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Nous nous trouvons ici devant un ouvrage que l’on peut sans problème qualifier de costaud. En effet, ce livre de Rita Hofstetter fait 686 pages, ce qui n’est pas rien. Mais, bien que son épaisseur puisse rebuter plus d’un lecteur, son contenu est des plus accessibles. Et, pour reprendre une expression galvaudée mais qui ici est tout à fait de mise, cet ouvrage se lit comme un roman.
Comme son titre le laisse entendre, cette oeuvre brosse un tableau de la naissance des sciences de l’éducation à Genève de la fin du xixe siècle jusqu’au milieu du xxe siècle. L’ouvrage se divise en trois grandes parties qui couvrent chacune des périodes charnières des sciences de l’éducation à Genève. La première partie vise à analyser la période allant de 1890 à 1911 et comprend quatre chapitres. On y découvre les premiers balbutiements des sciences de l’éducation avec notamment la création de la première chaire de pédagogie à l’Université de Genève. Les sciences de l’éducation sont alors rattachées aux sciences morales. On y constate aussi que, très tôt, des chercheurs comme Claparède voudront plutôt sortir les sciences de l’éducation du giron des sciences morales pour les associer à la psychologie expérimentale. La partie deux est, quant à elle, découpée en six chapitres où est examinée la période allant de 1912 à 1929. C’est l’époque de la création de l’Institut Rousseau (1911-1912). Cette partie scrute à la loupe aussi les rapports qu’entretient cet Institut avec les milieux de pratique et avec le mouvement de l’Éducation nouvelle. Nous y découvrons également les tensions entourant le rattachement de l’Institut (au départ indépendant) à l’Université de Genève. Enfin, pour l’essentiel, la troisième partie (1930-1948) – qui comprend quatre chapi- tres – porte sur deux processus : celui de l’intégration de l’Institut Rousseau à l’Université et celui de la diversification des objets de recherches et de ce que l’auteure appelle la professionnalisation de la recherche en sciences de l’éducation, professionnalisation qui conduira notamment à la création de la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève.
Ce travail de Rita Hofstetter a été mené de main de maître. D’abord, sur le plan de sa structure, l’ouvrage est d’une grande cohérence. De plus, l’écriture est limpide et sait toujours éviter le jargon inutile. L’auteure a fait un travail remarquable de fouilles dans les archives universitaires et gouvernementales et les lecteurs férus de données précises trouveront ainsi en annexes une multitude de renseignements allant de la liste de tous les enseignants de l’Institut Rousseau aux thèses soutenues en sciences de l’éducation, en passant par les titres des revues dans lesquelles les chercheurs genevois publient, etc. Le lecteur pourra aussi côtoyer des noms qui sont restés célèbres dans l’histoire. Outre Claparède déjà mentionné plus haut, on pense à Dottrens, Ferrière, Bovet et, bien entendu, à Piaget. En somme, il s’agit d’un livre de grande qualité qui plaira à quiconque s’intéresse aux débuts des sciences de l’éducation, débuts qui ont vu naître des tensions qui, rappelons-le, sont toujours présentes aujourd’hui : discipline / profession ; science / militance.