilisation d’un milieu appauvri en éléments nutritifs permette une plus grande récupération des cellules microbiennes présentes dans l’eau, il n’en reste pas moins que le taux de récupération des microorganismes présentant une activité cellulaire par les techniques de culture demeure faible (Berneyet al., 2008; Reasoner et Geldreich, 1985; Servaiset al., 2009).
Au cours de ces dernières années, un corpus important de travaux a été publié dans lequel les méthodes de culture et d’analyse directe ont été comparées. Ces données montrent qu’une variété d’espèces microbiennes, soumises à diverses conditions de stress (simulant celles rencontrées dans les environnements naturels), perdent leur cultivabilité mais conservent des caractères de viabilité cellulaire (Oliver, 2005). Ainsi, le terme d’état viable mais non cultivable (VNC) a été introduit pour décrire des microorganismes viables, déterminé par des marqueurs de viabilité, mais qui ne sont plus cultivables dans des conditions de culture standard (Oliver, 2005; Xuet al., 1983). Les microorganismes qui entrent dans un état viable mais non cultivable subissent généralement un certain nombre de changements physiologiques (des modifications d’expression génique, métabolique ou de la composition membranaire) et morphologique (McDOUGALD et al., 1998; Oliver, 2005). L’entrée des cellules dans un état VNC a été proposée comme une stratégie de survie des microorganismes en réponse à des conditions environnementales hostiles (Oliver, 2005). Bien que ce concept d’état VNC ne soit pas universellement partagé et que certains chercheurs ont argumenté en faveur d’une sénescence cellulaire engendrant une perte de la cultivabilité des cellules microbiennes (Nyström, 2001), l’existence d’un tel état VNC a été décrit pour un grand nombre d’espèces microbiennes incluant aussi bien des bactéries Gram négatives que positives (Oliver, 2005; Signoretto et Canepari, 2008). Parmi ces bactéries figurent la plupart des pathogènes d’origine hydrique tels que Shigella dysenteriae, Escherichia coli O157:H7, Vibrio cholerae O1, Burkholderia pseudomallei, Legionella pneumophila, Salmonella enterica, Campylobacter jejuni ou Helicobacter pylori (Alamet al., 2007; Cappelieret al., 1999; Changet al., 2007; Howard et Inglis, 2003; Liuet al., 2008; Morenoet al., 2007; Rahmanet al., 1996; Reissbrodtet al., 2000). Il a été également montré que les agents pathogènes à l’état VNC peuvent conserver des caractères de virulence (Colwellet al., 1996; Jolivet-Gougeonet al., 2006; Rahmanet al., 1996). Une expérience sur la pathogénicité potentielle de cellules à l’état VNC a été réalisée en inoculant une souche atténuée de Vibrio cholerae O1 à l’état viable mais non cultivable chez plusieurs volontaires (Colwellet al., 1996). Les résultats ont ainsi montré la capacité de Vibrio cholerae à l’état VNC à se multiplier dans l’intestin humain (Colwellet al., 1996). D’autres pathogènes d’origine hydrique (tels que Salmonella typhimurium, Campylobacter jejuni ou bien Shigella dysenteriae) ont montré une capacité à maintenir un ou plusieurs facteurs de virulence (tels que la production de toxines ou l’adhésion à des cellules de l’épithélium intestinal) lorsque les cellules sont à l’état VNC (Jolivet-Gougeonet al., 2006; Klančniket al., 2009; Rahmanet al., 1996). Alors que certains auteurs ont apporté des preuves sur des effets pathogènes causés par des cellules à l’état VNC, d’autres ont toutefois observé une perte de la pathogénicité chez certaines espèces pathogènes (Cappelieret al., 2005; Caroet al., 1999). Finalement, la virulence d’espèces microbiennes à l’état VNC demeure sujette à discussion et davantage de données sont requises afin de mieux caractériser le danger sanitaire potentiel lié à la présence de pathogènes hydriques à l’état VNC.
L’utilisation des techniques analytiques sans culture préalable de microorganismes a révélé l’existence d’une vaste diversité microbienne cultivable et non cultivable présente dans le système de distribution d’eau potable. Cette compréhension de l’écologie microbienne dans le système de distribution est nécessaire afin de concevoir des stratégies de contrôle efficaces et novatrices qui garantiront la sécurité sanitaire de l’eau potable.
2.2 La diversité des espèces microbiennes dans l’eau potable
Les limites fixées pour la qualité microbiologique de l’eau potable peuvent aboutir à la conception erronée de conditions quasi stériles dans l’eau potable. Cette idée fausse peut provenir d’une part de l’absence de germes indicateurs dans l’eau potable (par exemple : les coliformes totaux et Escherichia coli). D’autre part, il est souvent perçu que les microorganismes peuvent difficilement survivre aux différents traitements de potabilisation. Or, les techniques de culture, comme celles utilisées pour le suivi de la qualité de l’eau potable, sous- estiment sévèrement la diversité microbienne dans l’eau potable. En effet, les cellules microbiennes dans l’eau peuvent être difficilement isolées par des techniques de culture, et les microorganismes peuvent adopter un état cellulaire dit viable mais non cultivable. Par ailleurs, les producteurs d’eau potable mettent en oeuvre des filières de traitements dans l’optique de diminuer successivement les microorganismes présents dans l’eau. Étant donné les conditions hostiles que représentent les traitements de potabilisation pour la vie microbienne, la présence de microorganismes dans l’eau potable est souvent perçue comme une éventuelle défaillance dans le processus de traitement ou dans le système de distribution. Malgré l’action bactéricide des agents désinfectants, cette étape de désinfection ne constitue pas, par définition, une stérilisation de l’eau potable. Alors que les filières de traitement permettent d’atteindre les obligations de résultats fixées par la législation, les usines de potabilisation actuelles ne permettent pas une rétention complète de l’ensemble des microorganismes dans l’eau. Par conséquent, une diversité microbienne cultivable et non cultivable peut être détectée dans l’eau potable en fin de traitement. Parmi la diversité microbienne rencontrée dans l’eau en sortie d’usine de traitement, on peut observer la présence de virus (Rinta-Kantoet al., 2004), de bactéries (Hoefelet al., 2005; Tokajianet al., 2005; Ulteeet al., 2004), de champignons (Niemiet al., 1982; Zacheuset al., 2001), de protozoaires (Hoffman et Michel 2001; Thomaset al., 2008) ou d’invertébrés (Changet al., 1960).
