Corps de l’article

1. Introduction

L’accueil des élèves en situation de handicap suscite des interrogations chez les enseignants d’éducation physique. D’un côté, les enseignants d’éducation physique reconnaissent volontiers le potentiel inclusif de leur discipline d’enseignement (André, Deneuve et Louvet, 2011). En effet, la participation d’un élève en situation de handicap aux activités proposées en éducation physique pourrait permettre d’augmenter son sentiment d’appartenance à la classe ou à la communauté scolaire, d’optimiser son potentiel physique et moteur et d’améliorer son bienêtre (Murphy et Carbone, 2008). De même, en tant qu’environnement socialement structuré, l’éducation physique offre des occasions multiples et concrètes de développer des comportements sociaux positifs entre les élèves avec et sans handicap (Sherrill, 2004). D’un autre côté, l’accueil des élèves en situation de handicap soulève un certain scepticisme et parfois même des résistances chez les enseignants d’éducation physique en raison de leurs difficultés à relever le défi de l’inclusion (Tant et Watelain, 2016), c’est-à-dire à répondre favorablement aux besoins éducatifs particuliers de ces élèves sans pour autant négliger les apprentissages moteurs, sociaux, affectifs, cognitifs des autres élèves (Combs, Elliott et Whipple, 2010).

Ainsi, les écrits font état de différentes modalités d’accueil des élèves en situation de handicap en éducation physique allant de la plus exclusive à la plus inclusive en passant par des formes intégratives. Par exemple, Blinde et McCallister (1998) décrivent la situation d’un adolescent en situation de handicap moteur (dysplasie fibreuse) qui, malgré l’autorisation médicale de participer au cours d’éducation physique, en a été exclu par l’enseignant. Une autre forme d’exclusion dite fonctionnelle (Tripp, Rizzo et Webbert, 2007) survient lorsqu’un élève est amené à n’assumer que des rôles autour de la pratique sportive (observer, arbitrer, tenir la table des scores, chronométrer…) sans participation physique véritable aux enseignements disciplinaires.

Une autre modalité d’accueil dite intégrative est repérée chez une partie des enseignants d’éducation physique (Tant, 2014). L’auteur montre en effet que certains enseignants intègrent les élèves en situation de handicap au moyen d’une participation physique et sportive effective, à condition qu’ils soient en mesure de répondre favorablement aux programmes disciplinaires (aspect normatif). Pour ce faire, ces enseignants adoptent une démarche d’intégration en cascade (déclinaison en éducation physique du placement de l’élève dans un environnement le moins restrictif possible). Ainsi, en fonction de ses incapacités, l’enseignant place l’élève : 1) dans les mêmes situations que ses pairs ordinaires, avec éventuellement quelques aménagements (par exemple, en badminton avec un terrain réduit en raison de difficultés de locomotion) ; 2) dans la même activité que ses pairs, mais de façon individuelle (par exemple, il pratique de façon autonome un circuit technique en basketball, alors que ses pairs font un match) ; et 3) dans une autre activité physique sans lien avec la situation de la classe afin de renforcer une capacité physique particulière (par exemple, il se renforce musculairement au moyen des exercices de musculation et d’étirements pendant que la classe pratique l’athlétisme). Or, dans cette dernière modalité d’accueil, axée sur une conception médicale de l’enseignement, l’éducation physique est confondue avec la rééducation psychomotrice qui entrave l’intégration de l’élève n’ayant pas accès aux activités physiques et sportives proposées aux autres élèves de la classe et aux interactions qui en découlent (Garel, 2003).

Ainsi, au regard de l’hétérogénéité des modalités d’accueil et du niveau de participation des élèves en situation de handicap en éducation physique ainsi qu’en raison du scepticisme des enseignants pour relever le défi de l’inclusion, nous pouvons nous interroger sur ce qui fait obstacle dans leurs représentations. Autrement dit, à partir de leurs connaissances, de leurs expériences et de leurs pratiques professionnelles, comment se représentent-ils les obstacles à l’inclusion et comment faire en sorte de les dépasser ?

Pour contribuer à répondre à cette question, après avoir défini le contexte théorique, nous présenterons les résultats de notre revue systématique des écrits sur les représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique sous la forme d’obstacles à l’inclusion. Ces obstacles seront à la base de notre proposition de formation continue des enseignants dans le but de les aider à relever le défi de l’inclusion.

2. Contexte théorique

L’enjeu de cette partie consiste à préciser les concepts mis en jeu tels que l’intégration ou l’inclusion scolaire et la notion de représentation, ainsi que de synthétiser les travaux de revue déjà réalisés sur l’accueil des élèves en situation de handicap en éducation physique.

2.1 Intégration et inclusion

Dans de nombreux pays occidentaux et depuis une quarantaine d’années, l’éducation des élèves en situation de handicap est passée d’une logique ségrégative à une logique inclusive en passant par une période intégrative (Thomazet, 2008). Un moment essentiel dans cette évolution est la déclaration de Salamanque (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO, 1994] qui officialise l’engagement de 92 gouvernements en faveur de l’inclusion, c’est-à-dire la volonté de scolariser les enfants et adolescents à besoins éducatifs particuliers dans le système éducatif ordinaire. Depuis, les textes internationaux confirment cette volonté d’inclusion qui ne se limite pas aux seuls élèves en situation de handicap (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO], 2009), mais à tous les élèves à besoins éducatifs particuliers (enfants allophones, issus des minorités ethniques ou linguistiques, en grande difficulté scolaire, d’apprentissage ou d’adaptation…). Ce mouvement international en faveur de l’inclusion s’oppose ainsi à toute forme d’orientation systématique des élèves différents vers le milieu spécialisé (logique ségrégative) et incite les différents pays à dépasser la simple intégration physique de l’élève à besoins éducatifs particuliers dans l’école ordinaire sans qu’il puisse participer pleinement aux activités scolaires comme tout à chacun. Malgré ces incitations inclusives, l’accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers à l’école évolue de manière variable selon les pays et leurs législations (Benoit et Plaisance, 2009). En effet, chaque pays, en fonction de ses traditions, de ses philosophies et visées éducatives et des contraintes locales (poids du secteur spécialisé, financement de l’inclusion, organisation scolaire…) s’oriente davantage vers une logique intégrative ou vers une approche inclusive des élèves à besoins éducatifs particuliers.

