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Ce numéro thématique est le fruit d’une collaboration entre la Revue des Sciences de l’Éducation et la Revue Française de Pédagogie. Initié par Adèle Chené et Jean-Claude Forquin, tous deux responsables à l’époque des revues québécoise et française, ce numéro a été mené à bon port grâce au soutien de Jean-Yves Rochex (RFP) et de Jean-Claude Kalubi (RSE). À ces collègues, je tiens à exprimer mes sincères remerciements ; sans eux, ce projet n’aurait ni vu le jour ni été complété dans des délais raisonnables.
Ce numéro porte sur les relations entre la recherche et l’élaboration des politiques éducatives ; il comprend des articles québécois et français sollicités par Jean-Louis Derouet et Claude Lessard. D’une certaine façon, il témoigne de la crédibilité de la recherche en éducation, puisque des deux côtés de l’Atlantique son influence se manifeste dans l’élaboration des politiques gouvernementales, dans l’adoption des positions syndicales et professionnelles, et dans les avis d’organismes conseils (comme le Conseil supérieur de l’Éducation québécois). La recherche contribue à problématiser la réalité éducative ; elle fournit des matériaux pour la construction politique d’une représentation sociale de cette réalité ; elle se combine avec ou heurte le sens commun ; aussi prétend-elle parfois fournir des réponses précises à des questions que les acteurs politiques posent ou auxquelles ils doivent répondre. Ce numéro aborde la contribution à la fois « conceptuelle » et « instrumentale » de la recherche à la politique. Ce faisant, il révèle des tensions inévitables entre des sphères qui n’obéissent pas aux mêmes finalités, aux mêmes canons et processus, et aux mêmes temporalités. Il pose aussi le problème d’une recherche qui devient un courant influent et politiquement actif (comme le courant de l’école efficace) ou celui d’une recherche qui « sert » un agenda politique, comme le montre le débat américain sur la formation des maîtres et sur le « monopole » des sciences de l’éducation ; chaque camp mobilise des données soutenant sa position et critique la « scientificité » de la recherche produite par l’autre camp.
Les textes qui composent ce numéro fournissent un riche matériau comparatif, portant sur le Québec, la France et les États-Unis. Alors que Jean-Louis Derouet brosse l’historique des rapports entre la recherche et la politique éducative française et que Dominique Raulin, universitaire et secrétaire du Conseil National des programmes, aborde le rôle joué (ou pas) par la recherche dans l’évolution des programmes scolaires français, Céline Saint-Pierre, sociologue et ancienne présidente du Conseil supérieur de l’Éducation québécois (CSE), analyse le rôle joué par le CSE, au moment de la construction des avis, comme lieu d’interface entre la politique et la recherche et comme espace de partage des savoirs de la recherche et de la pratique. Pour sa part, Christian Payeur, chercheur à la Centrale des Syndicats du Québec (CSQ), étudie l’émergence, la contribution et les tensions inhérentes à la mise sur pied dans les années 1980 d’une unité de recherche au sein d’une centrale syndicale. Ces études des lieux d’interface entre la recherche et la politique ouvrent la voie à un domaine de recherche qu’il faudrait développer dans les années qui viennent. Enfin, sur un autre plan, le numéro comprend le texte de Romuald Normand qui critique le courant anglo-saxon de l’école efficace et celui de Claude Lessard qui rend compte, dans le cadre du débat sur la formation des enseignants, des conceptions de la scientificité chez les « dérégulationistes » et les « professionnalistes » américains.
Nous avons le sentiment d’avoir à peine amorcé une réflexion par ailleurs nécessaire sur les rapports entre recherche et politique. Une telle réflexion doit devenir à la fois une composante régulière de nos échanges professionnels entre chercheurs et entre chercheurs et acteurs politiques, et aussi un objet de recherche de plein droit. Tel est notre souhait.
Bonne lecture.