Lenoir, Y. (2024). Bourdieu éducateur. Éditions Cursus Universitaire

Plusieurs livres sur l’oeuvre de Pierre Bourdieu ont récemment été publiés, dans la foulée du 25^e anniversaire de son décès. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs fait l’objet d’un compte-rendu critique en ces pages. Chaque fois, le lien avec l’éducation devait être explicité afin de justifier la pertinence d’en traiter dans cette revue. Une telle précision ne s’avère toutefois pas nécessaire pour le livre d’Yves Lenoir, puisque d’emblée, par le titre, le lien avec l’éducation s’impose de lui-même. En effet, il traite de la constitution de l’habitus enseignant afin d’en tirer des principes qui guideraient les pratiques d’enseignement. Mais qu’est-ce que l’habitus ? Lenoir résume ce concept complexe ainsi : « L’habitus, ensemble de dispositions, de schèmes de perception, d’appréciation et d’action, est le fruit d’une genèse sociale, le fruit d’une acculturation sociale en fonction de l’héritage culturel – relevant de l’histoire des générations antérieures dans une culture donnée – et d’un art culturel socialement imposé par inculcation aux nouvelles générations » (p. 34). Autrement dit, il s’agit du bagage social de valeurs, de réactions, de comportements, de façon de s’exprimer qui se construit au contact d’interactions sociales, avec la famille et à l’école et qui se modifie ou s’ajuste aux situations vécues toute la vie durant. Le livre se divise en six chapitres, dont le premier nous fait remonter aux origines du concept d’habitus jusqu’à l’Antiquité grecque pour ensuite décrire les sources du concept chez Bourdieu. Le deuxième définit l’habitus chez Bourdieu, en plus de survoler les autres concepts permettant d’en cerner les contours théoriques, comme le champ, le capital et la pratique. Le troisième présente des concepts afférents à l’habitus, pour établir des parentés ou des distinctions, par exemple avec l’habitude, les compétences, les routines ou les schèmes. Le quatrième chapitre permet d’entrer dans le vif du sujet pour aborder le lien entre l’habitus et l’éducation à travers divers thèmes, comme les processus scolaires, l’égalité des chances et l’équité sociale ou le rapport épistémique au savoir. Un court cinquième chapitre vise à faire le point sur l’habitus bourdieusien, comme une récapitulation des idées jusque-là exprimées. Le sixième et dernier chapitre expose des principes pour modifier l’habitus et les pratiques éducatives. L’idée de consacrer un livre à l’habitus afin d’éclairer les pratiques d’enseignement va de soi pour qui connait un peu ce concept, mais cet ouvrage permet d’en exposer les raisons de manière exhaustive. D’ailleurs, Lenoir fait montre d’une impressionnante érudition au fil de sa démonstration, surtout dans les premiers chapitres qui reconstituent le parcours intellectuel permettant d’en arriver à l’habitus. Ainsi, Lenoir vise à clarifier les concepts bourdieusiens pour mettre à l’avant-plan l’importance de considérer le contexte social afin de se distancier et même relativiser les perspectives individualistes qui prennent souvent le haut du pavé dans le champ de l’éducation. « Certes, Bourdieu insiste fortement, et avec raison à nos yeux, sur les conditions sociales – héritage économique, social et culturel, milieu de naissance et de vie, trajectoire de vie, socialisation primaire, etc. – qui marquent de manière indélébile tout être humain, d’où son rejet vigoureux de l’idée d’un sujet transcendantal, phénoménologique, maitre individuellement de son sort et de ses actions » (p. 50). Cette incursion théorique s’avère fort réussie. En fouillant dans toute l’oeuvre de Bourdieu et dans les travaux d’autres sociologues qui en découlent, Lenoir permet au lecteur de bien comprendre l’habitus et sa pertinence pour réfléchir à l’éducation. La deuxième partie du livre (chapitres 4 et suivants) vise à penser l’intervention en classe et à permettre au personnel enseignant de modifier leur habitus, en améliorant du même coup leurs pratiques et en poursuivant des visées …