Corps de l’article

1. Introduction

En Tunisie, l’eau revêt un caractère stratégique de développement économique et social en raison de sa rareté. L’évaluation la plus récente des ressources en eau fait état de 4 503 millions de m3 (Mm3) des ressources annuelles, dont 2 700 Mm3 sont des eaux de surface. Afin de répondre à une demande de plus en plus croissante, des stratégies et des plans directeurs de mobilisation et d’utilisation ont été tracés par les services de l’hydraulique de Tunisie.

Les principaux ouvrages de mobilisation des eaux de surface (grands barrages, barrages collinaires et lacs collinaires) ont été construits sur les cours d’eau des bassins situés au nord du pays qui fournissent 81 % des ressources en eau de surface (Tableau 1). Ces bassins se caractérisent par des reliefs jeunes dominés, d’une part, par des terrains marneux et des sols vulnérables à l’érosion et, d’autre part, par un couvert forestier limité aux parties les plus arrosées et un couvert végétal saisonnier. À ces conditions naturelles s’ajoute le caractère torrentiel des précipitations qui s’abattent à la fin de la saison sèche et qui seraient responsables de l’érosion et de la charge solide importante des eaux de crues. Des concentrations supérieures à 100 g/L ont été enregistrées dans les eaux lors des crues des oueds Mejerda, Zeroud et Merguellil (BOUZAIANE et LAFFORGUE, 1986; RODIER et al., 1981). De ce fait, les retenues créées par les différents ouvrages hydrauliques (Figure 1) sont toutes confrontées à plus ou moins long terme à l’alluvionnement.

Cette charge solide confère aux eaux de crues une densité plus élevée que celle des eaux stockées dans les retenues, créant ainsi un courant de turbidité qui se propage dans le réservoir quand les conditions morphologiques du fond de la retenue n’entravent pas son écoulement. Les particules solides se déposent progressivement avec la réduction de la vitesse du courant de turbidité. Ce dernier transporte les particules fines jusqu’aux ouvrages annexes du barrage, y compris les ouvrages de dévasement. Ainsi, une partie des apports solides des eaux de crue peut être soutirée au cours des opérations de dévasement. Des soutirages efficaces permettent de réduire le taux d’alluvionnement et d’augmenter la durée de vie des barrages. Ces opérations ne sont possibles que pendant les périodes où on dispose d’assez d’eau dans les barrages. D’après ABID (1980), 59 à 64 % des apports solides dans la retenue du barrage de Mellegue, durant la période 1954-1980, ont été soutirés grâce aux manoeuvres de dévasement.

Le but de cet article est de présenter l’état de l’alluvionnement des retenues des barrages de Tunisie d’après les données disponibles et d’étudier l’évolution de leurs capacités au cours du temps afin de tenir compte des ressources disponibles et de leur évolution. Il n’est pas prévu de détailler le mécanisme d’érosion et d’évaluer les actions anthropiques ou climatiques dans les bassins versants et d’évaluer leurs effets sur l’alluvionnement des retenues. Les données utilisées dans cette étude proviennent d’organismes publics tunisiens exploitant les grands barrages (Direction Générale des Barrages des Grands Travaux Hydrauliques (DGBGTH) et de la Société Tunisienne d’Exploitation et de Distribution des Eaux (SONEDE)), des services hydrologiques (Direction Générale des Ressources en Eau (DGRE)), des annuaires hydrologiques des lacs collinaires (ALBERGEL et al., 2001) élaborés par la Direction de la Conservation des Eaux et des Sols (CES) et par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et des travaux de recherches académiques (BEN MAMMOU, 1998; BOUAZIZI, 1981; ROUIS, 1984).

Tableau 1

Répartition régionale des ressources en eau de surface (Mm3) de Tunisie en 1995.

Regional distribution of the Tunisian surface water resources (Mm3) in 1995.

Régions

Nord Ouest

Nord Est

Total Nord

Centre Ouest

Centre Est

Total Centre

Sud Ouest

Sud Est

Total Sud

Total

Ressources

1 585

605

2 190

190

180

370

20

120

140

2 700

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Figure 1

Les bassins hydrologiques de Tunisie et localisation des principaux barrages.

