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Quel éclairage la géographie apporte-t-elle à la compréhension du capitalisme qui revêt aujourd’hui un caractère mondialisé ? Renaud Duterme traite de cette question en proposant une lecture spatiale du phénomène dans son Petit manuel pour une géographie de combat. L’auteur souhaite convaincre les lecteur⋅rice⋅s de l’importance d’inclure la composante capitaliste dans l’analyse géographique, ainsi que de la nécessité de mobiliser la géographie pour comprendre les enjeux actuels. Il inscrit sa démarche dans le courant de la géographie radicale, voire d’une géographie populaire inspirée par Howard Zinn. Volontairement court et vulgarisé pour un public élargi, cet essai porte plus spécifiquement sur la dynamique spatiale des rapports de forces inégalitaires que génère le capitalisme au sein des territoires et des populations.
La première section de l’ouvrage expose la manière dont le colonialisme a étendu mondialement des rapports de domination inégalitaires entre les centres (métropoles) et les périphéries (colonies). Cette domination coloniale aurait alors fourni les conditions nécessaires à l’instauration et à l’expansion du capitalisme, aux dépens des populations locales, par la monopolisation et la sous-traitance des moyens de production. La deuxième section met en évidence des mécanismes spatiaux de domination, qui ont servi à la croissance du capitalisme (colonisation, urbanisation, dettes, guerres, etc.), ainsi que les inquiétudes que soulève cette logique de croissance continue sur une planète aux espaces et aux ressources limités. Dans la troisième section, l’auteur fait mention de la mainmise du capitalisme sur les États, qui est accentuée par l’interdépendance entre les territoires. Les traités de libre-échange, les délocalisations et les multinationales favorisent une « lutte des lieux » par la mise en compétition des territoires, au détriment de certain⋅e⋅s acteur⋅rice⋅s et de certaines régions. La quatrième section illustre comment l’« hypermobilité du Capital » à l’échelle planétaire fragilise les acquis sociaux et la démocratie à l’intérieur des territoires, provoquant une disparité grandissante entre ces derniers, voire même un repli identitaire. Comme le souligne l’auteur, cette hypermobilité constitue un paradoxe entre le besoin capitaliste de libre-circulation du marché et la manière dont les frontières contribuent au maintien de la croissance économique par l’exploitation des inégalités socioéconomiques à travers la disparité des territoires. La cinquième section traite de l’urgence écologique. L’expansion du capitalisme apparaît alors comme un obstacle fondamental au combat environnemental, notamment parce que les externalités négatives de la production (pollution, déforestation, épuisement des terres, etc.) ont été éloignées des lieux de consommation. En guise de conclusion, l’auteur énonce le rôle primordial de la géographie afin d’appréhender les enjeux socioéconomiques, politiques et écologiques soulevés par l’expansion du capitalisme et la mondialisation. Plus encore, il évoque la nécessité de remettre en cause le contrôle du marché sur les territoires afin de permettre un espace de vie libre de toute domination, l’objectif au coeur d’une géographie de combat.
Notre lecture de l’ouvrage a principalement été guidée par l’objectif de l’auteur de convaincre les lecteur⋅rice⋅s de la nécessité de mobiliser la géographie pour comprendre les enjeux actuels, ce qui constitue une visée de formation en géographie scolaire. À cet égard, une des qualités certaines de l’ouvrage est d’illustrer, à l’aide d’exemples concrets, comment une lecture géographique du monde peut mettre en lumière des dynamiques de pouvoir qui ont cours entre les territoires et à l’intérieur de ceux-ci. Que l’on soit ou non en accord avec les propositions formulées par l’auteur, il demeure que ces dernières montrent bien l’apport de la géographie afin d’appréhender les enjeux relatifs à la mondialisation. Plus encore, les éléments soulevés dans cet essai contribuent à alimenter la réflexion sur de nombreux objets d’étude dans les programmes de géographie, par exemple l’aménagement des territoires urbains ou encore le développement des régions. Cela dit, le Petit manuel pour une géographie de combat ne traite pas spécifiquement des questions relatives à l’enseignement et à l’apprentissage de la géographie en contexte scolaire. Ainsi, peu de pistes sont offertes quant à la manière dont les enseignant⋅e⋅s de géographie peuvent accorder une plus grande importance à la lecture spatiale des phénomènes dans leur enseignement. Malgré tout, il demeure que cet essai met bien en évidence la contribution et l’importance de poser un regard géographique pour comprendre le monde.