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L’ouvrage est issu d’une thèse de doctorat présentée à l’Université de Fribourg en 2014. Établie en Suisse, l’auteure d’origine québécoise s’intéresse à la situation des étrangers dans son pays d’adoption et à l’impact qu’ont ces migrants sur les équilibres sociolinguistiques à l’échelle des petites collectivités helvétiques.
Veillette explore les dynamiques de cohabitation entre des groupes ayant des langues différentes et des statuts (réels ou imaginaires) différents [p.168]. C’est l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur les étrangers (LEtr) en 2008 et l’adoption du principe voulant que ceux-ci doivent dorénavant s’intégrer par la langue qui amènent l’auteure à examiner les profils sociolangagiers de deux communes rurbaines et bilingues du canton de Fribourg. Elle analyse la dynamique relationnelle qui s’est établie entre les étrangers qui s’y sont installés et les habitants considérés comme autochtones. Le rapport entre Suisses et étrangers, la manière dont les premiers se représentent les deuxièmes et la façon dont les Suisses autochtones se perçoivent eux-mêmes sont au coeur des enjeux examinés.
La notion d’étranger joue ici un rôle clé dans l’appareil conceptuel qui encadre et oriente le travail de l’auteure. Cette notion sert notamment à construire ce que Veillette appelle le paradigme du rapprochement et de l’éloignement en référence aux processus d’inclusion et d’exclusion qui le caractérisent. Par sa différence, l’étranger favoriserait la construction de la singularité des autochtones en tant que citoyens helvétiques. Par ailleurs, ces derniers auront tendance à considérer l’étranger comme l’héritier d’une socialisation discordante et à le mettre à distance.
En Suisse, les notions de citoyenneté et de nationalité sont étroitement liées à la langue, élément clé dans la détermination des imaginaires identitaires du pays. La langue est en effet un outil par lequel les individus ou les groupes cherchent à s’identifier et à se différencier. Recourant à l’entretien compréhensif et à la Grounded theory, Veillette réussit à produire une réflexion pertinente et nuancée sur une réalité sociolinguistique méconnue. La démarche de l’auteure est d’une grande rigueur et son analyse savamment étayée rend compte du Sonderfall (l’exception suisse) et de la complexité de la réalité helvétique. Toutefois, l’écriture lourde et l’organisation de l’ouvrage exigent du lecteur concentration et persévérance. Un travail d’édition plus exigeant aurait été souhaitable.
Cette recherche se situe-t-elle, comme l’indique l’auteure dans sa conclusion, dans le domaine de la didactique des langues et des cultures étrangères? Si nous entendons par didactiques ces disciplines qui s’occupent d’objets d’enseignement et d’apprentissage en référence à des matières scolaires, cette recherche se situerait plutôt en marge du domaine. En effet, comme le montre Veillette, les Suisses peinent encore à s’interroger sur les langues que les allophones doivent apprendre et dans quels contextes ils peuvent les apprendre. Les portes de l’école n’ont pas encore été franchies.