Tunisian hydrological watersheds and the location of major dams.

Les bassins hydrologiques de Tunisie et localisation des principaux barrages.

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2. Stratégie de la mobilisation des eaux de surface

L’intérêt pour la construction de grands barrages de stockage remonte à l’époque du protectorat français (1981-1956). Les premiers ouvrages construits (El-Kébir en 1925, Mellegue et Ben Metir en 1954) se situent dans les bassins de Meliane et de la Mejerda (Figure 1). Après l’indépendance, durant la période 1960-1980, les cours d’eau du Cap-Bon (Chiba, Masri et Bezirk), de la Mejerda (Bou Heurtma, Kasseb et Lakhmess), du Meliane (Bir M’Cherga) et Nebhana en Tunisie centrale ont été barrés (Figure 1).

À partir de 1980 et afin de répondre à une demande en eau de plus en plus importante, une mobilisation de volumes importants d’eau superficielle s’est imposée. Les barrages Sidi Salem sur la Mejerda, Joumine dans le bassin de l’Ichkeul, El Houareb sur Marguellil, Lebna au Cap‑Bon, Sidi Saad sur l’oued Zeroud et Siliana ont été mis en eau. L’engagement de l’État dans le domaine de l’aménagement hydraulique et de la mobilisation des ressources en eaux a continué, avec la mise en place de la Stratégie Décennale de Mobilisation des Ressources en Eaux (1990-2000). Durant cette période, les barrages Sejnane dans le bassin de l’Ichkeul, Sidi el Barrak, Zerga, El Kebir, Zouitina, etc. dans les bassins hydrologiques de l’extrême Nord furent construits et mis en exploitation. Cette stratégie de mobilisation des eaux de surface a été consolidée par la construction de barrages et de lacs collinaires dans les divers bassins hydrologiques. Des travaux de CES ont été planifiés pour protéger les retenues des barrages contre un alluvionnement accéléré.

Cet effort de mobilisation des eaux de surface a permis de faire face aux besoins de l’irrigation et en eau potable même durant les années déficitaires (1987‑1989) et (1999‑2002) qu’a connues la Tunisie.

À partir des études réalisées par le ministère de l’Agriculture (GE.O.R.E, 2001), le bilan ressource‑demande est présenté comme excédentaire en 2004; il restera positif jusqu’à 2020 (ressources : 2 792 Mm3 - demande : 2 721 Mm3). Le déficit ne se fera ressentir qu’à partir de l’horizon 2030 (ressources : 2 732 Mm3 - demande : 2 760 Mm3). Dans l’étude EAU21 (LOUATI et al., 1998), les pertes de capacité des retenues par alluvionnement prises en considération correspondent aux données prévisionnelles et elles diffèrent dans un certain nombre de cas des volumes perdus annuellement par les retenues.

3. Méthodes de quantification de l’alluvionnement

La quantification de l’alluvionnement des réservoirs s’est appuyée sur le bilan des apports et des soutirages de la charge solide (barrage de Mellegue), des levés bathymétriques par échosondeur et des levés topographiques. Ces dernières méthodes permettent d’élaborer les modèles numériques de terrain (MNT) de la retenue. La première méthode se base sur les mesures de la charge solide en suspension des eaux au niveau des stations hydrologiques situées à l’amont des retenues (station K13 pour l’oued Mellegue) et le suivi de la concentration des eaux au cours des manoeuvres de soutirage (barrage Mellegue). Cette méthode doit tenir compte du volume des sédiments charriés déduit indirectement à défaut de mesure. Les levés bathymétriques des retenues n’ont pas été menés de façon systématique et régulière (GE.O.R.E., 2001). Sur les 26 barrages en service en 2003 (ABID, 2003) 17 retenues ont fait l’objet d’au moins une campagne de mesure de l’alluvionnement. Les volumes de sédiments piégés dans les retenues déduits par les levés bathymétriques sont évalués à 10 % (GHORBEL et CLAUDE, 1977). Les levés topographiques ont été réalisés sur les retenues complètement sèches (El Haoureb et Bir M’Cherga), ou dans les parties amont des retenues pour compléter les levés bathymétriques (GARETTA et OUERGHEMMI, 1998). La quantification par le MNT a été utilisée lors des campagnes de 2002 menées sur les retenues des barrages Mellegue, Sejnane et Sidi Salem. La précision des volumes de sédiments piégés par cette méthode dépend de l’échelle et de la disponibilité des fonds topographiques des retenues avant leur mise en eau.