L’objectif des différents procédés utilisés dans le traitement de l’eau potable est d’éliminer les microorganismes pathogènes présents dans l’eau. Les principaux mécanismes d’élimination des microorganismes auxquels font appel ces procédés de traitement sont basés sur l’adsorption (coagulation-floculation, filtration), l’exclusion stérique (filtration) et la perte de viabilité cellulaire (désinfection). Ainsi, chaque étape de traitement peut affecter la composition et la structure des communautés microbiennes présentes dans l’eau traitée (Eichleret al., 2006; Kormaset al., 2010; Norton et LeChevallier, 2000). De plus, une étude basée sur l’analyse des séquences d’ADNr 16S indique que la diversité microbienne peut être aussi impactée par la stratégie de désinfection, notamment l’utilisation du chlore ou chloramine (Williamset al., 2004). Par conséquent, le choix des procédés de traitement utilisés pour la production d’eau potable influence donc la diversité microbienne présente dans l’eau en fin de traitement. Par ailleurs, la majorité des usines de potabilisation dans le monde utilise soit les eaux de surface, soit les eaux souterraines. En analysant les variations des populations microbiennes dans l’eau provenant de différents systèmes de production, plusieurs études ont ainsi montré que l’origine de la ressource en eau utilisée affecte la microflore présente dans l’eau en fin de traitement (Eichleret al., 2006; Humrighouseet al., 2006). Ces travaux indiquent également que plusieurs groupes microbiens, détectés dans l’eau potable produite, sont aussi présents dans l’eau brute, suggérant ainsi que certaines espèces microbiennes peuvent traverser les différentes barrières de traitement (Eichleret al., 2006).
Certains microorganismes présents dans les eaux à potabiliser peuvent entrer, passer au travers et se reproduire à l’intérieur des procédés de traitement (les milieux filtrants : charbon activé et sable) (Hammeset al., 2008; Schreiber, 1997). En plus de facteurs extrinsèques liés à la qualité de l’eau traitée (tels que le pH, la température et la turbidité) qui peuvent influencer l’efficacité des traitements de potabilisation (Huanget al., 1997), plusieurs facteurs intrinsèques liés aux microorganismes peuvent conduire à la pénétration au travers d’une partie ou de l’ensemble des ces barrières de traitement. L’élimination des microorganismes par adsorption est régie par des interactions électrostatiques et hydrophobes. Herathet al. (1999) ont ainsi montré que l’élimination des coliphages par microfiltration était liée à leurs charges électrostatiques et leurs points isoélectriques. Ce processus dépend donc des propriétés physico-chimiques des microorganismes et des adsorbants (Busscheret al., 2008; Langletet al., 2009; Rizzoet al., 2008). Par ailleurs, les procédés de traitement par exclusion stérique seuls (filtration) peuvent s’avérer peu efficaces dans la rétention des virus en raison de leur faible taille, comprise entre 100 et 20 nm environ (Fiksdal et Leiknes, 2006). Ainsi, la désinfection constitue généralement la principale barrière contre les agents pathogènes, notamment les virus. Malgré l’action bactéricide de ces traitements, certains microorganismes peuvent survivre aux traitements de désinfection. Une résistance peut être conférée par des propriétés de surface cellulaires telles que la paroi cellulaire des Mycobactéries ou des bactéries à Gram positif (Gerbaet al., 2003). De la même façon, la capside virale complexe de l’adénovirus type 40, composée de plusieurs protéines de capside et de fibres protéiques, apparaît comme un mécanisme de protection aux radiations UV (Thurston-Enriquezet al., 2003). De plus, certains microorganismes sont capables de produire un stade cellulaire hautement résistant aux traitements de désinfections; c’est le cas des bactéries sporulées (telles que les espèces du genre Bacillus), des spores de champignons, des oocystes et des kystes des protozoaires (comme les espèces appartenant aux groupes des Cryptosporidium, Giardia et des microsporidies) (Betancourt et Rose, 2004; Dumètreet al., 2008; Gerbaet al., 2003; Restainoet al., 1995; Ridgway et Olson, 1982). Pour qu’une désinfection soit efficace, un contact entre les désinfectants et les microorganismes est nécessaire. Par conséquent, les capacités des microorganismes à coloniser des particules et à s’agréger peuvent ainsi influencer l’action des désinfectants (Camperet al., 1986; Gassilloud et Gantzer, 2005; Hoff et Akin, 1986; LeChevallieret al., 1984; Leileiet al., 2008; Stewartet al., 1990). D’autre part, le mode et le site d’action des désinfectants peuvent être aussi la cible de résistance chez certains microorganismes. La capacité d’une désinfection aux rayons UV dépend de la formation de dimères thymidiques dans le génome des microorganismes irradiés. Cette désinfection aux rayons UV peut donc être compromise par des mécanismes de réparation microbiens (Bohrerova et Linden, 2006; Sirikanchanaet al., 2008). De plus, certains microorganismes pathogènes peuvent demeurer viables à l’intérieur de certains organismes supérieurs tels que des invertébrés ou des protozoaires (Bichaiet al., 2008). Le cas bien connu de la réplication de Legionella à l’intérieur d’amibes n’est qu’un exemple de microorganismes pathogènes bénéficiant d’une protection et d’une structure résistante contre l’action des bactéricides, permettant ainsi le transport et la survie de pathogènes d’origine hydrique au travers des systèmes de production et de distribution d’eau potable (Bichaiet al., 2008). Après traitement, l’eau potable constitue un milieu pauvre en nutriments représentant ainsi un environnement oligotrophe. Dans ces conditions, les cellules microbiennes peuvent adopter des changements physiologiques (réduction de l’activité métabolique) et morphologiques (réduction de la taille cellulaire) (Klančnik et al., 2009). Considéré comme une stratégie de survie à une carence en nutriments, cet état cellulaire chez les bactéries peut conférer une résistance aux désinfectants (Lisleet al., 1998; Sabyet al., 1999). Par conséquent, les microorganismes présents dans l’eau disposent donc d’un éventail de stratégies leur permettant de survivre à un ou plusieurs des traitements mis en oeuvre pour la production d’eau potable.