Dans l’approche intégrative, en fonction des difficultés et des incapacités ou des déficiences de l’élève, la visée essentielle est de l’orienter dans l’environnement scolaire le moins restrictif possible, selon un continuum de services allant de la séparation (placement en école spécialisée) à l’intégration totale en classe ordinaire. Ainsi, très tôt (à partir des années 1970), les États-Unis et le Québec ont mené des réflexions sur le placement des élèves à besoins éducatifs particuliers dans l’environnement scolaire le moins restrictif (respectivement Education for All Handicapped Children’s Act en 1975 et Comité provincial de l’enfance exceptionnelle en 1976). Dans cette perspective intégrative, c’est davantage à l’élève de prouver sa capacité à être orienté dans un environnement le plus ordinaire possible, c’est-à-dire sa facilité à répondre aux attentes et performances scolaires moyennes de ses camarades du même âge. Dans cette vision assimilatrice (mainstreaming, en anglais : littéralement, suivre le courant dominant), l’intégration scolaire s’appuie sur une conception normative de l’école visant à amener ces élèves le plus près possible du niveau de leurs camarades ordinaires au moyen des dispositifs de soutien spécialisé (Moran, 2007). Ainsi, dans l’approche intégrative, le système éducatif tente plutôt d’aider l’élève à se conformer aux normes sociales et scolaires de l’école ordinaire. En éducation physique, cette logique intégrative prend tout son sens dans la description de l’intégration décrite en introduction (Tant, 2014).

En revanche et par réaction à la logique intégrative, l’approche inclusive ne se base pas sur les différences de performances ou de niveaux scolaires entre des élèves « normaux » et des élèves à besoins éducatifs particuliers. Dans cette approche, l’école est moins le lieu de transmission de savoirs académiques normés et enseignés indépendamment des besoins particuliers de chacun, que le lieu d’éducation et d’interaction entre les élèves qui s’appuie sur le potentiel d’apprentissage de chacun et la capacité d’apprendre les uns des autres (Rousseau, Bergeron et Vienneau, 2013). En cela, l’approche inclusive défend une vision expérientielle de la citoyenneté s’appuyant sur la participation sociale et la richesse de la diversité (Ebersold, 2009). Ce changement de paradigme suppose une transformation de l’école basée sur le principe d’une scolarisation de tous les élèves, y compris les élèves à besoins éducatifs particuliers, sur la base du droit égal de chacun à recevoir une éducation de qualité (Rousseau et Bélanger, 2004). Pour ce faire, l’école inclusive se caractérise par la volonté constante des acteurs éducatifs de s’adapter aux besoins de chacun et de répondre ainsi à la diversité des élèves (Ainscow, 2009). L’inclusion est donc moins une fin en soi qu’un processus dynamique en perpétuel mouvement (Plaisance, Belmont, Vérillon et Schneider, 2007 ; Thomazet, 2008), orienté vers la recherche de solutions, d’adaptations, de différenciations et d’aménagements toujours plus inclusifs.

Dans ce cadre, l’inclusion en éducation physique consisterait à anticiper sur les besoins éducatifs particuliers des élèves de la classe afin de modifier l’environnement des activités physiques et sportives et de rechercher les formes de différenciations pédagogiques pour viser les apprentissages (moteurs, physiques, cognitifs, affectifs…) en suivant le rythme de chacun et pour développer le vivre ensemble (esprit d’équipe, coopération, fair-play…).

2.2 Accueil des élèves en situation de handicap en éducation physique

Depuis une vingtaine d’années, quatre revues systématiques des écrits se sont intéressées à l’accueil des élèves en situation en handicap en éducation physique. Elles s’accordent pour dénoncer les attitudes des enseignants d’éducation physique comme l’obstacle majeur à l’inclusion des élèves en situation de handicap. Tout d’abord, Block et Obrusnikova (2007) ont examiné les études en anglais publiées entre 1995 et 2005 portant sur l’inclusion en éducation physique. Le frein principal à l’accueil des élèves en situation de handicap repose sur les attitudes des enseignants définies comme les prédispositions des enseignants à accueillir un élève en situation de handicap dans leurs cours. Il en ressort que le manque de formation en éducation physique adaptée des enseignants et leur inexpérience auprès d’élèves en situation de handicap entrainent des attitudes souvent négatives dans la perspective de les accueillir en cours. Pour leur part, O’Brien, Kudláček et Howe (2009) ont synthétisé la littérature de langue anglaise sur l’inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers en éducation physique sur une période de huit ans (2000-2008). Les auteurs suggèrent que les enseignants seraient disposés à accueillir des élèves en situation de handicap à condition qu’ils soient régulièrement conseillés par des enseignants spécialistes de l’éducation physique adaptée. De leur côté, Qi et Ha (2012a) ont réalisé une analyse thématique des articles en anglais parus entre 1990 et 2010. La barrière la plus importante pour l’inclusion en éducation physique se focalise sur les attitudes des enseignants qui sont façonnées par leur niveau de formation et d’expérience dans l’inclusion, ainsi que par le type de handicap à accueillir (par exemple, les enseignants ont des intentions d’accueillir plus favorablement des élèves atteints de troubles d’apprentissages que des élèves ayant des troubles du comportement). Finalement, Tant et Watelain (2014) ont recensé de façon systématique les articles en français et en anglais, publiés entre 1975 et 2015, portant directement sur les attitudes des enseignants d’éducation physique envers l’inclusion. Les auteurs montrent que leurs attitudes dépendent à la fois de facteurs intrinsèques tels que leur sentiment de compétence dans les pratiques inclusives et de facteurs extrinsèques tels que l’âge de l’élève en situation de handicap, le type et la sévérité de son handicap. En effet, les enseignants d’éducation physique sont plutôt favorablement prédisposés à accueillir des élèves ayant des troubles des apprentissages, alors qu’ils sont réservés pour inclure des élèves ayant une déficience mentale ou motrice et présentent des intentions clairement défavorables envers l’inclusion d’élèves atteints de trouble du comportement. De même, Tant et Watelain (2014) montrent que plus le handicap est sévère ou plus l’élève est âgé et plus les attitudes des enseignants sont négatives.

2.3 La notion de représentation professionnelle

Jusqu’à présent, les différentes recensions des écrits traitant de l’inclusion vue par les enseignants d’éducation physique s’orientent vers la notion d’attitude. Ces attitudes sont définies, non pas comme des représentations issues des connaissances ou des expériences inclusives des enseignants, mais plutôt comme des à priori, des prédispositions ou des intentions préalables à l’inclusion (Allport, 1935 ; Antonak et Livneh, 2000). C’est pourquoi ce travail entreprend d’aller au-delà de l’analyse des attitudes pour interroger les représentations des enseignants d’éducation physique qui ont déjà été confrontés de manière significative à l’inclusion et qui se positionnent professionnellement. Ces représentations peuvent être définies comme des représentations professionnelles, car elles sont reliées à un ensemble de connaissances et d’expériences professionnelles partagées par les membres d’une même profession (Bataille, Blin, Jacquet-Mias et Piaser, 1997). Autrement dit, les représentations professionnelles sont des connaissances issues de l’action, de l’expérience et des interactions partagées par des individus liés à la même sphère d’activité professionnelle (Piaser, 2000). Qui plus est, pour être qualifiées de professionnelles, ces représentations doivent être constituées d’éléments significatifs, issus des connaissances acquises par la formation et l’expérience, qui forment l’identité et la mémoire commune du groupe professionnel de référence (Piaser et Bataille, 2011), ici les enseignants d’éducation physique titulaires, intégrant ou incluant régulièrement des élèves en situation de handicap dans leurs cours au milieu des autres élèves.

