Corps de l’article
Le corps de l’élève dans la classe de Claude Pujade-Renaud s’inscrit dans le projet beaucoup plus large d’une thèse d’État collective, soutenue en 1981 en collaboration avec Daniel Zimmerman, et intitulée Communications non verbales en situations éducatives. Il s’agit d’un des premiers exemples, en sciences de l’éducation, de recherche de type clinique d’inspiration psychanalytique. Avant, au-delà et après les mots, que disent les corps, et comment le disent-ils ? Pujade-Renaud tente de répondre à cette question à partir d’entretiens individuels de longue durée menés auprès de 10 élèves âgés de 15 à 18 ans et de 10 enseignants de lycées. Ce travail a conduit à la publication, en 1983, de deux ouvrages : Le corps de l’enseignant dans la classe et Le corps de l’élève dans la classe. La méthodologie est explicitée dans le premier des deux ouvrages. L’auteur relève tout de même un parti pris peu banal de la recherche : s’en tenir strictement à l’écoute du langage issu de l’expérience corporelle en classe. Les entretiens ont donc été menés par un psychosociologue professionnel, de manière à tenir à l’écart le langage non verbal présent lors de ces entretiens.
L’ouvrage se présente comme une longue suite de constatations, chacune accompagnée d’un ou deux extraits de verbatim servant à exemplifier le propos. Le discours, par sa simplicité et sa pudeur à théoriser ce qui se révèle, devient un voyage troublant, parfois choquant, au coeur d’une expérience dont on ne sait que très peu et que nous avons pourtant tous vécue. Progressant d’un thème à l’autre, de l’élève zombie à la place de l’amour et de la séduction en passant par l’importance des gestes, des regards ou des vêtements, nous sommes constamment confrontés à un monde de violence, de peur, de pouvoir et d’ambiguïtés. Nous sommes aussi constamment ramenés à notre propre expérience. Parfois on s’y reconnaît, sourire en coin. Parfois on s’y reconnaît encore, et voilà que notre expérience se révèle sous un nouveau jour et prend un nouveau sens. Parfois, on ne touche qu’à un pressentiment, un déjà-vu qui nous échappe.
Finalement, les questions que l’on ne peut éviter de se poser : Est-ce réellement si terrible ? Il faut bien s’avouer, à son corps défendant, que oui. Mais pourquoi alors cette ignorance presque totale d’une réalité quotidienne bien concrète, celle du corps ? Pourquoi cette obstination à vouloir l’ignorer ? Un phénomène d’amnésie scolaire, avance l’auteur. Pouvons-nous encore longtemps ignorer le corps comme instrument principal et primordial, à la fois de tout enseignant et de tout enseigné ? La marginalité des recherches et des développements pédagogiques à ce sujet est pourtant manifeste. Perrenoud, entre autres, a beaucoup insisté sur le curriculum caché des institutions scolaires. Ce qui ressort ici, c’est plutôt l’importance de se cacher. Et n’est-il pas aussi facile que commode d’oublier ce que l’on tente désespérément de (se) cacher ?
Si cette recherche a l’audace de lever le voile sur cette réalité, il reste encore l’énorme tâche de faire évoluer cette réalité. Cela appelle un travail de conscientisation du geste pédagogique et de sa mise en scène. Un travail à contre-courant et confrontant s’il en est. Quel enseignant, en effet, aura le loisir s’en soucier, ou même de s’en souvenir, lors de son prochain jour de classe ?