Ces différentes méthodes d’évaluation permettent de quantifier les volumes de sédiments piégés dans un intervalle de temps, de déterminer les pertes de la capacité des retenues des barrages, de localiser les zones les plus comblées et de tracer les profils en long du fond des retenues.

4. Exploitation des mesures

D’après les résultats des différentes campagnes de mesures d’alluvionnement, les volumes moyens annuels de sédiments piégés dans les retenues des barrages de Tunisie varient de 0,017 Mm3 (Bezirk) à 6 Mm3 (Sidi Salem). Pour les lacs collinaires, d’après les données bathymétriques des 24 unités suivies, la perte moyenne annuelle de la capacité de stockage serait de 4,5 % (ALBERGEL et al., 2001). Les données des trois barrages collinaires (Ogla, Bouhaya et Jédiliane, situés respectivement dans les bassins de Nebhana, Zeroud et Baiech) montrent que le pourcentage d’alluvionnement est respectivement de 35, 15 et 11 % pour une période d’exploitation de 11, 6, et 8 ans. Dans ce qui suit, on se limitera à l’alluvionnement des grands barrages.

La méthode de quantification de l’alluvionnement basée sur le bilan solide, appliquée à la retenue du barrage Mellegue, montre que l’apport solide moyen annuel par l’oued Mellegue est de 6 848 Mm3 alors que le volume moyen annuel soutiré est de 3 327 Mm3, soit un volume solide moyen annuel piégé de 3 521 Mm3 (BEN MAMMOU, 1998). Cette méthode met en évidence l’importance de l’alluvionnement durant les crues exceptionnelles comme ce fut le cas en septembre 1969 (Figure 2a) avec un débit de pointe de 4 480 m3/s (RODIER et al., 1981). Les levés bathymétriques de la retenue du barrage Mellegue conduisent à un volume moyen annuel des sédiments piégés à 3 249 Mm3 (Figure 2b). Ces résultats montrent que les deux méthodes de quantification de l’alluvionnement donnent le même ordre de grandeur du volume de sédiments piégés.

À l’échelle de toutes les retenues, l’alluvionnement présente des taux moyens différents pour des intervalles de temps plus courts; ceci est étroitement lié aux apports liquides. En effet, l’apport solide d’une crue exceptionnelle correspond à des volumes de sédiments piégés durant plusieurs années d’exploitation. La figure 2a, montrant l’évolution de l’alluvionnement de la retenue du barrage Mellegue (BEN MAMMOU, 1998), traduit parfaitement l’accroissement des volumes solides piégés suite à la crue exceptionnelle de 1969. Pour la retenue du barrage Mellegue, l’alluvionnement s’est accentué également depuis le changement du mode d’exploitation de l’eau emmagasinée (transfert des eaux vers la retenue du barrage Sidi Salem) qui s’est traduit par le maintien de la retenue à une cote basse. L’envasement moyen annuel est passé de 2,59 Mm3 en 1975 à 3,89 Mm3 en 2000 (ABDELHADI, 2000 et ABDELHADI, 2003). La même conclusion s’applique à la retenue du barrage Sidi Saad (Figure 3). En effet, les apports solides des crues exceptionnelles entre et janvier février 1990 ont accentué l’alluvionnement moyen annuel (0,98 Mm3 en 1988, 2,41 Mm3 en 1993).

Figure 2

Évolution de l’alluvionnement de la retenue du barrage Mellegue : (a) Bilan des apports et des soutirages, (b) Levés bathymétriques.

Silting evolution of the Mellegue reservoir: (a) Assessment of the contribution of solids and dredging, (b) Bathymetric rising.