Dans ce cadre, notre question de recherche est la suivante : comment, en fonction de leurs connaissances et expériences dans l’accueil des élèves en situation de handicap, les enseignants d’éducation physique se représentent-ils les obstacles à l’inclusion, base de connaissances nécessaires pour proposer des contenus de formations professionnelles cohérents ? Pour y répondre, nous avons recensé puis analysé qualitativement les études portant sur les représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique sous la forme d’obstacles à l’inclusion des élèves en situation de handicap. Le prolongement applicatif de cette analyse consiste à proposer des contenus de formation pour tenter de relever le défi de l’inclusion.

3. Méthode

3.1 Articles retenus

Les articles potentiellement pertinents, publiés entre 1975 et 2015, ont été identifiés à l’aide des bases de données suivantes : Cairn.info, Persée, Revue.org, Érudit, Isidore, ERIC, Academic Search Premier, Education Research Complete, PSYCINFO, Science Direct et Web of Science. Afin de rendre compte des différentes terminologies utilisées pour l’accueil des élèves en situation de handicap sur la période de 1975 à 2015, les mots clés utilisés pour les recherches électroniques ont été « inclusion » ou « intégration » et « enseignant d’éducation physique », pour le français, et « inclusion » ou « integration » ou « mainstreaming » et « physical education teacher », pour l’anglais. En fonction des possibilités offertes par les bases de données (recherche avancée), nous avons balisé les dates (1975-2015), les langues (français et anglais) et le type de document (article de revue arbitrée). Les références bibliographiques des articles retenus ont également été analysées pour identifier d’éventuels articles supplémentaires. C’est ainsi que 525 études ont été identifiées.

3.2 Instrumentation

Pour être inclus dans notre revue, chaque article devait répondre aux critères d’inclusion suivants : 1) être un travail publié entre janvier 1975 et décembre 2015 ; 2) être publié en anglais ou en français ; 3) être constitué de recherches portant sur les représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique en situation (par exemple, les études qui ont développé de nouveaux instruments ou les études qui mesurent exclusivement les perceptions des élèves ont été exclues) ; 4) se concentrer sur les enseignants d’éducation physique titulaires (par exemple les études centrées uniquement sur les étudiants au professorat d’éducation physique ou les enseignants en activité physique adaptée ont été exclues) ; 5) être situé dans des publications périodiques (par exemple, les livres, documents non publiés, thèses de doctorat, mémoires de master, actes de colloques ou chapitres de livres ont été exclus) ; 6) comprendre au moins un élève de l’école primaire ou secondaire en situation de handicap au sens de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé de 2001 (le handicap est envisagé non pas comme un attribut personnel de l’élève, mais comme une restriction de sa participation sociale résultant de l’interaction entre une limitation d’activité et des obstacles environnementaux) ; 7) expliciter dans la méthodologie les quatre éléments suivants de manière suffisamment détaillée pour pouvoir reproduire l’étude : a) la définition de l’échantillon sélectionné ; b) les variables mesurées ; c) les instruments de recueil de données utilisés ; et d) les méthodes d’analyse des données utilisées.

Chaque étude a été évaluée indépendamment par les trois auteurs qui ont noté sur une échelle dichotomique l’absence ou la présence de chacun des critères. En cas de désaccord, les articles ont été réévalués collégialement afin de parvenir à un consensus. Il en résulte que, parmi les 525 études consultées, 35 articles répondent à l’ensemble de nos critères d’inclusion (voir la figure 1 relative au processus de sélection des articles en annexe).

3.3. Méthode d’analyse des données

Une première analyse des résultats généraux de notre revue systématique entreprend de répartir les 35 études par date de publication et par pays dans le but de replacer les représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique dans leur contexte de production.

Par la suite, nous avons réalisé une analyse qualitative, inductive et thématique des résultats des articles, selon l’approche de Thomas et Harden (2008), divisée en trois étapes :

  1. Le codage ouvert des résultats de chaque article. Cette étape consiste, à partir d’une lecture attentive de chaque étude, à extraire les résultats relatifs aux représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique lors de l’inclusion et à les coder ligne par ligne (sans catégories préconçues).

  2. L’analyse thématique au moyen de la catégorisation. Cette deuxième étape entreprend de comparer les codes relatifs aux résultats des représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique pour les rassembler en thèmes homogènes sous la forme d’obstacles à l’inclusion. Après avoir défini chaque code et chaque thème, les auteurs sont retournés aux données brutes pour valider l’ancrage inductif de l’analyse. De même, pour assurer un maximum de rigueur, nous avons utilisé la procédure du codage parallèle en aveugle (Lincoln et Guba, 1985). À cet effet, de façon indépendante, les trois auteurs ont effectué chacune des deux étapes. À la fin de chacune d’elles, les chercheurs ont confronté leurs analyses. Ainsi, ces deux premières étapes entreprennent de répondre à notre objectif de recherche : l’analyse qualitative des études recensées portant sur les représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique sous la forme d’obstacles à l’inclusion des élèves en situation de handicap.

  3. L’interprétation générale des résultats de l’analyse thématique. Cette étape vise à « aller au-delà » de la synthèse thématique des résultats pour tenter de proposer des contenus de formation aux enseignants d’éducation physique, cohérents avec les obstacles à l’inclusion des élèves en situation de handicap préalablement identifiés. Pour ce faire, les auteurs ont discuté des différents contenus de formation qui seraient le plus adaptés à chacun des obstacles et ainsi aider les enseignants d’éducation physique à relever le défi de l’inclusion. Cette troisième étape correspond au prolongement applicatif de notre recherche.

4. Résultats

4.1 Résultats généraux

Deux données importantes peuvent être extraites à partir des 35 articles qui ont été sélectionnés (tableau 1) pour rendre compte des représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique envers l’inclusion des élèves en situation de handicap. Tout d’abord, malgré l’étendue temporelle de notre recherche (1975-2015), la première étude n’est publiée qu’en 1995. Qui plus est, on constate une accélération du rythme de publication à partir de l’année 2000 (avec quatre études de 1995 à 2000 et entre 10 et 11 études pour les quinquennats suivants). Cela étant, ce n’est que depuis le début des années 1990 que les textes internationaux (entre autres : Organisation des Nations Unies [ONU], 1993) ; Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO], 1994) entreprennent d’orienter les politiques nationales vers l’inclusion des enfants et des adolescents en situation de handicap dans les établissements et classes générales. Ainsi, c’est principalement à partir des années 2000 que de nombreuses politiques nationales relatives à la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers ont évolué d’une logique intégrative vers une approche plus inclusive (Plaisance et Gardou, 2001). Dans ce contexte, il est moins surprenant que la première étude ne soit recensée qu’en 1995. Pour illustrer cette logique de publication relativement récente, l’exemple du Japon est remarquable. En effet, bien que le Japon conserve une forte tradition d’éducation séparée et oriente préférentiellement les élèves en situation de handicap vers les écoles spécialisées, des évolutions plus intégratives se sont développées. C’est ainsi qu’au début des années 2000, pour augmenter les relations entre le milieu spécialisé et l’école ordinaire, le ministère de l’éducation japonais garantit l’évaluation des besoins éducatifs individuels pour que davantage d’élèves en situation de handicap modéré puissent, dans la mesure du possible, participer à certaines activités dans le cadre des classes ordinaires. Ainsi, le nombre d’élèves en situation de handicap modéré accueillis en classe ordinaire, en général, et en éducation physique, en particulier, a progressivement augmenté au Japon (Hodge, Sato, Mukoyama et Kozub, 2013). Il en ressort que notre recension fait état de deux études récentes (Sato et Hodge, 2009 ; Sato, Hodge, Murata et Maeda, 2007) sur les représentations professionnelles des enseignants japonais.

