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Les cheminements de la pensée enfantine est un ouvrage qui se rapproche d’un essai ethnographique. Loin d’adopter la structure d’un article scientifique, l’auteure nous fait plonger, grâce à ses prises de notes, dans le quotidien de huit enfants et dans leurs réflexions. Le livre de 140 pages est découpé en trois sections : la première - la plus conséquente, s’intitule « Cinq enfants serbes », la seconde s’intitule « Trois petites filles roumaines », et la dernière porte le titre « L’accès à l’écrit : un long cheminement ». L’auteure a accepté, pendant près de deux ans (dans deux campements adjacents), la proposition d’un de ses amis enseignant d’aller s’occuper d’enfants roms de son école. Il s’agissait d’aller les rencontrer chez eux, afin de les soutenir dans leur apprentissage de l’écrit. Dans les deux premières sections de l’ouvrage, l’auteure présente les enfants rencontrés, leurs représentations de la lecture et de l’écriture et leur évolution durant le travail individuel effectué avec l’intervenante. L’auteure donne de nombreux exemples précis d’échanges avec les enfants et de productions écrites réalisées par ces derniers. Dans la dernière section d’une dizaine de pages, Torunczyk revient sur l’évolution et les étapes d’apprentissage de l’écrit chez les sujets suivis. Parallèlement à ces descriptions minutieuses, à la manière d’un journal de bord, elle décrit les conditions politiques, sociales, sanitaires et affectives qui entourent ces rencontres et cet apprentissage.
Pour des praticiens qui ne connaissent pas l’expérience vécue par des jeunes en alphabétisation, ce livre est précieux. Notamment pour ceux qui préfèrent un discours empirique et concret à des discours scientifiques plus théoriques. On reconnaît des constats relativement répandus sur cette expérience (un long mot doit comporter plus de lettres qu’un mot court, pas de respect pour l’ordre sériel des lettres, etc.), mais on y trouve également des descriptions contextualisées qui aident à mieux comprendre cette expérience, en particulier ce que peuvent vivre des enfants roms avec l’écrit. Par ailleurs, la proposition de l’auteure d’éviter d’avoir un discours de déficit sur les Roms, mais plutôt de les considérer comme des individus intelligents est très appréciable. Enfin, son approche pédagogique est également utile et bien décrite : il s’agit de stimuler leur réflexion par des questionnements et d’attirer leur attention sur l’écrit au moment de leur lire des histoires.
Pourtant, les analyses de l’auteure peuvent sembler redondantes et pas toujours suffisamment rigoureuses. Elle écrit à partir de sa longue expérience de terrain, sans forcément se référer à des approches ayant fait l’objet de recherches scientifiques. La principale référence théorique, tout au long de l’ouvrage, est le travail d’Émilia Ferreiro, qui semble pertinent, mais gagnerait à être confronté à d’autres auteurs. Enfin, l’auteure approche les enfants roms sans nuance et de façon parfois misérabiliste, les décrivant comme totalement isolés de la culture de l’écrit. Elle affirme, par exemple, que leurs représentations de l’écrit sont souvent très différentes des nôtres. On peut se questionner sur la valeur de ce nous. Cependant, les descriptions ethnographiques de l’alphabétisation d’enfants roms demeurent très instructives.