Recensions

Perrot, M. et Castillo, E. (2023). Le temps des féminismes. Grasset

  • Marie-Hélène Brunet

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  • Marie-Hélène Brunet
    Université d’Ottawa

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Couverture de Formes d’éducation alternative dans la francophonie : histoire, gouvernance, réussite éducative et enjeux méthodologiques, Volume 49, numéro 2, 2023, Revue des sciences de l’éducation

Michelle Perrot, historienne des femmes et grande vulgarisatrice, 94 ans au moment de l’écriture, propose un essai à la fois personnel et universel. Si l’ouvrage ne s’écarte pas tout à fait du style biographique, il n’en demeure pas moins profondément d’actualité, sensible et empreinte de finesse. Il détient toutes les qualités d’une réflexion historique appuyée, tout en se démarquant par l’originalité du projet. En effet, c’est Eduardo Castillo, journaliste et conférencier, qui propose une rencontre avec Michelle Perrot : le produit final laisse toutefois toute la place à l’historienne, à son vécu, à son ancrage dans l’histoire et à ses réflexions sur l’avenir. La présente recension se trouvant dans une revue dédiée aux sciences de l’éducation, il peut apparaitre que Le temps des féminismes ne s’inscrit pas directement dans ce champ. Il importe donc de souligner que l’éducation est une thématique centrale que l’on retrouve en filigrane de l’ensemble du texte. Les deux premiers chapitres de l’ouvrage (Essai d’ego-histoire et Écrire l’histoire des femmes) sont davantage biographiques tout en faisant des allers-retours constants avec le contexte politique, social et universitaire de l’époque (années 1960-1970 en majorité). Bien que l’histoire comme discipline – sa mise en récit et sa construction – soit centrale, Perrot se tourne vers d’autres disciplines afin d’étayer son parcours et celui d’autres figures féministes pionnières. Elle propose des liens avec les arts, la littérature et les sciences humaines et sociales (par exemple, l’anthropologie). L’historienne évoque, non sans nostalgie, les rencontres intellectuelles décisives de son parcours. En ressort un portrait saisissant de l’ébullition intellectuelle et des profondes révolutions qui ont marqué et continuent de marquer le monde universitaire et la société. Les chapitres suivants (Un patriarcat persistant, Brève histoire du féminisme, Du corps au genre, L’universel en débat, #MeToo, du singulier au collectif) suivent un certain ordre chronologique, mais davantage thématique, et permettent un regard historien sans délaisser complètement le style biographique et essayiste. D’emblée, Perrot dit inscrire ses propos plus éditoriaux dans une volonté de dialogue intergénérationnel. De manière constante, l’oppression des femmes y est scrutée et dénoncée, toujours dans un aller-retour entre le passé et les débats plus contemporains. La diversité des thèmes abordés est à souligner. Tout y passe : l’éducation des filles et des femmes, les droits reproductifs, le voile, la laïcité, les politiques identitaires, la culture de l’annulation, l’écriture inclusive et bien plus. Même lorsque l’on n’est pas entièrement en accord avec son propos, on relève le sens de la nuance et la volonté d’aborder les sujets dans leur complexité. L’auteure est bien au fait des débats actuels et s’appuie (tout en proposant au lectorat de les découvrir) sur des ouvrages récents et des thèmes de recherche bien d’actualité (elle propose, par exemple, une réflexion sur la notion de care ou d’éthique de la sollicitude). Perrot se concentre davantage sur le monde francophone (et surtout européen), mais demeure néanmoins sensible aux tensions, particulièrement au sein du féminisme, émanant de notions parfois perçues comme provenant du monde anglophone. En fin de livre, les sujets paraissent se multiplier et par le fait même, on perd parfois en profondeur (le passage très court, par exemple, sur l’apparence, la beauté et le corps), mais c’est peut-être aussi la volonté de l’auteure de suspendre son jugement sur certains débats, ce qui est tout à fait légitime et sain. Ce que cet ouvrage propose, c’est donc l’histoire d’une vie, d’un parcours personnel, professionnel et engagé, même si Perrot s’en défend. À plusieurs égards, l’ouvrage nous a rappelé le rôle magistral qu’a pu jouer, ici au Québec, Micheline Dumont. Des ouvrages comme …