L’essai que nous présente Louis Maheu se veut une analyse (souvent comparative) de l’évolution de l’université au Québec et plus largement au Canada et en Amérique du Nord. L’approche, conventionnelle, suit un parcours chronologique. Ainsi, la première section – divisée en trois chapitres – se penche sur l’université des débuts du 20e siècle et s’arrête à l’aube des années 1960. La deuxième section – construite en quatre chapitres – étudie l’université contemporaine (surtout québécoise), celle qui se met en place dans la foulée de la Révolution tranquille au Québec. Cette production de Maheu comporte certains mérites. Notamment, elle donne à voir une université québécoise qui, dans la première moitié du 20e siècle, est loin d’être l’institution figée et homogène que certains ont pu dépeindre. Par ailleurs, bien campé sur des données regroupées par années, cohortes, disciplines, universités et provinces, l’ouvrage fournit un aperçu passablement complet et, nous semble-t-il, inédit des changements qu’ont connus les universités sur plusieurs décennies. Notons tout de même qu’à la longue, le défilé des chiffres, tels que ceux sur le nombre de diplômés par cycle, peut devenir quelque peu lassant. Il faut également ajouter que, très tôt, un malaise s’installe chez le lecteur. Se voulant « objectif », exempt d’idéologie, refusant les « métarécits », Maheu produit en réalité l’effet tout à fait inverse. Son approche descriptive et non critique du devenir des universités fait en sorte qu’il reproduit intégralement un certain discours issu du néolibéralisme, du New Public Management et du courant de la gestion axée sur les résultats. Ainsi, son texte est truffé de mots/slogans bien connus : sociétés du savoir; partenariat, gouvernance, imputabilité, domaines novateurs, effets structurants, intervenants, reddition de compte, capital humain, nécessité de s’adapter continuellement au changement, etc. Autant dire que tout cela est pour le moins idéologiquement orienté. Cela est encore plus frappant lorsque l’auteur aborde la période contemporaine. Maheu ne questionne à aucun moment les changements qui surviennent au fil du temps. Donnons quelques exemples. Les liens de plus en plus étroits entre les universités et les entreprises privées (notamment dans le financement de la recherche) ne font l’objet d’aucune discussion ; cela existe c’est tout ce qu’il faut en dire. L’implication de plus en plus grande de l’État fédéral canadien dans un champ de compétence provincial (via, par exemple, les chaires de recherche) n’est pas plus questionnée. La restriction et la valorisation de la seule recherche subventionnée (et la course aux subsides qui l’accompagne) ne semblent pas soulever chez l’auteur l’ombre d’une interrogation. La modification du rôle de l’université dans la société, où celle-ci passe d’une institution ayant pour mandat de produire une synthèse réflexive sur l’humain et la société (comme le disait Michel Freitag) à une organisation qui, essentiellement, compétitionne sur un marché internationalisé, ne parait pas problématique à cet auteur. Enfin, la question épineuse de la croissance exponentielle des personnels de service et des gestionnaires de toutes sortes est traitée tout au plus en deux pages ; et ce n’est que pour dire que tout cela est bien normal compte tenu de la nouvelle mission de l’université. Maheu réussit même le tour de force de présenter les questions de l’imputabilité et de la reddition de compte (sujets pourtant polémiques) sans soulever le moindre petit bémol sur cette tendance comptable et managériale. Tous ces problèmes et bien d’autres sont passés sous silence, évacués en quelques mots laconiques ou analysés sans aucune vision critique. Tout se passe ici comme si l’évolution des universités se produisait dans un environnement dont les changements sont « naturels ». L’auteur parle d’ailleurs souvent de la société comme s’il s’agissait d’une …
Maheu, L. (2023). L’Université à l’épreuve du temps. Modèles du Québec et d’ailleurs. Québec Amérique
…plus d’informations
Stéphane Martineau
Université du Québec à Trois-Rivières
L’accès à cet article est réservé aux abonnés. Seuls les 600 premiers mots du texte seront affichés.
Options d’accès :
via un accès institutionnel. Si vous êtes membre de l’une des 1200 bibliothèques abonnées ou partenaires d’Érudit (bibliothèques universitaires et collégiales, bibliothèques publiques, centres de recherche, etc.), vous pouvez vous connecter au portail de ressources numériques de votre bibliothèque. Si votre institution n’est pas abonnée, vous pouvez lui faire part de votre intérêt pour Érudit et cette revue en cliquant sur le bouton “Options d’accès”.
via un accès individuel. Certaines revues proposent un abonnement individuel numérique. Connectez-vous si vous possédez déjà un abonnement, ou cliquez sur le bouton “Options d’accès” pour obtenir plus d’informations sur l’abonnement individuel.
Dans le cadre de l’engagement d’Érudit en faveur du libre accès, seuls les derniers numéros de cette revue sont sous restriction. L’ensemble des numéros antérieurs est consultable librement sur la plateforme.
Options d’accès