Ceci nous amène à notre seconde donnée majeure qui repose sur la répartition des études par pays. En effet, la plupart des études ont examiné les représentations professionnelles des enseignants des États-Unis (n = 13) ou du Royaume-Uni (n = 8). Les enseignants français figurent dans trois études et les enseignants japonais, dans deux études. Les enseignants d’Australie, de Chine, de Finlande, d’Irlande, d’Israël, de Lettonie et de Turquie sont représentés par une étude. Deux études ont porté sur plusieurs pays en même temps : l’Allemagne et les États-Unis pour l’une ; les États-Unis, le Ghana, le Japon et Porto Rico, pour l’autre. Ces données descriptives semblent renvoyer aux processus de production des représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique envers l’inclusion directement reliés aux évolutions législatives sur la scolarisation des élèves en situation de handicap dans les différents pays. Par exemple, aux États-Unis, la combinaison de deux lois fédérales (Individuals with Disabilities Education Act, 1997 et No Child Left Behind Act, 2001) contraint les établissements scolaires à inclure bien davantage les élèves en situation de handicap dans l’enseignement général (Lipsky, 2003). En réalité, ces lois imposent aux établissements ordinaires de prouver l’impossibilité de répondre aux besoins particuliers inscrits dans le projet éducatif individualisé de l’élève, sous peine de devoir financer, sur leurs fonds propres, une scolarité dans une structure plus adaptée (Thomazet, 2006). Dans ce contexte législatif, il est moins surprenant que les États-Unis fassent l’objet de plus d’articles dans notre revue. Un autre exemple de l’influence des législations nationales sur les études recensées semble pouvoir être tiré de la situation européenne. En effet, le NESSE (Network of Experts in Social Sciences of Education and Training, 2012) souligne les différentes voies prises par les États européens pour scolariser les élèves à besoins éducatifs particuliers. Elle distingue 1) les pays qui se sont très tôt engagés dans la voix de l’inclusion à l’intérieur de laquelle l’école spécialisée tient une place marginale (Italie, pays nordiques) ; 2) les pays avec des institutions séparées (école ordinaire et école spécialisée) régis par des législations différentes et qui orientent fortement les élèves en situation de handicap vers des écoles spécialisées (Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Hongrie) ; et 3) les pays qui ont développé un éventail de formules intermédiaires (classes adaptées dans les établissements ordinaires avec un recrutement d’enseignants généraux formés à l’inclusion) qui semblent à mi-chemin entre l’intégration et l’inclusion (France, Royaume-Uni). Ainsi, cette phase de transition vers l’inclusion scolaire semble provoquer de nombreuses interrogations chez les enseignants généraux et en particulier les enseignants d’éducation physique britanniques et français ; cela pourrait expliquer, au moins en partie, le nombre relativement important de publications sur leurs représentations professionnelles envers l’inclusion.

4.2 Résultats de l’analyse thématique

Les résultats de notre analyse thématique sur les représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique se divisent en trois obstacles à l’inclusion : 1) l’inadéquation entre les politiques inclusives et les programmes d’éducation physique ; 2) la difficile collaboration entre les enseignants et les partenaires de l’inclusion ; et 3) l’inadaptation de la formation initiale et continue en éducation physique adaptée. Notre analyse thématique entreprend de détailler chacun de ces trois points.

4.2.1 Inadéquation entre les politiques inclusives et les programmes d’éducation physique

Les études montrent que les enseignants d’éducation physique sont favorablement disposés à se conformer aux politiques d’inclusion scolaire relayées par les directives des administrateurs scolaires (Qi et Ha, 2012b ; Sato et Hodge, 2009). Or, pour la majorité des enseignants d’éducation physique, l’enjeu n’est pas l’inscription des principes inclusifs dans des textes formels, mais bien sa déclinaison dans les programmes disciplinaires et son application sur le terrain (Tant, Watelain, Carnel et Watté, 2013).

Cette représentation professionnelle se retrouve dans de nombreuses études du Royaume-Uni qui soulignent l’inadéquation entre les principes inclusifs inscrits dans les textes généraux et le contenu et les attentes des programmes et certifications en éducation physique (Haycock et Smith, 2010a, 2010b, 2011 ; Smith, 2004 ; Smith et Green, 2004). En effet, ces études s’accordent sur le fait que les contenus des programmes restent trop largement centrés sur les activités compétitives et collectives (football, basketball, netball…) très peu adaptées à l’inclusion, en particulier pour les élèves porteurs de troubles autistiques, en raison de leurs difficultés à comprendre les intentions des autres et à intégrer le sens de la compétition (Obrusnikova et Dillon, 2011). Par exemple, Smith et Green (2004) montrent que les enseignants ont l’intention d’inclure les élèves en situation de handicap avec les mêmes opportunités de participer aux activités que leurs camarades ordinaires, mais en pratique ce n’est pas le cas. Cela se traduit par une exclusion des activités sportives de la classe dans le sens où les programmations officielles sont trop orientées vers les activités collectives compétitives. Ils notent, par ailleurs, que les élèves en situation de handicap seraient plus aisément inclus avec leurs camarades ordinaires dans des activités individuelles, et non centrées sur la comparaison des performances interindividuelles. Cette situation est confirmée par les résultats de l’étude de Morley, Bailey, Tan et Cooke (2005) qui montrent que l’augmentation d’élèves en situation de handicap dans les écoles ordinaires du Royaume-Uni n’a pas radicalement modifié le contenu des programmations d’activités physiques des enseignants, lesquels continuent à être dominées par les sports collectifs compétitifs avec un fort accent sur la performance, l’excellence et les compétences techniques. Les auteurs montrent même que cette programmation semble avoir réduit, plutôt qu’amélioré, les possibilités pour les élèves en situation de handicap de participer aux mêmes activités que leurs camarades ordinaires. En effet, de façon générale, les élèves en situation de handicap participent à un nombre limité d’activités physiques et sportives par rapport à leurs pairs ordinaires. Dans certains cas, les élèves en situation de handicap pratiquent l’éducation physique séparément des autres élèves, c’est-à-dire dans des créneaux leur étant réservés.