Bien que les filières de traitement permettent d’éliminer un grand nombre de composés organiques dans l’eau (Matilainenet al., 2002), la matière organique restante peut être source de nutriments pour la croissance microbienne dans le réseau de distribution d’eau potable (Gagnonet al., 2000; LeChevallieret al., 1987; LeChevallieret al., 1991; Volk et LeChevallier, 1999). La flore microbienne rencontrée dans l’eau potable peut donc être composée de microorganismes hétérotrophes qui utilisent la matière organique biodégradable comme source d’énergie. Ceci est notamment le cas de certains protozoaires (tels que des ciliés, des flagellés et des amibes), bactéries, champignons (tels que des levures et des moisissures), ou bien de certains métazoaires (tels que des rotifères et des nématodes) (Amblardet al., 1996; Gonçalveset al., 2006; Hageskalet al., 2006; Norton et LeChevallier, 2000; Tokajianet al., 2005). Par ailleurs, des microorganismes chimiotrophes facultatifs ou stricts, utilisant les composés minéraux comme source d’énergie et le CO2 comme source de carbone, peuvent également être présents dans l’eau potable. Le métabolisme de ces microorganismes peut utiliser soit des éléments ou des ions nitrite (tels que Nitrobacter et Nitrospira), ammonium (tels que Nitrosomonas, Nitrosococcus et Nitrosospira), fer ferreux et/ou manganèse (tels que Gallionella, Siderocapsa, Pedomicrobium et Thiobacillus), ainsi que les ions sulfate, thiosulfate et sulfite (tels que Desulfovribrio et Desulfotomaculum) (Holtet al., 1994; Slyet al., 1990). La présence en faible quantité de microorganismes phototrophes (diatomophycées) a également été signalée dans des réservoirs d’eau potable (Amblardet al., 1996).
L’ensemble des microorganismes présents dans l’eau potable peut être regroupé en trois catégories, comprenant la flore microbienne indigène, les pathogènes potentiels et les germes indicateurs, ainsi que les microorganismes nuisibles (Tableau 1). La flore bactérienne indigène est principalement composée d’espèces ou de groupes d’espèces couramment identifiés dans les environnements aquatiques et terrestres (Norton et LeChevallier, 2000; Tokajianet al., 2005). En plus des pathogènes d’origine hydrique reconnus (section 1.2), des espèces microbiennes potentiellement pathogènes peuvent aussi être présentes dans l’eau potable (Tableau 1). Ceci comprend principalement des espèces impliquées dans des infections opportunistes ou nosocomiales (Pavlovet al., 2004). Bien que les cyanobactéries ne soient pas directement responsables de maladies infectieuses, certaines espèces, produisant des toxines, peuvent proliférer dans les eaux de surface et les bassins filtrants (AWWA, 2004). Les toxines relarguées dans le milieu (par exemple la microcystine LR produite par Microcystis aeruginosa) peuvent ainsi contaminer les filières de traitements ou bien l’eau produite en fin de traitement (Hitzfeldet al., 2000; Hoegeret al., 2005). Ceci a donc conduit l’OMS à publier une valeur limite indicative de 1 µg•L-1 de microcystine dans l’eau potable (OMS, 2008). Les microsporidies, organismes unicellulaires appartenant au groupe des champignons, peuvent être également impliquées dans des cas de diarrhées chez des personnes immunodéprimées, particulièrement chez les personnes atteintes du SIDA (Lewthwaiteet al., 2005; Nwachuku et Gerba, 2004). Les champignons présents dans l’eau potable sont généralement considérés comme des contaminants. Alors que certaines espèces de champignons peuvent causer des infections chez l’homme, telles que des allergies et des infections respiratoires, le risque sanitaire lié à une contamination de l’eau potable par ce type de microorganismes demeure, à ce jour, partiellement caractérisé (Hageskalet al., 2009). Le dernier groupe d’organismes pouvant être présent dans l’eau potable concerne les microorganismes nuisibles (Tableau 1). Ces derniers ne représentent pas une menace pour la santé publique, mais peuvent détériorer la qualité organoleptique de l’eau potable. Parmi ces organismes, les bactéries impliquées dans des phénomènes de corrosion (bactéries du fer et du souffre) peuvent être à l’origine de la dégradation des matériaux utilisés dans le réseau de distribution ainsi qu’une dégradation de la qualité organoleptique (couleur et odeur) dans l’eau potable distribuée aux consommateurs (AWWA, 2004). Les bactéries nitrifiantes peuvent s’avérer problématiques pour les producteurs et distributeurs d’eau potable puisqu’elles peuvent contribuer à l’appauvrissement de la teneur en chloramine dans l’eau potable, compromettant ainsi la gestion de la qualité de l’eau potable dans le réseau de distribution (AWWA, 2004; Berryet al., 2006). Des problèmes de flaveur dans l’eau potable peuvent aussi provenir de microorganismes tels que des actinomycètes, des champignons ou encore des algues (AWWA, 2004; Hageskalet al., 2009; Suffetet al., 1999; Zaitlin et Watson, 2006). Par exemple, certaines espèces de champignons (Chaetomium globosum) et d’actinomycètes (Streptomyces) produisent des composés organiques, la géosmine ou le 2-méthyl-isobornéol, qui sont associés à des odeurs et des saveurs apparentées à des gouts de « moisi » et « terreux » dans l’eau potable (Hageskalet al., 2009; Suffetet al., 1999). Par ailleurs, des microorganismes macroscopiques peuvent également être détectés dans l’eau potable, tels que des arthropodes, des nématodes, des crustacés ou bien des rotifères (Tableau 1). Ces organismes sont principalement sources de plaintes des consommateurs (Montielet al., 1999).