(a)

(b)

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Figure 3

Évolution de l’alluvionnement des retenues des barrages El Kebir, Mellegue, Sidi Salem et Sidi Saad.

Silting evolution of the El Kebir, Mellegue, Sidi Salem and Sidi Saad reservoirs.

Évolution de l’alluvionnement des retenues des barrages El Kebir, Mellegue, Sidi Salem et Sidi Saad.

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Par contre, l’alluvionnement de la retenue du barrage Sidi Salem a augmenté paradoxalement durant la période déficitaire en apports liquides (1987‑1990). Cette évolution est due au transfert des eaux du barrage Mellegue vers la retenue du barrage Sidi Salem (BEN MAMMOU, 1998). Une augmentation sensible de l’alluvionnement de la retenue du barrage Sidi Salem (Figure 3) est notée également après les deux surélévations du seuil de déversement (RN) de la cote 110 m à 111,5 m en 1997 puis à 115 m en 1999 (Tableau 2) comme ce fut le cas pour les barrages algériens surélevés (REMINI et al., 1997). Cette augmentation s’est amplifiée avec la succession des années pluvieuses et les crues de 2002, 2003 et 2004 (BEN HASSINE et REJEB, 2003). La quantification des volumes piégés suite à ces crues n’a pas été faite à nos jours. Toutefois l’ampleur de l’alluvionnement s’observe nettement dans la partie amont de la retenue à la fin de l’année hydrologique (juillet‑août).

Pour la retenue du barrage El Kébir (premier grand barrage de Tunisie), malgré les crues de septembre 1969 et celles de mars 1973 (KALLEL et COLOMBANI, 1973), les volumes de sédiments piégés n’étaient pas proportionnels aux apports liquides (Figure 3). Ceci est dû au fait que cette retenue n’est plus en mesure de piéger les alluvions et que l’essentiel des apports solides est évacué par l’évacuateur de crue de surface dont le seuil rocheux est érodé.

La retenue du barrage Nebhana affiche une régression de l’alluvionnement moyen annuel au cours du temps (1,29 Mm3 en 1975 et 0,68 Mm3 en 2000). Il en est de même pour la retenue du barrage Lakhmess (Tableau 2). Cette diminution est étroitement liée aux actions de lutte contre l’érosion menées par la Direction de la Conservation des Eaux et des Sols au niveau des zones les plus exposées à l’érosion dans les deux bassins versants et aux barrages et lacs collinaires construits en amont.

Les résultats des mesures de l’alluvionnement des retenues sont différents de ceux prévus en début du projet. Ces différences sont liées soit à l’hydrologie durant la période d’observation (Sidi Saad), soit à l’inefficacité des soutirages (Sidi Salem) en rapport avec la morphologie de la retenue (BEN MAMMOU, 1998).

5. Évolution a moyen et a long terme

À l’horizon 2010, la perte de capacité de stockage des retenues des barrages tunisiens pourrait atteindre 530 Mm3, soit 37 % de la capacité initiale de toutes les retenues en exploitation (GE.O.R.E, 2001). En tenant compte de la perte annuelle des capacités des retenues des barrages, les volumes perdus par alluvionnement en 2030 pourraient atteindre 1 142 Mm3, soit environ 43 % de la capacité de stockage des barrages (Figure 4).

Tableau 2

Caractéristiques et alluvionnement des barrages de Tunisie.

Silting and characteristics of Tunisian dams.

 

SBV (km2)

Année de mise en service

Ql (Mm3)

Capacité initiale (Mm3)

Années des campagnes de mesure de l’alluvionnement

Évolution de l’alluvionnement

(Mm3)

Alluvionnement moy. (Mm3/an)

