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Considéré par certains comme une région lointaine inaccessible, par d’autres comme l’un des rares territoires vierges qu’il s’avère toujours possible d’explorer, le Nord semble ouvrir au multiple. Existe-t-il dans la pluralité des perceptions du Nord une grammaire commune (p. 5), demande Daniel Chartier dans l’introduction de l’ouvrage Le(s) Nord(s) imaginaire(s) ? Voici le mandat que se sont donnés des spécialistes provenant d’horizons divers (le Canada, la Suède, l’Islande ou encore Israël) : au-delà des topoï habituels, mettre au jour les fondements des représentations du Nord. Ces chercheurs sont habités par le désir de comprendre comment notre imaginaire se situe par rapport aux grands espaces du Nord et de repérer les configurations singulières que nous dressons de celui-ci.
Qu’il s’agisse d’expliquer les raisons qui ont poussé les Inuits à choisir le Nord comme habitat permanent, de déterminer quelles représentations du Nord véhiculent les voyageurs français au XIXe siècle (pensons notamment à Xavier Marmier) ou d’établir le rôle joué par le Nord dans la poésie de l’auteure amérindienne Éléonore Sioui, les vingt et un chercheurs réunis se livrent à un véritable tour d’horizon. L’ouvrage présente ainsi une diversité de points de vue et d’approches – anthropologique, ethnolinguistique, féministes, par exemple – qui permettent de saisir le Nord dans son intégralité autant que dans ses ramifications, d’où un portrait aussi précis que complet. Si, d’une part, plusieurs des textes réunis paraissent forcément descriptifs (impression que photographies, carte et tableau renforcent) et, d’autre part, si le travail éditorial manque un tantinet de rigueur (absence d’uniformisation sur le plan de la forme et nombreuses coquilles parsemées çà et là), l’analyse n’en réussit pas moins à donner au néophyte une image renouvelée du Nord, qui, tout en tablant sur la mobilité de celui-ci, procède à une […] dédramatisation et une démystification de l’idée du territoire telle que façonnée dans le discours sur le Grand Nord (p. 320).
L’attrait principal des Nord(s) imaginaire(s) consiste donc en la profusion de visages qui sont donnés à contempler d’un Nord se réduisant souvent, dans l’esprit du non-spécialiste, à une terre aride et froide. Les sagas islandaises étudiées par Ásdís R. Magnúsdóttir ne laissent aucun doute sur la représentation imaginaire qui a longtemps habité les Occidentaux : le Nord figure l’envers grotesque du monde connu, associé qu’il est à la mort – il semble aussi désert que l’immensité vierge explorée par Rachel Bouvet dans un article où sont mis en parallèle Sahara et Grand Nord. Lieu de l’altérité par excellence, le Nord se prête à toutes les fantaisies, comme en témoignent les recherches menées par les Espagnols, au XVIe siècle, dans le but de découvrir un Nord mythique en Amérique, explorations dont rend compte Carmen Bata Barreiro. Cependant, le Nord peut aussi être esthétisé à travers la peinture d’un Julius Payer ou la danse d’une Françoise Sullivan, ou être façonné et devenir artefact rupestre qu’un archéologue (en l’occurrence, Daniel Arsenault) examine aujourd’hui pour en tirer une signification surprenante.
Ouvrage intéressant pour qui souhaite apprivoiser le Nord, Le(s) Nord(s) imaginaire(s) offre des analyses pointues et explore un registre de l’imaginaire qui souvent rebute. En s’appropriant le Nord pour en offrir un portrait substantiel, les chercheurs réunis donnent à savourer l’ultime terra incognita de la planète.