2.3 Les biofilms : une niche écologique microbienne
Afin d’assurer les besoins d’une population urbaine en pleine expansion, la construction de vastes réseaux de distribution ramifiés d’eau potable s’est avérée nécessaire. Malgré les avantages certains apportés par ces infrastructures, elles sont en contrepartie impliquées dans la détérioration de la qualité de l’eau ainsi que dans la diffusion de pathogènes d’origine hydrique. L’origine des microorganismes dans les systèmes de distribution provient principalement de l’eau produite qui, après traitement, véhicule une microflore diversifiée ainsi que des composés organiques ou minéraux dont une fraction est biodégradable. Cette population microbienne, adaptée à l’environnement que représente l’eau potable (milieu oligotrophe, agent désinfectant), peut coloniser le réseau de distribution et proliférer au sein de niches écologiques appelées biofilms (LeChevallieret al., 1996).
2.3.1 Le développement des biofilms
Les biofilms peuvent être définis comme un assemblage de microorganismes associés à des produits extracellulaires et vivant fixés à une surface biotique ou abiotique (Davey et O’Toole, 2000). Basée sur des analyses microscopiques et moléculaires de biofilms formés à partir de souches bactériennes pures et de populations microbiennes mixtes d’environnements naturels, la formation des biofilms a été décrite comme une succession d’événements (Figure 6), comprenant les étapes d’adhésion, de développement, de maturation et de détachement (Davies, 2003; Stoodleyet al., 2002a). Ce développement structuré en plusieurs étapes a également été observé sur des biofilms formés dans un système de distribution d’eau potable modèle (Martinyet al., 2003). Ce processus commence par l’adsorption de composés du milieu environnant (tels que des molécules organiques et des ions), conduisant à la formation d’un film de conditionnement (Bakkeret al., 2003; Bakkeret al., 2004; Schneider, 1996). Puis, les microorganismes peuvent rentrer en contact avec la surface grâce à différents mécanismes tels que les mouvements browniens et la convection, la gravitation, la sédimentation, la diffusion et la mobilité intrinsèque des microorganismes (Boset al., 1999). L’adhésion microbienne au support se fait dans un premier temps de manière réversible, via des interactions physico-chimiques entre les microorganismes et la surface conditionnée (Katsikogianni et Missirlis, 2004). Des interactions entre les structures de surface des cellules (par exemple : les pilis) et le matériau peuvent également contribuer à l’adhésion des microorganismes (Stoodleyet al., 2002b). La transition vers une adhésion irréversible est généralement caractérisée par l’excrétion de substances polymériques conduisant à la formation d’une matrice reliant les cellules microbiennes entre elles (Costertonet al., 1987; Stoodleyet al., 2002a). L’attachement irréversible marque le passage d’un mode de vie planctonique à un mode vie sessile engendrant des changements de morphologie et d’expression génique chez les microorganismes (Stoodleyet al., 2002a; Donlan, 2002). Après l’adhésion de cellules pionnières, les microorganismes peuvent se multiplier tandis que d’autres organismes planctoniques peuvent être recrutés pour former le biofilm, constituant ainsi des colonisateurs microbiens secondaires (Costertonet al., 1987, Stoodley et al., 2002a). La maturation du biofilm va engendrer la formation d’agrégats cellulaires, recouvrant de manière hétérogène la surface, formant ainsi une architecture microbienne tridimensionnelle (Costertonet al., 1987; Costertonet al., 1994; Stoodleyet al., 2002a; Wimpennyet al., 2000). Au cours de la croissance du biofilm, des détachements de cellules microbiennes peuvent se produire sous l’action de différents mécanismes tels que l’érosion par des forces de cisaillement, l’abrasion causée par la collision avec des particules, la desquamation d’une fraction du biofilm, la prédation de certaines espèces bactérivores, une carence en nutriments, ou bien l’intervention de l’homme par le nettoyage des ouvrages (Huntet al., 2004; Lehtolaet al., 2004; Rochexet al., 2009; Telgmannet al., 2004; vanLoosdrechtet al., 1995; Zacheuset al., 2001). Lorsque des cellules sont relarguées dans le milieu environnant, elles peuvent éventuellement reprendre un mode de vie planctonique ou non, et coloniser de nouvelles niches écologiques (Stoodley et al., 2002a). À ce stade, la composition microbienne et la structure des biofilms matures continuent d’évoluer par l’adhésion, la croissance et le détachement de cellules microbiennes (Stoodleyet al., 2001; Martinyet al., 2003). Un état « stationnaire » n’est sans doute jamais atteint en raison de fluctuations fréquentes des conditions environnementales (variations du régime hydraulique, de la concentration en désinfectant, de la biomasse planctonique). Par conséquent, le développement des biofilms dans les réseaux de distribution d’eau potable peut être perçu comme un processus dynamique en constante évolution où les composés et les microorganismes dans la phase liquide interagissent avec ceux présents dans les biofilms (Figure 7). La prolifération et le détachement de ces biomasses à la surface des matériaux en contact avec l’eau potable peuvent ainsi conduire à une contamination microbienne de l’eau dans les systèmes de distribution (LeChevallieret al., 1996).