Ben Metir

103

1954

44

61,6

1986

4

0,12

Mellegue

10 300

1954

174

270

1975, 1980, 1991, 2000

54,5; 90; 142; 179

2,59; 3,46; 3,8; 3,89

Bezirk

75

1959

4

6,4

1975, 1993

1,7; 2,3

0,017; 0,06

Chiba

64

1963

7

8

1975, 1991, 1995

2,7; 3,5; 3,75

0,2; 0,27; 0,29

Nebhana

855

1965

30

86

1975, 1992, 2002

12,9; 20; 24,4

1,29; 1 ; 0,68

Lakhmess

127

1966

12

8,2

1975, 1991, 2000

2; 2,3; 3,3

0,22; 0,048; 0,094

Masri

40

1968

2

6,9

1975, 1991

1,3; 0,88

0,16; 0,11

Kasseb

101

1968

50

82

1986

2,8

0,15

B.M’cherga

1 263

1971

44

53

1987, 1994, 2002

6,2; 7,1; 11,4

0,29; 0,37; 0,35

B. Heurtma

390

1976

73

117,5

1993

2

0,13

Sidi Saad

8 950

1981

94

209

1988, 1993, 2000

6,9; 28,9; 55,2

0,98; 2,41; 2,9

Sidi Salem

7 950

1981

448

814*

1987, 1989, 1991, 1998, 2002

30,6; 47; 52; 87,5; 139

5,1; 5,87; 5,2; 5,15; 6,6

Joumine

418

1983

136

130

2000

10,8

0,675

Ghezala

48

1984

14

11,7

1993

0,2

0,022

Lebna

189

1986

10

30,1

1994, 2002

0,54; 6,22

0,068; 0,37

Siliana

1 040

1987

58

70

1994, 2002

4,1; 16,9

0,63; 1,05

El Houareb

1 120

1989

43

95,3

1994, 1998

8,18; 13,3

1,48; 1,33

Sejnane

367

1994

99

137,5

2002

2,7

0,5

El Kébir

250

1925

12,5

22

1931 ; 1945 ; 1950 ; 1954 ; 1967 ;1968 ; 1979; 1981 ; 1995

1,5; 2,8; 4,8; 6,5; 10,3; 11,7; 12,8; 13,8; 17,65

0,25; 0,14; 0,192; 0,224; 0,245; 0,272; 0,237; 0,246; 0,252

SBV: Surface du bassin versant; Ql: apports annuels moyens de l’oued; *: Capacité après les surélévations du seuil de déversement.

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Figure 4

Évolution de la capacité de stockage et des volumes exploitables des barrages de Tunisie.

Storage capacity and exploitable volume evolution of the Tunisian dams.

Évolution de la capacité de stockage et des volumes exploitables des barrages de Tunisie.

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Pour faire face à la réduction de la capacité de stockage, les services hydrauliques tunisiens envisagent la surélévation des seuils des déversoirs et la construction de nouveaux barrages dans les bassins des retenues ayant atteint un taux d’alluvionnement important. La surélévation du seuil du barrage Sidi Salem a entraîné une augmentation du taux de l’alluvionnement comme ce fut le cas pour les barrages algériens surélevés (REMINI et al., 1997). De plus, des actions de lutte contre l’érosion sont entreprises pour préserver, aussi longtemps que possible, la capacité de stockage des retenues des barrages en retenant le sol et en réduisant l’érosion. Toutefois, il a été noté que les travaux de CES ont un impact sur les volumes d’eau ruisselés (NASRI et al., 2004; YAHYAOUI et al., 2002). En effet, le suivi des écoulements avant et après les travaux de CES à l’échelle d’un petit bassin de 18,1 km2 contrôlé par un lac collinaire (El Gouazine) a montré une réduction du coefficient d’écoulement global initial d’environ 25 % pour des précipitations supérieures à 20 mm à 2 % pour des pluies de 30 à 50 mm (NASRI et al., 2004).

6. Comparaison avec les retenues des barrages du Maghreb

D’après LAHLOU (1994), les 23 grands barrages en exploitation au Maroc perdent annuellement 50 Mm3 de leur capacité de stockage (Tableau 3). En Tunisie, au moins 25 à 30 Mm3 d’alluvions se déposent chaque année dans les 13 retenues des barrages. La perte annuelle de la capacité de stockage est estimée entre 0,5 % (SAADAOUI, 1995) et 1 % pour une capacité totale initiale d’environ 1 430 Mm3 (ABID, 1998). En Algérie, l’envasement annuel estimé par l’Agence Nationale des Barrages (ANB) pour l’ensemble des 98 retenues en exploitation en 1995 correspond à environ 20 Mm3. Le volume total de sédiment pourrait atteindre 482 Mm3 à la fin de la construction des 43 barrages et des 800 retenues collinaires projetés jusqu’à 2010 (BOUDJADJA et al., 2003).