À côté des programmes basés sur les activités sportives, rendant difficile l’inclusion des élèves en situation de handicap, Haycock et Smith (2010b) montrent que les certifications sont aussi en inadéquation avec les principes inclusifs. En effet, malgré l’expérience importante des enseignants interrogés, ils estiment que les critères d’évaluation sont inappropriés pour identifier les acquisitions des élèves en situation de handicap. En réalité, selon ces enseignants, les exigences essentiellement basées sur la performance ne sont atteignables que par un nombre limité d’élèves, y compris sans handicap. Cette vision de la compétition défendue dans les programmes d’éducation physique s’inscrit plus largement dans une conception compétitive du système scolaire britannique, basée sur une philosophie éducative axée sur le libéralisme économique et les lois du marché (Armstrong, 2001, Ainscow, 2016) ainsi que sur un climat concurrentiel entre les établissements scolaires (Booth, Ainscow et Dyson, 1997).

Outre les contraintes issues des programmes et certifications d’éducation physique, Tant et Watelain (2015) suggèrent que ce sont également les conceptions des enseignants sur le handicap qui entrent en tension avec l’évolution inclusive des textes officiels. Ainsi, en France, les principes inclusifs inscrits dans la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, mis en pratique au moyen de ses décrets d’application (inscription des élèves en situation de handicap dans l’école ordinaire de quartier, évaluation des besoins éducatifs particuliers, mise en place d’un projet personnalisé de scolarisation…), se heurtent parfois avec les conceptions médicales et individuelles du handicap associées à la classification internationale du handicap (1988). Selon cette approche linéaire, le handicap prend son origine dans une maladie ou dans un trouble s’extériorisant en déficience ou déficit, qui entraine ensuite des incapacités et un désavantage social. Dans ce cadre, une partie des enseignants d’éducation physique français présente une conception médicale et déficitaire tendant à exclure les élèves en situation de handicap des cours d’éducation physique par le biais du certificat médical de dispense. Une autre partie des enseignants conserve une conception médicale, mais moins restrictive, basée sur les capacités partielles de l’élève, de sorte que l’élève est autorisé médicalement à participer en partie à certaines activités physiques ou sportives du programme. Seuls les enseignants, qui défendent une conception plus sociale, interactionniste et situationnelle du handicap (proche de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, 2001) sont en phase avec l’évolution inclusive des textes officiels. Dans cette perspective, la perception de l’élève en situation de handicap n’est plus focalisée sur sa déficience, mais sur l’inadaptation de l’environnement des activités physiques et sportives qui exclut un certain nombre d’élèves en situation de handicap. Il incombe alors à l’enseignant d’éducation physique d’aménager et de différencier les programmes pour créer des programmations d’activités physiques et sportives originales et adaptées à la pratique coopérative entre les élèves avec et sans handicap.

Pour illustrer ce dernier point, l’étude de Grenier, Collins, Wright et Kearns (2014) montre que, aux États-Unis, face aux difficultés d’enseigner l’éducation physique sur la base d’activités physiques et sportives traditionnelles, une stratégie didactique consisterait à intégrer dans les programmes la possibilité d’enseigner des unités handisports. Pour ce faire, les auteurs ont réalisé une étude qualitative afin de comparer les représentations des élèves et des enseignants de trois classes de primaire pratiquant une unité handisport (basket-fauteuil, goalball, volleyball assis et hockey sur luge) pendant cinq semaines par rapport à trois classes de primaire participant à des jeux et des sports traditionnels. Les résultats montrent l’intérêt de programmer une unité handisport comme une stratégie efficace pour façonner favorablement les représentations des élèves ordinaires, mais aussi celles des enseignants. En effet, les enseignants qualifient cette stratégie d’efficace pour développer un enseignement réellement inclusif, c’est-à-dire maximisant la participation sociale de tous aux apprentissages moteurs sur les mêmes supports d’activités physiques. Qui plus est, au-delà de cette ambition coopérative, ces programmations permettent aux élèves ordinaires de pratiquer des activités associées aux personnes en situation de handicap et contribuent aussi à l’ouverture culturelle par les activités physiques adaptées et les handisports.

4.2.2 Manque de collaboration entre les enseignants et les partenaires de l’inclusion

L’inclusion suppose une collaboration effective entre les partenaires (parents, équipe pédagogique, administration, personnel médical, enseignants assistants…) pour cerner les besoins éducatifs spécifiques de l’élève et pour échanger sur les stratégies et adaptions inclusives nécessaires à la définition du projet individuel de l’élève en situation de handicap (Deslandes, 2015). En éducation physique, Génolini et Tournebize (2010) qualifient ces enseignants de coordonnateurs. Ces derniers se caractérisent par leur volonté de se mettre en relation avec les partenaires de la communauté inclusive afin de décliner le projet individuel d’inclusion de l’élève aux particularités de l’éducation physique.

Toutefois, la plupart des recherches mettent en évidence de nombreuses préoccupations chez les enseignants d’éducation physique quant à l’effectivité et à la qualité de leurs collaborations avec les partenaires de l’inclusion (Ammah et Hodge, 2005 ; Aydin, 2014 ; Fejgin, Talmor et Erlich, 2005 ; Heikinaro-Johanson, Sherrill, French et Huuhka, 1995 ; LaMaster, Gall, Kinchin et Siedentop, 1998 ; Lienert, Sherrill et Myers, 2001 ; Murata et Jansma, 1997 ; Pedersen, Cooley et Rottier, 2014 ; Sato, Hodge, Murata et Maeda, 2007). Par exemple, Aydin (2014) indique que la première préoccupation des enseignants d’éducation physique en Turquie repose sur le manque d’information concernant les besoins éducatifs spécifiques de l’élève en situation de handicap, en raison d’un manque d’échanges préalables avec les partenaires de l’inclusion. De sorte que les enseignants souhaiteraient échanger, en particulier avec le médecin scolaire, pour engager physiquement et en toute sécurité l’élève en situation de handicap au côté de ses camarades. De même, Sato et ses collaborateurs (2007) montrent que les enseignants d’éducation physique sont préoccupés par le manque de communication avec les parents des élèves en situation de handicap, pourtant les plus à même de préciser leurs besoins éducatifs spécifiques en particulier sur la motricité (coordinations, dissociations…) et les capacités physiques (force, endurance, vitesse, souplesse…).

Plus particulièrement, les enseignants d’éducation physique semblent préoccupés par leurs collaborations avec les personnels en soutien qui peuvent tenir des rôles différents selon les contextes nationaux (enseignants ressources, conseillers pédagogiques, auxiliaires de vie scolaire, enseignants assistant…). Les écrits font état de deux types de personnels pour assister l’enseignant d’éducation physique : 1) l’enseignant spécialiste en éducation physique adaptée qui est un enseignant « ressource » formé aux activités physiques adaptées, souvent affecté dans une zone d’éducation regroupant plusieurs écoles ou établissements ; 2) l’enseignant assistant qui est un éducateur « généraliste » qui accompagne au quotidien l’élève en situation de handicap, y compris en éducation physique si ses besoins éducatifs l’exigent.