2.3.2 Les relations structures-fonctions
De par son architecture et sa structure, le mode de vie microbien sous forme de biofilm confère plusieurs avantages pour les microorganismes (Davey et O’Toole, 2000; Flemming, 2002; Jefferson, 2004). Les cellules microbiennes présentes dans les biofilms sont enchevêtrées au sein d’une matrice de substances polymériques telles que des saccharides, des acides nucléiques et des protéines (Sutherland, 2001). En plus des polymères secrétés, la matrice des biofilms peut être composée de nutriments adsorbés, de produits de cellules lysées ainsi que des particules de matériaux et de détritus provenant de l’environnement immédiat (Flemming, 2002; Liuet al., 2002; Martinyet al., 2003; Ridgway et Olson, 1981). Les composés présents dans la matrice extracellulaire peuvent donc constituer une source de nutriments pour les cellules microbiennes présentes dans les biofilms (Sutherland, 2001). Cette matrice assure également une stabilité mécanique aux biofilms, leur conférant ainsi une résistance aux forces de cisaillement (Percivalet al., 1999; Stoodleyet al., 2002b; vanLoosdtrechtet al., 1995,). Par ailleurs, en comparant les microorganismes fixés à la surface d’un matériau avec leurs homologues planctoniques, il a été montré que les biofilms microbiens présentent une résistance accrue aux agents désinfectants (LeChevallieret al., 1988; Ryu et Beuchat, 2005; Steed et Falkinham, 2006; Tachikawaet al., 2005). Plusieurs mécanismes peuvent expliquer une telle résistance, tels que l’architecture des biofilms ou bien l’état cellulaire des microorganismes (Cloete, 2003; Mah et O’Toole, 2001). Parmi ces mécanismes, la matrice extracellulaire peut jouer le rôle d’une barrière de diffusion en limitant la pénétration des désinfectants (DeBeeret al., 1994; Janget al., 2006). De plus, les composés de la matrice peuvent réagir avec les agents oxydants (Characklis et Dydek, 1976), conduisant ainsi à une consommation de l’agent désinfectant (Chandy et Angles, 2001; Luet al., 1999; Mombaet al., 2000). En outre, l’architecture tridimensionnelle des biofilms à la surface offre également des avantages certains pour les microorganismes. La formation hétérogène des biofilms à la surface d’un matériau permet la formation d’espaces interstitiels. Ces derniers peuvent être considérés come de véritable canaux, transportant l’oxygène et certains nutriments pour les cellules microbiennes des biofilms (Costertonet al., 1994; Donlan, 2002). Toutefois, la diffusion limitée de ces composés à l’intérieur du biofilm peut engendrer des zones non oxygénées (Costertonet al., 1994). Les biofilms permettent ainsi la formation de microniches aérobies et anaérobies au sein des colonies microbiennes, favorisant l’établissement de métabolismes complémentaires (Davey et O’Toole, 2000). Aussi, la proximité des microorganismes par juxtaposition cellulaire constitue un environnement approprié pour des échanges génétiques, des communications cellulaires, ainsi qu’une utilisation optimale des substrats disponibles (Camperet al., 2004; Davey et O’Toole, 2000; Lisle et Rose, 1995; Shapiro, 1998). Par conséquent, les biofilms représentent des écosystèmes complexes et structurés, conférant un environnement favorable pour la croissance et le maintien des microorganismes dans le réseau de distribution. Le mode de vie sessile des microorganismes apparaît donc comme une stratégie de survie à des conditions environnementales hostiles telles que celles rencontrées dans l’eau potable.
2.3.3 L’étude des biofilms dans le système de distibution d’eau potable
Plusieurs analyses par microscopie ont étudié in situ la surface de conduites d’eau potable colonisée par des microorganismes (Donlan et Costerton, 2002; Flemming, 2002; LeChevallieret al., 1987; Liuet al., 2002; Ridgway et Olson, 1981,). Toutefois, il est difficile d’étudier les biofilms formés dans le réseau de distribution en raison des contraintes industrielles occasionnées par le remplacement de sections de canalisation. Pour ce faire, des dispositifs expérimentaux ont été développés afin d’étudier la structure et la dynamique des biofilms formés sous l’action d’eau potable (Boe-Hansenet al., 2003; Delahayeet al., 2006; Kjellerupet al., 2004; Mathieuet al., 2009; Pariset al., 2007; Pereiraet al., 2002; Torvinenet al., 2007). Le principe de ces systèmes pilotes repose sur la colonisation de supports de même nature que les matériaux utilisés dans la construction des ouvrages de stockage et de distribution de l’eau potable. Ainsi, ces dispositifs permettent un échantillonnage régulier et répétable des populations microbiennes fixées à la surface de matériaux en contact avec l’eau potable. De cette manière, il a été montré que l’ensemble des matériaux métalliques (l’acier, le cuivre et la fonte), organiques (le chlorure de polyvinyle, le polyéthylène, le polypropylène et le caoutchouc) et composites (le béton et les résines époxy), au contact avec l’eau potable, sont potentiellement générateurs de biofilms (Cloeteet al., 2003; Flemming, 2002; Hallamet al., 2001; Lehtolaet al., 2004; Niquetteet al., 2000; Percivalet al., 1999; Simõeset al., 2006; vanderKooijet al., 2003). La densité cellulaire pouvant être dénombrée au sein d’échantillons de biofilms formés à la surface de matériaux en contact avec l’eau potable peut être comprise entre 104 et 109 cellules par cm2 (Cloeteet al., 2003; Delahaye 2004; Langmarket al., 2005; Paquinet al., 1992; Percivalet al., 1999). En visualisant par microscopie électronique le développement d’un biofilm formé sous l’action d’eau potable, Martiny et al. (2003) ont observé la formation d’une structure microbienne pouvant atteindre 30 µm d’épaisseur et recouvrant 95 % de la surface colonisable après 600 jours d’incubation. Cependant, ces valeurs peuvent considérablement varier d’une étude à une autre puisque la formation des biofilms dans les réseaux de distribution est fonction du temps de colonisation, du type de surface colonisée et des conditions environnementales (régime hydraulique, caractéristiques physico-chimiques et biologiques de l’eau) (Hallamet al., 2001; Niquetteet al., 2000; Norton et LeChevallier, 2000; Percivalet al., 1999). Dans une étude réalisée sur un système de distribution en banlieue parisienne, il a été estimé que les biofilms à la surface d’une conduite de 100 mm de diamètre peuvent représenter une biomasse microbienne 25 fois plus importante que celle présente dans la phase aqueuse (Figure 8) (Servaiset al., 2004) . Toutefois, lors de faible concentration en désinfectant dans le réseau, l’idée que les biofilms représentent l’essentiel de la biomasse microbienne dans le réseau de distribution peut s’avérer erronée (Srinivasanet al., 2008). En conclusion, le développement des biofilms dans le réseau d’adduction d’eau potable se fait sous la dépendance de nombreux facteurs et peut être considéré un phénomène inéluctable, quels que soient les matériaux utilisés dans la construction des infrastructures de stockage et de distribution.
