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L’essai de Marty Laforest constitue une réponse – appuyée sur les résultats de la linguistique – aux prétentions voulant que le français parlé au Québec ne soit pas une langue, qu’il soit dégradé, exécrable (p. 25), voire qu’il témoigne d’une pensée limitée (p. 29). La liste des qualificatifs dépréciatifs est longue : le texte de Georges Dor Anna braillé ène shot paru en 1996 sert de représentant de cette position.
Près de 25 ans après la première édition, l’essai de Laforest n’a rien perdu de sa pertinence. Il est vrai que la linguistique, une science visant la description et la compréhension du fonctionnement des langues, a été peu vulgarisée (à part quelques exceptions notables, voir plus loin) et que cette quasi-absence laisse beaucoup de place à l’expression d’idées reçues et de prétentions non fondées sur la langue. L’ouvrage de 107 pages fait un usage parcimonieux de la terminologie spécialisée et comprend, outre la préface et l’avant-propos, une introduction, huit chapitres, une courte conclusion et une bibliographie. Les chapitres, aux titres imagés (par exemple, Remise de peine pour une langue condamnée, ou encore Le français québécois souffre-t-il de scoliose ?), renvoient en fait à des thèmes centraux en linguistique : objet de la linguistique (chapitre 1), variation sociolinguistique (chapitres 2 et 7), lexique (chapitre 3), syntaxe (chapitre 4), morphologie (chapitre 5), phonétique et phonologie (chapitre 6). Un chapitre concerne l’enseignement de la langue (chapitre 8).
Dans les deux premiers chapitres, Laforest établit les distinctions nécessaires entre langue orale et écrite, et elle réfute habilement, à l’aide d’exemples issus d’autres langues, la très persistante idée reçue voulant que la langue soit un reflet de la pensée (hypothèse dite de Sapir-Whorf). Elle présente la variation linguistique, montrant bien que toute langue change selon différents paramètres (temps, espace géographique, groupes sociaux), et, chez un même locuteur, dans diverses situations sociales. Elle indique aussi que toutes les langues ont une variété dite populaire. Ainsi, le français québécois parlé est-il resitué dans un contexte sociolinguistique : une variété de langue populaire présentant les caractéristiques de toutes les langues (structure, règles syntaxiques, p. 50), et celles des langues populaires (uniformisation, régularisation, p. 68).
Les chapitres 3 à 6 expliquent de nombreux faits de langue connus de tout locuteur du français québécois. Je ne peux en souligner ici que quelques-uns et inviter le lecteur à se plonger dans le livre pour en découvrir d’autres ! Le but est toujours de démontrer que le français québécois présente des caractéristiques linguistiques « normales » et indépendamment décrites par la linguistique. Les phénomènes phonologiques de réduction et d’assimilation (t’es parti, chu ben tanné, voir p. 80) sont fort bien présentés, tout comme la réduction des groupes consonantiques (le minis, la tab, p. 79). Les phénomènes d’allongement des voyelles et de diphtongaison (mon paère, p. 75) sont particulièrement bien expliqués. En morphologie, la présence de formes comme ils sontaient (p. 67) est adéquatement ramenée au phénomène de (sur)généralisation des règles ; les diverses formes des pronoms personnels (y’est parti, al a raison, p. 69-71) sont également abordées. En syntaxe, l’argumentation à l’encontre d’une syntaxe déficiente du français québécois populaire s’avère très réussie (p. 60). Le -tu interrogatif (I neige-tu encore ?), dont on souligne la parenté avec le -ti d’autres variétés régionales, est replacé dans son contexte historique ; il aurait toutefois été intéressant d’indiquer qu’il peut aussi être un marqueur d’exclamation (Ça se peut-tu !), voir D’un français à l’autre : la syntaxe de la microvariation, de Vinet (2001).
Le dernier chapitre s’intitule La langue et l’école. La proposition centrale, soit de s’appuyer sur les connaissances linguistiques déjà présentes chez les élèves (leur compétence linguistique), fait partie des considérations – exposées par exemple dans l’ouvrage de Chartrand (1996) Pour un nouvel enseignement de la grammaire – soutenant le choix d’enseigner la grammaire nouvelle dans les écoles du Québec (depuis 1995 au secondaire et 2001 au primaire). L’école vise donc aujourd’hui à ce que les élèves utilisent leur compétence linguistique pour comprendre le fonctionnement de la langue et pour maitriser la variété standard, alors que la grammaire scolaire actuelle se fonde sur une transposition didactique accessible des travaux linguistiques. Il existe toutefois encore une bonne distance entre cet objectif et sa réalisation effective à l’école.
La grande majorité des ouvrages de la bibliographie date d’avant 2000. On s’étonne de l’absence de certains titres, notamment de travaux de vulgarisation scientifique de la linguistique devenus classiques. Le premier est The language instinct de Steven Pinker, un ouvrage de portée internationale publié une première fois en 1994 et traduit en au moins 14 langues. Le second, bien connu dans le monde francophone, est le Catalogue des idées reçues sur la langue (1988), de Marina Yaguello. Ces deux ouvrages permettraient au lecteur curieux de continuer son investigation sur le fonctionnement de la langue. Pour une description linguistique récente et accessible du français québécois, on aurait pu mentionner l’ouvrage de Reinke et Ostiguy (2016), Le français québécois d’aujourd’hui.
Le livre de Laforest constitue à mes yeux une très belle contribution à la vulgarisation scientifique de la linguistique : il propose en effet, à travers l’étude des caractéristiques du français québécois parlé, une introduction accessible à la démarche linguistique.