En effet, Lienert et ses collaborateurs (2001) montrent la difficile collaboration entre l’enseignant d’éducation physique et l’enseignant spécialiste en éducation physique adaptée en raison d’un manque d’échanges réguliers (au maximum, une ou deux fois au cours de l’année scolaire), provoquant de fait des représentations professionnelles défavorables à l’inclusion (sentiment d’incompétence face à la complexité de l’inclusion et conservation d’une vision médicale du handicap). L’une des raisons avancées par LaMaster et ses collaborateurs (1998) repose sur le manque de disponibilité des enseignants spécialistes en éducation physique adaptée. Ce manque s’expliquerait lui-même par le nombre important de dossiers individuels qu’ont à gérer les enseignants d’éducation physique, traduisant chez ceux-ci un sentiment de désengagement de l’institution scolaire. Il en résulte que les consultations étaient trop courtes et trop espacées dans le temps pour influencer favorablement les représentations des enseignants d’éducation physique. Or, la fréquence et la qualité des communications est un élément essentiel en faveur de l’efficacité inclusive (Heikinaro-Johanson et coll., 1995). En effet, ces auteurs ont testé, sur deux enseignants finlandais (pendant 2 mois), deux modèles de communication entre l’enseignant d’éducation physique et l’enseignant spécialiste en éducation physique adaptée : 1) un modèle qualifié d’intensif (réunion en face à face chaque semaine, observation des séances d’éducation physique hebdomadaires et conversations téléphoniques régulières) et 2) un modèle qualifié de limité (une réunion au début et à la fin de la séquence d’enseignement). L’évaluation de ces deux modèles de communication montre clairement le bénéfice du modèle intensif sur le sentiment de compétence de l’enseignant en termes d’intensité et de qualité dans les interactions pédagogiques (adaptations, différenciations, temps d’instruction, quantité et qualité des rétroactions, encouragements). Ce sentiment de compétence provoque des représentations professionnelles favorables à l’inclusion, basées sur la recherche collective et dynamique d’innovations didactiques pour développer le potentiel moteur et physique de chacun, ainsi que pour transformer positivement les perceptions des élèves ordinaires sur le handicap.

Ainsi, pour Grenier (2011), la construction de représentations plus favorables de l’inclusion passe par la collaboration longue et régulière entre l’enseignant d’éducation physique et le spécialiste en éducation physique adaptée au travers du coenseignement. En effet, Grenier (2011) montre l’efficacité de ce travail coopératif sur une période d’enseignement de 16 semaines pour rendre effectif la transition d’un enseignement spécialisé (élève en situation de handicap séparé des élèves ordinaires) vers un enseignement inclusif (élève en situation de handicap au milieu des élèves ordinaires). Cela se traduit par des concertations approfondies pour préparer les séances, par des échanges sur les adaptations pédagogiques pendant les séances et par des nombreuses réflexions post séances sur leurs pratiques inclusives. C’est à partir de ce coenseignement que s’est construit une représentation sociale du handicap à l’intérieur de laquelle la recherche collective d’environnements pédagogiques et didactiques est considérée comme un puissant levier pour lutter contre l’exclusion des élèves en situation de handicap en éducation physique.

De plus, à côté de la fréquence et la qualité des échanges entre l’enseignant et le spécialiste en éducation physique adaptée, la qualité de la collaboration avec les enseignants assistants semble également essentielle. Or, pour Pedersen et ses collaborateurs (2014), bien que les enseignants d’éducation physique aient généralement une attitude favorable à l’égard des enseignants assistants, leurs manques de connaissances en éducation physique générale et en éducation physique adaptée en particulier limitent souvent la coopération. Ces lacunes en éducation physique adaptée sont confirmées par Vickerman et Blundel (2012) qui montrent, au moyen d’un questionnaire, que 63,3 % des enseignants assistants ont certes reçu une formation générale sur l’inclusion, mais que celle-ci portait spécifiquement sur l’éducation physique adaptée dans seulement 5,5 % des cas. Or, pour Murata et Jansma (1997), la formation des enseignants assistants aux particularités de l’inclusion en éducation physique permettrait une meilleure collaboration avec les enseignants d’éducation physique et, par la même occasion, induirait des représentations plus favorables envers l’inclusion. Les auteurs confirment cette hypothèse en montrant qu’une coopération entre un enseignant assistant et un enseignant d’éducation physique, tous les deux formés en éducation physique adaptée, est bien plus efficace que l’enseignant d’éducation physique formé en éducation physique adaptée seul. L’efficacité de cette collaboration se traduit par un temps d’activité physique et d’apprentissage moteur significativement augmenté, ayant un impact positif sur les représentations des enseignants envers l’inclusion.

4.2.3 Inadaptation de la formation initiale et continue en éducation physique adaptée

De nombreuses recommandations en matière de formation des enseignants généraux concernant l’inclusion scolaire se développent (par exemple, les recommandations de l’agence européenne pour le développement de l’éducation des personnes ayant des besoins particuliers en 2010). L’objectif de ces initiatives est d’augmenter le nombre d’enseignants formés aux différenciations et aux adaptations (Gombert et Roussey, 2007) en fonction des besoins éducatifs particuliers des élèves à accueillir. Or, Tournebize et Génolini (2004) montrent, par exemple, que les enseignants d’éducation physique français, en majorité, ne changent pas leur façon d’enseigner pour inclure un élève en situation de handicap. En effet, l’inefficacité des formations initiales et continues dans le domaine de l’inclusion en éducation physique est régulièrement dénoncée (Chandler et Green, 1995 ; Crawford, 2011 ; Fitzgerald, Stevenson et Botterill, 2004 ; Hardin, 2005 ; Hersman et Hodge, 2010 ; Hodge, Ammah, Casebolt, LaMaster, Hersman, Samalot-Rivera et Sato, 2009 ; Hodge, Ammah, Casebolt, LaMaster et O’Sullivan, 2004 ; Klavina, Block et Larins, 2007 ; Lieberman, Houston-Wilson et Kozub, 2002 ; Vickerman et Coates, 2009).

Tout d’abord, concernant la formation initiale, Vickerman et Coates (2009) constatent, à la suite d’une enquête, que 84 % des enseignants d’éducation physique récemment qualifiés et 43 % des professeurs stagiaires du Royaume-Uni estiment que le contenu de la formation est trop théorique et ne permet pas d’inclure de façon satisfaisante les élèves en situation de handicap dans leurs cours. Ces résultats sont confirmés par des enseignants étatsuniens d’éducation physique récemment qualifiés Hardin, 2005) qui suggèrent qu’une formation initiale sur le terrain avec l’aide d’enseignants expérimentés dans l’inclusion permettrait d’incorporer rapidement et directement les stratégies inclusives efficaces.

