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Dans un livre d’une fort belle écriture, Philippe Bernier Arcand examine ce qu’il appelle la lente et douce dérive populiste des politiciens, des intellectuels et des médias, en un mot, donc, de nos élites (p. 9), le populisme étant un antiélitisme. Mais il n’est pas que cela pour l’auteur : il est aussi un culte du peuple, une manière supposée vraie, mais au fond démagogique, de s’adresser à lui, en disant parler au nom de la majorité silencieuse, tout en dénonçant les élites et en créant une rhétorique identitaire qui exprime la crainte et le rejet des étrangers qui menaceraient le peuple (p. 13).
L’ouvrage s’intéresse à ses manifestions étrangères (en Europe et aux États- Unis), mais il s’attarde plus longuement au cas du Québec. Et ce qu’il donne à voir, en réunissant une masse de données auxquelles on ne prête pas toujours toute l’attention qu’il faudrait – elles sont ventilées en : populisme politique, populisme intellectuel et populisme médiatique – a de quoi faire réfléchir.
Sur le plan politique, nous rencontrons tour à tour le populisme politique de droite et de gauche, la montée de l’extrême droite populiste et xénophobe (le mouvement Tea party, par exemple), puis diverses figures charismatiques québécoises dont la popularité a bénéficié de la fragilisation de la structure sociale et de la crise de la représentation politique : Mario Dumont, Andrée P. Boucher ou Régis Labeaume, entre autres. L’auteur souligne aussi le balancement vers le populisme, par la pente du nationalisme identitaire, du Parti Québécois et la place que prend de plus en plus, chez nous, une certaine xénophobie, ainsi que la peur de l’Islam et du multiculturalisme. Dans un des meilleurs chapitres du livre, selon moi, il examine ensuite ce concept de majorité silencieuse et le rôle qu’il joue dans la rhétorique populiste.
Les pages consacrées au populisme intellectuel nous rappellent ensuite que si la spécialisation des savoirs et des compétences nous rend de plus en plus dépendants des experts, le populisme, lui, incite à les déconsidérer. On devine le péril que cette attitude fait courir à la conversation démocratique. Les climatosceptiques, les complotistes de tout poil et les intellectuels populistes en fournissent d’éloquentes illustrations.
À propos du populisme médiatique, enfin, l’auteur examine comment, en ces jours d’accès jamais inégalé à l’information, nos médias sont travaillés par le populisme, par le règne du quidam, du vrai monde, jusque dans le choix de ses sujets et de leur traitement. Deux chapitres particulièrement intéressants s’attardent l’un à la radio poubelle, l’autre à Internet et aux blogues, où le populisme sévit en conquérant de nouveaux territoires.
L’ouvrage se termine sur quelques réflexions qui me semblent moins achevées sur la justice, l’élitisme et la démocratie ; mais il appelle surtout, pour finir, les intellectuels, les personnes oeuvrant dans les médias et les politiciens à faire oeuvre de pédagogie, à prendre leur place propre dans l’espace public, notamment en luttant contre la tyrannie de l’opinion. Ce à quoi on ne peut que souscrire.