L’ouvrage recensé est un collectif mettant en perspective les changements récents ayant affecté les métiers de l’humain (c'est-à-dire ceux amenant les professionnels qui les pratiquent à interagir avec des individus). Les changements les plus marquants rapportés sont : (1) l’instauration de l’approche par compétences; 2) une conception individualiste, marquée par la centration sur les personnes visées par ce travail ainsi qu’une considération de la singularité de chacun menant à adapter son intervention au cas par cas; 3) l’application d’une vision comptable, ce qui nécessite une productivité et une reddition de comptes; 4) l’intrusion de la pratique dans la formation; 5) la valorisation des approches pluridisciplinaires et transversales; 6) le développement d’un aspect identitaire du travail. Ces mutations ont créé des tensions, des paradoxes, qui ont poussé les auteurs à remettre en question les pratiques jusque dans la formation des professionnels et futurs professionnels de ces métiers de l’humain. Cet ouvrage adopte une position ouvertement critique et multidisciplinaire. Les auteurs proviennent de domaines variés (par exemple, travail social, orientation, éducation, soins), mais ont tous en commun de travailler auprès d’êtres humains. Leurs écrits sont issus tantôt de la pratique, tantôt de la recherche. Ils visent tant des professionnels et des formateurs que des chercheurs et des étudiants. Cependant, cet ouvrage n’est pas accessible à un si large public que ce que l’on souhaiterait, puisque le registre de langage utilisé est davantage de nature scientifique et que peu de textes font réellement preuve de vulgarisation. La division en trois sections permet toutefois à divers publics cibles de s’y retrouver. La première section, qui traite des nouvelles positions épistémologiques venant transformer les métiers de l’humain, et la seconde, des études sur le terrain, en particulier dans le milieu de l’éducation, intéresseront probablement davantage un public universitaire et issu de la recherche. La dernière section, portant plutôt sur différents milieux de pratique, séduira plutôt les professionnels sur le terrain. Il peut s’agir là d’un pont entre la recherche et la pratique, ce dont semblent s’être souciés les auteurs. Par ailleurs, tous les auteurs sont d’origine française. Plusieurs font références à des institutions, à des organismes, voire même à des pratiques qui n’ont pas d’équivalent au Québec. Il est ainsi parfois difficile de bien comprendre le texte, étant donné le peu de référence au contexte québécois. Cela demande une recherche parallèle qui n’apporte pas toujours l’éclairage nécessaire. De plus, l’ouvrage fait référence à des changements culturels qui n’ont pas nécessairement eu lieu ici, sinon à des moments différents, ce qui fait que les solutions présentées ou les ajustements de pratique ne sont pas toujours adaptés aux professionnels du Québec. Ce livre ouvre, malgré tout, la porte à une actualisation pertinente des pratiques dont les praticiens et chercheurs d’ici pourront s’inspirer pour les adapter à la leur. De plus, la principale critique adressée par les auteurs de cet ouvrage, celle de l’intrusion des notions économiques et de rentabilité dans les métiers de l’humain, fait également l’objet de critiques au Québec, peut-être même de façon encore plus insistante. Les réflexions à ce sujet s’imposent donc à juste titre, et c’est probablement cette remise en question qui constitue la plus grande force de cet ouvrage.
Bodergat, J.-Y. et Buznic-Bourgeacq, P. (dir). (2015). Des professionnalités sous tension. Quelles (re) constructions dans les métiers de l’humain? Bruxelles, Belgique : de Boeck[Notice]
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Julie Bouchard
Université de Montréal