Ensuite, concernant, la formation continue, Fitzgerald et ses collaborateurs (2004) sélectionnent, parmi 105 questionnaires, huit enseignants d’éducation physique qui ont suivi des formations continues en éducation physique adaptée pour des entretiens en face à face. De nombreux enseignants se sentent encore insuffisamment compétents pour inclure efficacement des élèves en situation de handicap dans leurs cours et restent donc sceptiques quant à la pertinence et l’utilité de ce type de formation. De même, Lieberman et ses collaborateurs (2002) ont interrogé 148 enseignants volontaires pour participer à une formation sur l’inclusion d’élèves déficients visuels. Les auteurs constatent que l’obstacle le plus couramment identifié représente le manque de formation au niveau des carrières professionnelles (66 %). En outre, les auteurs suggèrent que les formations devraient s’orienter davantage vers les stratégies didactiques et les adaptations pédagogiques en fonction des problématiques inclusives de terrain et réduire la place considérable liée aux aspects théoriques de la déficience (physiologie de l’oeil, causes et conséquences des maladies visuelles…). Dans cette recherche de qualité dans les formations continues, Ko et Boswell (2013) suggèrent, au travers d’une étude qualitative sur sept enseignants, que l’expérience acquise au cours des pratiques inclusives pourrait être réinvestie dans un processus continu de collaboration professionnelle au cours de formations régulières.

Un exemple de formation à l’inclusion est décrit par Grenier (2006) qui a réalisé une étude de cas avec une enseignante d’éducation physique incluant, dans sa classe (n = 16), un élève atteint d’une grave infirmité motrice cérébrale et d’une déficience visuelle, sur une période de six mois. Les données proviennent d’entretiens, d’observations et des préparations des séances de l’enseignante. L’analyse thématique permet de montrer que l’enseignante volontaire et formée aux stratégies et aux adaptations inclusives s’investit en premier lieu dans la coopération entre les élèves. Pour ce faire, l’enseignante utilise en priorité l’apprentissage coopératif dans la classe à effectif réduit pour amplifier les interactions sociales entre élèves. De même, elle utilise souvent le tutorat par les pairs (entre l’élève en situation de handicap et un camarade volontaire) en imposant un objectif moteur commun qui ne peut être atteint que par la participation effective des deux élèves. Pour amplifier encore davantage le temps de coopération entre les élèves, l’enseignante instaure également un climat de classe de maitrise, par opposition à un climat de compétition, exacerbant les performances interindividuelles. Dans ce cas précis, les représentations professionnelles en faveur de l’inclusion de l’enseignante s’appuient sur une approche socioconstructiviste à l’intérieur de laquelle les interactions sociales sont essentielles pour les apprentissages (André, Louvet et Deneuve, 2013).

5. Discussion

Dans les parties précédentes, notre travail de recension des études relatives aux représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique envers l’inclusion vient compléter les apports des autres revues de la littérature axées sur leurs attitudes. De plus, notre analyse thématique a permis de répondre à notre objectif de recherche en distinguant trois obstacles majeurs à l’inclusion dans les représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique. Le prolongement applicatif de ce travail consiste à discuter de la proposition de contenus de formation aux enseignants d’éducation physique cohérents avec ces obstacles. Pour ce faire, à chaque obstacle est proposé un contenu de formation spécifique.

5.1 Pour dépasser le manque de collaboration : vers une formation pluridisciplinaire

Notre analyse thématique met en évidence le manque d’échanges entre l’enseignant d’éducation physique et les partenaires de l’inclusion, pour déterminer les besoins éducatifs de l’élève en situation de handicap, d’une part, et la difficile collaboration entre l’enseignant d’éducation physique et le spécialiste en éducation physique adaptée ou l’enseignant assistant pour les cours, d’autre part. C’est pourquoi nous proposons une formation pluridisciplinaire en deux temps.

Un premier temps de formation de l’équipe inclusive au complet (parents, administrateur, équipe enseignante, professionnels médicaux…) qui consisterait à déterminer collectivement les besoins éducatifs spécifiques de l’élève pour s’entendre sur les objectifs éducatifs (visées communes), définis dans un projet individuel d’inclusion (Trépanier et Beauregard, 2013). Compte tenu de la singularité de chaque élève en situation de handicap, ce premier moment de formation pourrait être effectué localement, dans les écoles régulières, avec les différents partenaires de la communauté éducative. Dans cette optique, la participation active des parents est essentielle pour détailler les besoins éducatifs de leur enfant et pour construire un projet individuel d’inclusion cohérent et précis (Larivée, Kalubi et Terrisse, 2006). De même, l’implication de l’administrateur est également primordiale pour : 1) incarner un leadeurship, une autorité en faveur de l’inclusion ; 2) reconnaitre le travail d’équipe comme une partie essentielle de la mission des enseignants ; 3) réunir tous les partenaires qui pourraient aider les enseignants à déterminer précisément le projet d’inclusion individuel. À ce titre, pour l’éducation physique la collaboration avec un professionnel médical peut parfois s’avérer nécessaire pour cerner d’éventuels besoins d’éducation à la santé et à la sécurité, en même temps que de renseigner l’enseignant sur les capacités physiques de l’élève ; 4) convenir de l’organisation de la scolarité de l’élève (adaptation des horaires, accessibilité des salles de classe, soutien d’un assistant pédagogique, formation des enseignants, etc.). Dans cette perspective, les aspects organisationnels de l’éducation physique (accessibilité des installations sportives, système de mise à l’eau à la piscine, présence d’un enseignant assistant…) pourront être abordés.

Le deuxième moment de formation pluridisciplinaire consiste à définir les aspects didactiques et pédagogiques du plan individuel de l’inclusion. Pour ce faire, il semble nécessaire que tous les enseignants (les enseignants généraux des différentes disciplines, les enseignants spécialisés et les enseignants assistants) se réunissent régulièrement, à la fois pour définir et redéfinir les objectifs d’acquisitions prioritaires en fonction des besoins éducatifs particuliers de l’élève à tous les niveaux (cognitif, moteur, social, affectif, artistiques etc.), mais aussi pour élaborer une stratégie inclusive commune optimisée par la mise en commun des pratiques inclusives de chacun (Rouse et Florian, 1996). À ce titre, les échanges entre l’enseignant d’éducation physique et l’enseignant assistant ou l’enseignant spécialiste en éducation physique adaptée nous semblent nécessaires pour anticiper sur les stratégies inclusives, pour échanger sur les adaptations pédagogiques en situation ainsi que pour objectiver un retour réflexif sur leurs pratiques inclusives.