2.3.4 La diversité et les intéractions microbiennes dans les biofilms
Les biofilms, caractérisés par une structure hétérogène, sont remodelés en permanence du fait de l’adhésion, de la multiplication et du détachement de cellules microbiennes. La diversité des espèces rencontrées au sein des biofilms peut varier dans le temps et dans l’espace (Martinyet al., 2003; Martinyet al., 2005). D’autre part, la composition microbienne des biofilms peut être affectée par le type de surface colonisée (les matériaux organiques, métalliques et composites) et par les propriétés physico-chimiques de l’eau (telles que les concentrations en désinfectant et en matières organiques) (Lehtolaet al., 2004; Mathieuet al., 2009; Norton et LeChevallier, 2000). Dans une étude récente, Mathieuet al. (2009) ont montré que les populations bactériennes (appartenant aux α-, β-, et γ-protéobactéries) au sein des biofilms peuvent se réorganiser lorsqu’elles sont exposées à une chloration discontinue, et ceci de manière réversible. L’environnement microbien des biofilms peut fournir une niche écologique pour une vaste diversité d’organismes tels que des virus, des bactéries et des eucaryotes (Blocket al., 1993; Lehtolaet al., 2004; Martinyet al., 2005; Storey et Ashbolt, 2003; Valsteret al., 2009). Une variété d’espèces bactériennes hétérotrophes a pu être isolée à partir d’échantillons de biofilms formés en réseau d’eau potable (Chauretet al., 2005; LeChevallieret al., 1987; Norton et LeChevallier, 2000; Percivalet al., 1999). La libération de telles espèces bactériennes présentes dans le biofilm dans la phase liquide peut donc interférer sur le dénombrement des germes indicateurs utilisés dans le contrôle sanitaire de l’eau potable (Rompréet al., 2002). Toutefois, des bactéries chimiotrophes ont également été identifiées, lesquelles peuvent être impliquées dans des phénomènes de corrosion et de nitrification (Beech et Sunner, 2004; Martinyet al., 2005; Reganet al., 2003; Tenget al., 2008). Des analyses basées sur le séquençage des ADNr 16S et 18S ont révélé une étonnante diversité bactérienne et eucaryote au sein des biofilms (Martinyet al., 2005; Valsteret al., 2009). La présence simultanée de ces organismes peut conduire à la mise en place d’un réseau trophique dans le système de distribution, et accroître l’abondance de certains organismes macroscopiques indésirables (Dukanet al., 1996; Evins, 2004; Locaset al., 2007; Sibille, 1998). Par ailleurs, les biofilms constituent également une microniche pour les microorganismes pathogènes. Plusieurs études ont montré que des pathogènes (tels que des virus ou des bactéries) peuvent persister (Bragançaet al., 2007; Juhnaet al., 2007; Szewzyket al., 2000), ou sont capables de s’accumuler et de survivre au sein des biofilms formés en réseau d’eau potable (Azevedoet al., 2006; Langmarket al., 2005; Lehtolaet al., 2007; Pariset al., 2009; Quignonet al., 1997).
En conclusion, la désinfection et le maintien d’une concentration résiduelle en agent bactéricide ne peuvent être perçus comme une garantie vis-à-vis de la qualité de l’eau potable dans les réseaux de distribution. La formation des biomasses microbiennes fixées est sous l’influence de nombreux facteurs qu’il convient de prendre en compte en vue de mieux contrôler la qualité de l’eau durant son transport dans le système de distribution.
3. Les facteurs influençant stabilité biologique du réseau
3.1 Les paramètres physico-chimiques
La température et le pH sont considérés comme les principaux paramètres physico-chimiques affectant la stabilité biologique dans les réseaux de distribution. Ceci s’explique par le fait que ces deux facteurs ont des conséquences directes sur le métabolisme et la croissance des microorganismes. Par ailleurs, le pH et la température peuvent également influencer l’efficacité des traitements de désinfection chimique (tels que le chlore et les chloramines), pouvant conduire à une variation des populations microbiennes relarguées dans le réseau de distribution (Gerbaet al., 2003; Huanget al., 1997; LeDantecet al., 2002).
Afin d’obtenir une eau légèrement entartrante, le pH de l’eau est généralement ajusté, en fin de traitement, à des valeurs comprises entre 7 et 9 (OMS, 2008). Ces valeurs peuvent toutefois varier dans les réseaux sous l’influence de la concentration en CO2 dissous. De telles variations de pH dans l’eau peuvent affecter la formation des biofilms dans le réseau de distribution (Meckeset al., 1999).
