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Alain Bentolila nous entretient de sa vision de l’école maternelle française, qu’il situe dans une perspective de réhabilitation afin de pallier les inégalités linguistiques et sociales des jeunes enfants. Il estime qu’il y a actuellement un déséquilibre entre le bien vivre et le bien apprendre, et déplore que la maternelle ait tendance à favoriser le bien vivre au détriment d’une forme d’encadrement pédagogique portant sur des domaines précis (la numération, le graphisme, la maîtrise de la langue, etc.). En s’imaginant créer une pédagogie active fondée sur l’interaction, à son avis, les enseignantes oublient que cet encadrement à distance ne favorise pas les véritables apprentissages qui comportent des objectifs précis, des consignes et des moments d’évaluation. Pour que l’école maternelle exerce son rôle à part entière, Bentolila propose trois conditions. La première est d’articuler les activités selon une logique progressive de compétences avec de véritables objectifs. La deuxième est de mieux maîtriser la durée et l’organisation de certaines activités. La troisième est de réduire es effectifs (30 élèves). Le chapitre 2 propose un regard pédopsychiatrique sur les enfants de deux et trois ans. On y explique que pour vivre un saut salutaire et accéder au socius selon les règles de l’institution, l’enfant doit avoir une bonne connaissance des fonctions de son corps (le contrôle de ses sphincters). Pour franchir cette étape fragile et accepter les règles, il est préférable que l’enfant entre à la maternelle à trois ans. L’auteur recommande de rendre sa fréquentation obligatoire et d’offrir aux enfants de deux ans des crèches publiques avec un ratio de huit enfants. Le quatrième chapitre, intitulé École ou garderie, reprend le débat sur le rôle de la maternelle, qui est d’éduquer et pas seulement de prendre soin de l’enfant. Dans les chapitres 3 et 5, l’auteur, qui est professeur de linguistique à l’université Paris-V-Descartes, propose un regard de linguiste pour justifier la nécessité d’offrir aux jeunes enfants un modèle langagier qui les prépare à l’écrit et pour assurer leur réussite scolaire. Il préconise de valoriser la communication orale pour permettre à l’enfant la construction de sens. Toutefois, ce souhait lui paraît difficile à réaliser dans les conditions actuelles des classes de maternelle : étant donné le nombre élevé d’enfants, les enseignantes ont peu de temps pour établir une connivence et une proximité souhaitables pour le développement de la communication. Au sixième chapitre, l’auteur nous entretient des enfants venus d’ailleurs. Pour atténuer les conflits entre l’école et la maison, il convient d’adopter une attitude d’ouverture et de non-disqualification face aux différences. Il faut à tout prix éviter de rendre les enfants conformes à des normes qui sont celles de la société d’accueil. Les deux derniers chapitres sont brièvement consacrés à l’exigence d’une formation spécifique et exigeante pour enseigner en maternelle et à la nécessité d’imposer une évaluation des compétences des enfants afin de vérifier leurs capacités linguistiques.
La lecture de cet ouvrage m’a fait prendre conscience que ma vision à l’égard de la fréquentation des milieux préscolaires est très différente de celle adoptée par Alain Bentolila. Celui-ci recommande une scolarisation précoce. Cette approche compensatoire pour assurer la réussite éducative va à l’encontre de mes principes éducatifs basés sur une approche humaniste et développementale. Certains de ses propos traduisent des attentes que je qualifierais d’irréalistes à l’endroit de jeunes enfants qui doivent s’exercer au métier d’élève. Par ailleurs, il me faut avouer que l’auteur montre une plus grande sensibilité lorsqu’il nous entretient de l’échec scolaire et de la marginalisation qui semblent être le lot des enfants migrants. Les exemples et les témoignages d’enfants m’ont touchée et m’ont permis d’apprécier certains passages de ce volume.