Recensions

Morillot, J. (2022). La Corée du Sud. La tyrannie de l’excellence. Tallandier[Notice]

  • Jean Bernatchez

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  • Jean Bernatchez
    Université du Québec à Rimouski

Les enquêtes du programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) mettent en évidence la « performance » de la Corée du Sud sur le plan des compétences des élèves de 15 ans en mathématiques, en compréhension de l’écrit et en sciences. Le plus récent palmarès PISA, publié en 2023, situe le pays troisième au monde, après Singapour et le Japon. La Corée du Sud est aussi le pays le plus scolarisé du monde : 70 % des 24 à 35 ans ont fréquenté des établissements d’enseignement supérieur. Derrière cette « performance » se profile cependant une culture nationale délétère dont le vecteur est la tyrannie de l’excellence, selon Juliette Morillot, historienne et spécialiste des deux Corées. Elle trace dans son ouvrage le portrait de la société sud-coréenne grâce à 100 questions auxquelles elle répond en 400 pages, autant de clés de compréhension de cette société paradoxale. « La Corée [du Sud] est un monde de paradoxes qui s’impose comme un modèle de réussite mais avec […] un moral en berne aggravé par un taux de suicide record » (quatrième de couverture). L’école se présente comme l’antichambre de cet enfer coréen. Le système scolaire sud-coréen est structuré de manière classique : le jardin d’enfants de 3 à 6 ans ; l’école primaire de 6 à 12 ans ; le collège de 12 à 15 ans ; le lycée de 15 à 18 ans ; puis l’université. L’uniforme est obligatoire. L’année scolaire débute en mars : 220 jours de classe par an sont prévus au calendrier, comparativement à 180 au Québec, ce qui est la norme dans les pays industrialisés. Le cadre scolaire est caractérisé par l’enseignement traditionnel qui fait appel à l’érudition, mais qui évacue la critique. En Corée du Sud, « un écolier de 10 ans, levé à 6 heures du matin pour faire ses devoirs, n’ira se coucher que vers minuit, après une journée d’école, mais aussi des cours du soir dans l’un des innombrables instituts privés, les hagwon, qui ouvrent leurs portes tard dans la nuit et proposent une éducation parallèle » (p. 387). Les hagwon sont fréquentés dès le plus jeune âge. Ils préparent à l’examen d’entrée à l’université, le suneung, marathon de huit heures d’examens en rafale. Le jour du suneung, le pays se soumet au rythme de l’événement. Ce jour est réputé être le plus important dans la vie de ceux et celles qui réalisent l’épreuve. Les meilleures notes au suneung garantissent une place dans les universités réputées. L’échec procure la honte : la honte pour soi, mais surtout pour sa famille qui aura investi des fortunes pour que son enfant s’y prépare (environ 20 % du budget familial moyen pour chaque enfant). La honte broie les jeunes Coréens et Coréennes. S’ensuit une série de renoncements. Les sampo sedae (génération des trois renoncements) font une croix sur l’amour, le mariage et les enfants. Les opo sedae (cinq renoncements) ajoutent à cette liste les renoncements à un emploi gratifiant et à l’achat d’une maison. Les chilpo sedae (sept renoncements) font un trait aussi sur la possibilité d’une vie meilleure et sur toute forme d’interaction sociale. Finalement, pour les wanpo sedae (génération du renoncement total), la seule option est le suicide (jasal). En 2020, 30 % des Coréens et Coréennes vivent seuls, une augmentation de 4,3 % par rapport à l’année précédente. Le suicide est la première cause de mortalité chez les 10 à 29 ans. Le taux de suicide en Corée du Sud est le plus élevé des pays de l’OCDE : 26,9 suicides pour 100 000 habitants (contre …