5.2 Pour dépasser l’inadéquation des textes : vers une formation aux stratégies inclusives d’éducation physique

même s’il existe autant de stratégies inclusives en éducation physique que de besoins éducatifs spécifiques, notre analyse met cependant en évidence trois stratégies susceptibles de favoriser l’inclusion. Tout d’abord, une première stratégie consisterait à programmer des activités physiques adaptées ou des handisports afin de développer l’inclusion inversée qui consiste à « handicaper » les élèves ordinaires afin qu’ils pratiquent l’éducation physique dans les mêmes conditions que leurs pairs en situation de handicap (André, Kogut, Tant et Midelet, 2014). Par exemple, l’enseignant remplace l’activité basketball par le basket-fauteuil pour tous afin d’inclure plus aisément un élève atteint d’une paraplégie en même temps que d’ouvrir les élèves ordinaires aux activités habituellement réservées aux personnes en situation de handicap. Une autre stratégie reposerait sur l’utilisation d’un style d’enseignement inclusif (Mosston et Ashworth, 2002) qui vise à fournir aux élèves la possibilité de s’engager dans une activité à un niveau de compétence approprié. Par exemple, en escalade, l’enseignant détermine plusieurs niveaux de difficultés parmi les voies d’escalade (en fonction de la distance entre les prises, de la taille des prises ou de l’inclinaison de la paroi). Chaque élève, y compris, par exemple, un élève ayant une déficience visuelle, teste les différentes voies pour déterminer son niveau initial et travaille à atteindre progressivement le niveau suivant. En outre, par cette situation, l’enseignant provoque des relations sociales structurées entre l’assureur (un élève sans handicap) et le grimpeur, le premier étant chargé de guider l’élève déficient visuel dans son ascension. Un dernier exemple de stratégie s’appuierait sur la modification d’un ou plusieurs paramètres des activités sportives traditionnelles (la taille du terrain, le nombre de joueurs, les règles du jeu, etc.). Par exemple, lors des matchs en sport collectif, l’enseignant peut réduire significativement le nombre de joueurs pour diminuer la charge cognitive et émotionnelle et favoriser ainsi l’inclusion d’un élève ayant un retard mental. Cette stratégie bien connue des enseignants d’éducation physique doit, tout de même, être utilisée avec précaution. En effet, Block (2007) rappelle que des modifications importantes qui changent la nature ou les règles du jeu peuvent causer de l’insatisfaction, voire du ressentiment, de la part des élèves ordinaires (en particulier les compétiteurs) envers les élèves en situation de handicap.

5.3 Pour dépasser le manque de formation : vers une formation aux adaptations pédagogiques en éducation physique

Sans prétention d’exhaustivité, notre analyse thématique permet de mettre en évidence certaines adaptations pédagogiques intéressantes en situation inclusive. Tout d’abord, instaurer un climat de classe de maitrise faciliterait la concentration des élèves sur leur propre processus d’apprentissage plutôt que sur les performances (Valentini et Rudisill, 2004). Par exemple, même au cours d’activités de performance (athlétisme, natation de course, etc.), l’enseignant peut évaluer les progrès de chaque élève (en termes d’acquisitions de compétences motrices ou d’évolution de ses propres performances) plutôt que de comparer les performances entre les élèves. Cela semble particulièrement intéressant pour des élèves atteints dans leur locomotion, comme les paralysies cérébrales. Une autre adaptation intéressante s’orienterait vers l’apprentissage coopératif qui nécessite la création de petits groupes d’élèves (avec et sans handicap) devant travailler ensemble pour atteindre un objectif commun. Cet objectif commun ne peut être accompli que par la contribution effective de chacun des membres du groupe inclusif (Johnson et Johnson, 1999). Cette adaptation pédagogique est intéressante pour les activités collectives en permettant d’amplifier les relations sociales entre les élèves (André et coll., 2011). Par exemple, en course d’orientation par équipe incluant un élève atteint de trisomie, les élèves pourraient au préalable discuter de la répartition des balises (chacun devant poinçonner au moins une balise) en fonction de leur complexité cognitive de manière à trouver la solution collective la plus efficace. Une dernière illustration d’adaptation pédagogique se baserait sur le tutorat par les pairs qui est une forme de groupement permettant à un élève volontaire d’aider un élève en situation de handicap pour qu’il puisse répondre favorablement à la situation en fonction de ses besoins éducatifs spécifiques. Par exemple, un élève volontaire est formé par l’enseignant d’éducation physique afin qu’il puisse aider un élève hyperactif à se concentrer pour mémoriser une chorégraphie de fitness. Dans ce cas précis, un tutorat directif (compter les pas à voix haute), répétitif (régularité dans les enchainements) et démonstratif (associer la voix avec la gestuelle) pourrait être envisagé. Par ce moyen, l’enseignant contribue à promouvoir les relations sociales et physiques structurées entre les deux élèves, en même temps que d’augmenter leur temps d’engagement moteur (Tant, 2014).

6. Conclusion

Notre revue systématique des études publiées en français et en anglais entre 1975 et 2015 a permis de répondre à notre objectif de recenser et d’analyser qualitativement les études portant sur les représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique vis-à-vis de l’inclusion des élèves en situation de handicap. En effet, les 35 études recensées ont mis en évidence trois représentations professionnelles sous la forme d’obstacles majeurs à l’inclusion : l’inadéquation entre les politiques inclusives et les programmes d’éducation physique ; la difficile collaboration entre les enseignants et les partenaires de l’inclusion ; l’inadaptation de la formation initiale et continue en éducation physique adaptée. Face à ces obstacles, nous avons proposé des contenus de formation continue des enseignants d’éducation physique.

Cela étant, ce travail présente plusieurs limites. La première d’entre elles revient sur la diversité des contextes de productions (évolutions dans le temps et l’espace) des représentations professionnelles des enseignants, qui rend difficile une généralisation de nos propositions de formation. Aussi, nos propositions sont à prendre avec précaution et à adapter en fonction des contraintes locales. La seconde limite repose sur l’analyse des représentations professionnelles des enseignants d’une seule discipline : l’éducation physique. En effet, bien que l’éducation physique contribue à l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap, eu égard à sa spécificité, la généralisation de ce travail pour l’éducation inclusive reste limitée. C’est une des raisons en faveur de la proposition de formation pluridisciplinaire contribuant à la reconnaissance de l’éducation physique comme un support à l’inclusion au côté des autres domaines ou disciplines. Ainsi une première perspective de recherche dans la continuité de ce travail consisterait à mener une étude comparative des représentations professionnelles des enseignants d’éducation physique et des autres domaines impliqués dans ce type de formation pluridisciplinaire. Une étude quantitative sous la forme d’enquête pourrait être envisagée. Une troisième limite concerne le faible nombre de recherches étudiant l’impact des stratégies didactiques et des adaptations pédagogiques des enseignants d’éducation physique sur leurs représentations professionnelles. Il est fort probable que le manque de formation en éducation physique adaptée des enseignants limite fortement ce type de recherche. C’est la raison pour laquelle il semble qu’une formation disciplinaire pour les enseignants d’éducation physique orientée vers les stratégies inclusives et les adaptations pédagogiques pourrait influencer favorablement et durablement leurs représentations. Dans cette optique, il serait intéressant d’étudier les choix didactiques des enseignants en fonction des besoins spécifiques des élèves en situation de handicap. Des entretiens qui seraient menés suite à la description d’élèves en situation de handicap (type de handicap, sévérité du handicap, âge…) permettraient de mieux comprendre ces choix didactiques. En ce qui concerne la complexité des pratiques inclusives in situ, l’observation filmée de séances d’éducation physique suivie d’entretiens d’auto confrontation avec l’enseignant aiderait probablement à la compréhension des processus pédagogiques mises en jeu.