La température de l’eau en sortie de station de potabilisation est impactée par des variations saisonnières, principalement lorsqu’il s’agit d’eaux de surface traitées. La température peut influencer la croissance microbienne, l’efficacité des traitements aux biocides (Huanget al., 1997, LeDantecet al., 2002). Les résultats obtenus par LeChevallieret al. (1996) indiquent que le nombre de bactéries coliformes détectées dans l’eau peut varier en fonction de la température. Cette étude montre également que la fréquence de détection ainsi que la densité cellulaire augmentent lorsque que la température de l’eau dépasse 15 °C (LeChevallieret al., 1996). Il convient de souligner que ces données ont été obtenues à partir de systèmes de distribution situés dans une zone géographique où le climat est tempéré, et donc des résultats différents peuvent être obtenus dans d’autres régions aux climats différents.
3.2 Les conditions hydrodynamiques
Afin d’assurer un approvisionnement régulier même en période de forte consommation dans les zones urbaines, des réseaux de distribution au maillage élevé ont été conçus. Les réseaux d’eau potable sont également conçus pour garantir une sécurité incendie, engendrant ainsi une réserve plus importante que celle nécessaire pour l’alimentation en eau potable. Malgré les bénéfices de ces ouvrages pour les populations, la conception de tels réseaux a occasionné une augmentation du temps de séjour de l’eau dans les infrastructures. La stagnation de l’eau dans le réseau peut être à l’origine d’une détérioration de la qualité organoleptique de l’eau, d’une diminution de la concentration résiduelle en désinfectant et d’une croissance microbienne dans le système de distribution (Kerneïset al., 1995; Vreeburg et Boxall, 2007). Les conditions hydrodynamiques conditionnent le transport des cellules microbiennes, de l’oxygène et l’intensité des forces de cisaillement. Le régime hydraulique de l’eau dans le réseau de distribution peut donc influencer la structure, la densité cellulaire ainsi que la composition microbienne des biofilms (Azevedoet al., 2006; Kalmbachet al., 1997; Lehtolaet al., 2006; Pariset al., 2007; Percivalet al., 1999; Simõeset al., 2007; Simõeset al., 2008). Des études ont ainsi montré qu’une augmentation de la vitesse du flux hydrique accroît l’accumulation des microorganismes au sein des biofilms et engendre une structure morphologique des biofilms qui adhèrent plus fortement à la surface des matériaux (Pariset al., 2007; Percivalet al., 1999; Stoodleyet al., 2002b; vanLoosdrechtet al., 1995). Alors que des changements du régime hydraulique peuvent provoquer le détachement de biofilms (Lehtolaet al., 2007; Tsai, 2005), une caractérisation détaillée du rôle des conditions hydrodynamiques sur le développement microbien dans les réseaux permettrait de mieux contrôler la qualité de l’eau dans le système de distribution.
3.3 Les matériaux en contact avec l’eau potable
La plupart des réseaux de distribution publique contemporains furent construits à base de matériaux en fonte et en ciment. Plus récemment, les matériaux organiques (tels que le chlorure de polyvinyle, le polyéthylène et le polypropylène) et des revêtements en résine époxy ont été préférés pour le transport et le stockage de l’eau potable en raison d’une facilité d’installation et de manipulation, d’un faible coût et d’une non-corrosivité. Néanmoins, les matériaux, au contact avec l’eau potable, influencent la qualité de l’eau. Tandis que les matériaux métalliques (tels que la fonte et le cuivre) peuvent conduire à une augmentation de la concentration en métaux dans la phase aqueuse (Critchleyet al., 2001), les autres matériaux sont susceptibles de relarguer certains adjuvants et additifs utilisés dans leur composition (Hem, 2002; Lehtolaet al., 2004; Lehtolaet al., 2006; Tomboulianet al., 2004). Cette dégradation des matériaux peut fragiliser les installations et ainsi provoquer des fuites et des ruptures de canalisations, sources de contamination microbienne (Beaudeauet al., 2007). Par ailleurs, le vieillissement des ouvrages (soumis à la corrosion et à la formation des biofilms) peut contribuer à diminuer la concentration résiduelle en désinfectant (Al-Jasser, 2007).
Les caractéristiques des matériaux en contact avec l’eau potable peuvent grandement influencer la formation des biofilms. Lorsque les microorganismes adhèrent à une surface solide, plusieurs interactions de nature physico-chimique se produisent telles que les liaisons hydrophobes, de van der Waals, acido-basiques et hydrogènes (Absolomet al., 1983; Boset al., 1999). Cette adhésion microbienne peut être influencée par les caractéristiques intrinsèques du support. Fletcher et Loeb (1979) ont étudié l’adhésion de Pseudomonas sp sur différents matériaux (tels que le polytetrafluoroéthylène, le polyéthylène, ou le polystyrène). Les auteurs ont montré que l’adhésion bactérienne diffère d’un matériau à un autre et qu’elle dépend de l’hydrophobicité du matériau utilisé. Plus récemment, Zhao et Liu (2005) ont étudié l’adhésion d’Escherichia coli sur de l’acier inoxydable revêtu ou non de nickel-phosphore et de polytetrafluoroéthylène. Les résultats montrent que la présence et la quantité de revêtement affectent l’adhésion des cellules bactériennes. Les caractéristiques physico-chimiques des matériaux influencent donc l’adhésion des microorganismes, mais ces caractéristiques peuvent toutefois varier dès lors qu’un film de conditionnement se forme à leur surface (Bakkeret al., 2004).
