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Dans cet essai, Jocelyn Létourneau, historien québécois de renom, revisite l’histoire du Québec pour le sortir de son cadre narratif traditionnel et populaire. Cet ouvrage s’adresse en fait à tout⋅e lecteur⋅rice qui souhaite (re)découvrir le peuple québécois sous un autre angle que celui du peuple agenouillé luttant pour sa survie, son but avoué étant de délaisser le récit national convenu.
Pour y parvenir, le livre se divise en dix grandes parties. Les deux premières portent sur les « confessions » de l’auteur et les choix structuraux du livre. Bien qu’elles ne suivent pas une chronologie stricte, les autres parties du livre détaillent les différentes périodes de l’histoire du Québec, de ses origines à aujourd’hui. Initialisation porte sur les premiers contacts entre Européens et Premières Nations ainsi que l’adaptation mutuelle qui en a découlée. Fondation ? décrit le processus de structuration de la société sous le régime français et la « canadianité ». Le chapitre Bifurcation porte sur la Conquête et la relation nouvelle entre Anglophones et Francophones. La partie Expansion fait un peu fi de la chronologie pour aborder les transformations dans les domaines de l’économie, du travail, de la consommation et de la stratification sociale. Résistance, consolidation et redéploiement couvre la période allant de la Confédération au règne de Duplessis. Le chapitre suivant, Tergiversation, aborde le régime duplessiste dans toutes ses nuances et contradictions. Réorientation relate ensuite les décennies de la Révolution tranquille jusqu’à la fin du 20e siècle, avec comme fil conducteur la quête d’affirmation des Francophones, peu importe leur position politique. Finalement, le chapitre intitulé Conversion ? propose des hypothèses et des analyses portant sur différents courants politiques et historiques québécois de l’an 2000 à aujourd’hui et, dans sa conclusion, l’auteur réitère sa réflexion selon laquelle « l’historicité québécoise est faite […] de multiplicité et d’hétérogénéité […] plus que de séparation ».
Cet ouvrage, écrit d’une très belle plume, a de nombreuses qualités. Tout d’abord, l’auteur, qui adopte un style d’écriture transparent, utilise une terminologie qu’il juge plus exacte et justifie ses choix par des notes de bas de page. Plusieurs de ces notes proposent des anecdotes, des statistiques et d’autres éléments servant à mieux illustrer son propos. Bien que le survol de l’histoire du Québec soit assez général, l’auteur apporte de nombreuses nuances à chaque sujet abordé et sort de la trame narrative traditionnelle, entre autres en ce qui concerne le mouvement indépendantiste. De plus, il laisse la place à certains sujets trop peu abordés dans l’histoire du Québec, comme le racisme et les délégations québécoises à l’étranger. Enfin, Létourneau propose une belle réflexion sur la victimisation du peuple québécois et l’image d’un peuple à genoux qui serait, selon lui, perpétuée à tort.
Cependant, la lecture du livre peut être ardue, notamment parce que l’auteur utilise un vocabulaire complexe. De plus, la manière d’aborder l’histoire du Québec est soit très (trop) générale par moment, ou très pointilleuse à d’autres moments. Cela n’est pas mauvais en soi, mais cette oeuvre s’adresse clairement à un·e lecteur·rice initié·e, qui possède de bonnes connaissances sur le sujet. Ensuite, l’auteur sort du carcan de la simple chronologie, ce qui est intéressant et original, mais propose un ouvrage qui peut sembler décousu et dont la trame narrative peut entrainer de la confusion chez les lecteur⋅rice⋅s. Cela donne parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne. Finalement, le livre est ponctué de questionnements qui font réfléchir, mais trop souvent l’auteur y répond sans y apporter de nuances.
Ce livre peut être utile en univers social, mais il s’adresse davantage aux enseignant⋅e⋅s qu’à leurs élèves, puisque sa lecture exige de bonnes connaissances sur l’histoire du Québec, condition nécessaire à leur remise en question. Par exemple, l’enseignant⋅e pourra adapter le contenu de son cours, confronter ses connaissances avec les interprétations de Létourneau, et ainsi reconstruire et nuancer la sienne. Il serait aussi intéressant de présenter des passages du livre en classe afin d’aborder l’historiographie avec les élèves. De plus, cet ouvrage ouvre la porte à un nouveau récit qui propose aux enseignant⋅e⋅s un changement de perspective à l’endroit d’un discours que l’auteur considère trop victimaire. Somme toute, La condition québécoise n’est peut-être pas destiné spécifiquement aux enseignant⋅e⋅s d’univers social, mais il leur offre de belles opportunités de réflexions.