Les treize barrages tunisiens observés, d’une capacité initiale d’environ 1 430 Mm3, ont perdu au total environ 250 Mm3 de leur capacité de stockage, soit environ 17,7 % (ABID, 1998). L’alluvionnement le plus élevé correspond à la retenue du barrage Sidi Salem avec environ 6 Mm3/an. La perte de capacité des 17 retenues d’une capacité initiale de 2 059 Mm3 évaluée en 2002 est de 440 Mm3 (ABID, 2003).

L’alluvionnement moyen des barrages algériens est au minimum de 0,1 Mm3 (barrage Dahmoun) et au maximum de 4,32 Mm3 (barrage Gargar). La capacité totale initiale des barrages algériens est passée de 4 319 Mm3 depuis leur mise en service à 2 134 Mm3 (BOUDJADJA et al., 2003).

Au Maroc, dont les potentialités hydrauliques sont de loin plus importantes, les ouvrages prospectés d’une capacité totale initiale de 9 550 Mm3, ont perdu environ 593 Mm3 de leur capacité depuis leur mise en service (LAHLOU, 1994). L’alluvionnement moyen annuel par barrage varie de 0,07 Mm3 (Nakhla) à 10 Mm3 (Mohamed V).

7. Conclusion

Cette étude met en évidence l’importance de l’alluvionnement des retenues des barrages en zone aride. Afin de planifier la gestion des ressources mobilisées par les ouvrages hydrauliques, la systématisation des levés bathymétriques est recommandée.

Les connaissances acquises dans les domaines de l’alluvionnement permettent de formuler un certain nombre de recommandations pour la maîtrise de l’alluvionnement des retenues. Celles-ci portent sur la réduction de l’érosion du bassin versant et sur l’évacuation des sédiments des retenues durant les crues.

Tableau 3

Évolution de l’alluvionnement des barrages du Maroc, d’Algérie et de la Tunisie.

Silting evolution of the Moroccan, Algerian and Tunisian reservoirs.

Pays

Nombre*

Capacité totale initiale (Mm3)

Alluvionnement

Total (Mm3)

Taux annuel moyen (Mm3)

Taux d’envasement (%)

TUNISIE+

17

2 059

440

16

20

ALGERIE

24

4 340

483

30

11

MAROC**

23

9 550

593

50

6,2

: barrages prospectés, : ABID (2003), ** : LAHLOU (1994).

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Pour réduire l’érosion des sols, l’identification des zones les plus sensibles à l’érosion s’impose. Des actions de protection et de conservation des sols doivent être entreprises à l’échelle des zones les plus vulnérables à l’érosion et elles doivent être menées parallèlement avec la construction de l’ouvrage. Les lacs collinaires de protection et les travaux de CES dans les parties amont des bassins versants vulnérables permettent de protéger les grandes retenues d’eau contre un alluvionnement rapide. Les deux dernières techniques sont pratiquées en Tunisie depuis le début des années 1990, une évaluation de leur efficacité doit être effectuée afin de les généraliser à l’ensemble des bassins hydrologiques.

Pour réduire l’alluvionnement des retenues des barrages, le soutirage par les ouvrages de dévasement constitue un moyen efficace. Mais par souci de disposer d’une réserve d’eau, les manoeuvres de soutirage sont effectuées généralement au cours des périodes de crues. L’efficacité de ces manoeuvres est liée à la morphologie du fond de la retenue et au maintien du courant de turbidité jusqu’à l’ouvrage de dévasement. Afin d’améliorer le transit des sédiments à travers la retenue, nous recommandons des travaux modifiant la morphologie du fond de la retenue de telle sorte que le courant de turbidité se propage jusqu’à l’ouvrage de dévasement.

Enfin, la meilleure gestion des ressources en eau de surface doit être envisagée durant les périodes excédentaires et non durant les périodes déficitaires.