En plus de l’adhésion microbienne, la nature des matériaux peut aussi affecter la densité cellulaire et la composition phylogénétique de la biomasse fixée (Hallamet al., 2001; Kalmbachet al., 1997; Lehtolaet al., 2004; Lehtolaet al., 2007; Niquetteet al., 2000; Norton et LeChevallier, 2000). En comparant la diversité bactérienne cultivable, Norton et LeChevallier (2000) ont ainsi montré que les populations microbiennes des biofilms, formés à la surface de matériaux en fer et en chlorure de polyvinyle, diffèrent. Basée sur l’utilisation des techniques de biologie moléculaire (FISH), l’influence des matériaux sur la composition phylogénétique a été également observée sur des biofilms formés à la surface de matériaux en polyéthylène et en verre (Kalmbachet al., 1997). Toutefois, les matériaux en contact avec l’eau potable représentent seulement un des facteurs qui interagissent sur le développement des biofilms et leurs compositions.
3.4 Les matières organiques
La matière organique présente dans l’eau potable peut provenir soit de la matière organique traitée (composés organiques naturels réfractaires au traitement, composés anthropiques issus des usages domestiques, industriels et agricoles), soit des résidus ou composés associés aux procédés de traitement (particules de CAG, adjuvants de floculation), soit des composés libérés par les matériaux utilisés dans la construction du système de production et de distribution (tels que les revêtements, les élastomères, les polymères et les adjuvants) (Beckeret al., 2004; Broccaet al., 2002; Camperet al., 1986; Matilainenet al., 2002; Stackelberget al., 2007). Plus de 90 % des matières organiques dans les eaux à potabiliser existent sous forme dissoute (MOD), le reste est sous forme colloïdale ou particulaire (Kornegayet al., 2000). La fraction carbonée de la MOD est mesurée par la teneur en carbone organique dissous (COD). La quantification de la matière organique biodégradable (MOB) dans l’eau peut être évaluée par les teneurs en carbone organique dissous biodégradable (CODB) et en carbone organique assimilable (COA) (Huck, 1990). En utilisant ces deux différentes mesures, la fraction carbonée de la MOB dans l’eau potable en fin de traitement peut être comprise entre 0,20 à 0,61 mg•L-1 de CODB (Servaiset al., 1992), et 45 à 315 µg•L-1 de COA (Miettinenet al., 1999). Ces mesures permettent de quantifier le potentiel nutritionnel de la fraction carbonée organique présente dans l’eau potable. Parmi les composés organiques biodégradables rencontrés dans l’eau potable, la majorité est représentée par des substances humiques (acides fulviques et humiques), et dans une moindre mesure, par des acides carboxyliques, des acides aminés, ainsi que des sous-produits de désinfection (Camper, 2004; Hureïkiet al., 1996; Raczyk-Stanislawiaket al., 2004; Volket al., 2005; Welté et Montiel, 1999). Bien que les filières de traitement permettent d’éliminer un grand nombre de composés organiques dans l’eau, la matière organique restante peut constituer une source de nutriments pour la croissance microbienne dans le réseau de distribution d’eau potable (Gagnonet al., 2000; LeChevallieret al., 1987; LeChevallieret al., 1991; Volk et LeChevallier, 1999).
3.5 La concentration en désinfectant
L’efficacité de la désinfection varie en fonction de la température, du pH, du temps de contact et de la quantité de désinfectant ajoutée (Huanget al., 1997; LeDantecet al., 2002; Sadiq et Rodriguez, 2004). Bien que l’ajout de ces désinfectants permet une réduction des risques microbiens, ils peuvent également réagir avec des matières organiques ou non, et former des sous-produits de désinfection, sources de risques chimiques dans l’eau potable (Sadiq et Rodriguez, 2004). La réaction de ces agents oxydants avec certains composés (tels que les matières organiques, les biofilms et les produits de corrosion) peut engendrer une diminution de la concentration en désinfectant dans l’eau (Al-Jasser, 2007; Jegatheesanet al., 2000; Kiénéet al., 1998; Luet al., 1999). Par voie de conséquence, la teneur en chlore résiduel peut varier dans le système de distribution. Alors que les désinfectants permettent seulement de contrôler le développement des biofilms dans le réseau, un appauvrissement en agent bactéricide peut donc conduire à une prolifération de la biomasse fixée et à une contamination microbienne de l’eau (Codonyet al., 2005; Srinivasanet al., 2008).
3.6 Les approches intégrées : modélisation du comportement des biomasses microbiennes
La prolifération microbienne dans les réseaux de distribution constitue un souci majeur pour les producteurs et distributeurs d’eau potable. Comme il a été décrit précédemment, la stabilité biologique dans les réseaux est basée sur l’interaction complexe de différents facteurs, comprenant des paramètres physico-chimiques, le fonctionnement et la nature des ouvrages ainsi que l’écologie microbienne (Figure 9). Afin d’élaborer une stratégie de gestion de la qualité microbienne de l’eau au cours de sa distribution, plusieurs systèmes de modélisation ont ainsi été développés afin de prendre en compte simultanément plusieurs mécanismes influençant la stabilité biologique (Digiano et Zhang, 2004; Jegatheesanet al., 2000; Munavalli et MohanKumar, 2004; Piriouet al., 1996; Servaiset al., 1992). Ces modèles prédictifs peuvent donc s’avérer utiles dans la prévention et l’identification des zones à risques. La première génération de ces modèles (SANCHO et PICCOBIO) a permis d’accroître nos connaissances sur les liens de causes à effets conduisant à une dégradation de la qualité de l’eau potable. Malgré le développement de nouveaux modèles, les valeurs prédictives obtenues par ces méthodes demeurent toutefois incertaines (Digiano et Zhang, 2004). Bien que les modèles mathématiques constituent des outils précieux en vue d’une gestion anticipative de la qualité de l’eau dans les réseaux de distribution, ils doivent donc être optimisés et approfondis afin d’accroître la précision de leurs valeurs.
Parties annexes
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