Corps de l’article

Introduction

L’absentéisme des élèves est, depuis de nombreuses années, une source de préoccupation pour les acteurs du monde scolaire. De fait, l’absentéisme est un des prédicteurs les plus puissants de l’abandon scolaire (Bryk et Thum, 1989 ; Rumberger, 1995). Il prive, en outre, l’élève de certaines opportunités d’apprentissage et a une incidence négative sur ses résultats scolaires (Wilder, 1992). L’absentéisme des élèves contribue, par ailleurs, à une meilleure perception du niveau de violence à l’école chez les enseignants. Les enseignants semblent ressentir l’absence des élèves comme une remise en question de leur propre rôle, ce qui affecte sans doute leur engagement professionnel.

Les études empiriques sur les déterminants de l’absentéisme des élèves sont cependant peu nombreuses comparativement à celles qui ont porté sur le décrochage scolaire (Galand, Macquet et Philippot, 2000). Si les études publiées fournissent des renseignements précieux, elles souffrent souvent de certaines faiblesses. En général, soit elles portent sur un nombre restreint d’élèves, soit elles utilisent des analyses statistiques relativement sommaires. La procédure de comparaison de groupes d’élèves réguliers avec des groupes d’élèves fréquemment absents conduit à une perte d’information sur toute une gamme d’élèves « intermédiaires » et sur les processus en oeuvre (Judd, 2000). Mais surtout, la majorité des études sur l’absentéisme reposent sur des bases théoriques très faibles (Bryk et Thum, 1989, pour une exception). Elles visent principalement à examiner l’effet de telle ou telle variable sur l’absentéisme ou à identifier les variables qui discriminent les élèves qui s’absentent de ceux qui ne s’absentent pas (Corville-Smith, Ryan, Adams et Dalicandro, 1998). Malgré l’intérêt qu’ils suscitent, les résultats de ces recherches renseignent peu sur la dynamique qui mène à l’absentéisme (Finn, 1989). Cela étant posé, l’objectif de la présente étude [1] est de tester l’applicabilité de différents modèles théoriques à la problématique de l’absentéisme.

Sans doute à cause de la pauvreté théorique, les études existantes mettent en évidence des facteurs de risque très variés pour l’absentéisme, tels que provenir de milieux socioéconomiques fragilisés (Reid, 1983) ou de minorités ethniques (Machamer et Gruber, 1998), avoir doublé (Safer, 1986), se sentir peu compétent sur le plan scolaire (Reid, 1982), avoir des relations conflictuelles avec ses pairs (De Rosier, Kupersmidt et Patterson, 1994) ou faire face à des pratiques éducatives très contrôlantes (Moos et Moos, 1978), par exemple. Certains de ces facteurs de risque tiennent aux caractéristiques sociodémographiques des élèves et constituent clairement des variables distales, sur lesquelles les membres des équipes éducatives ont relativement peu de contrôle. D’autres relèvent davantage du vécu scolaire des élèves et constituent des variables plus proximales, sur lesquelles les équipes éducatives pourraient avoir plus d’emprise (Felner, Brand, DuBois, Adan, Mulhall et Evans, 1995). Une question centrale est donc d’établir le poids respectif des caractéristiques sociodémographiques des élèves et de leur vécu scolaire dans l’explication de l’absentéisme scolaire. Malgré la diversité des facteurs de risque identifiés, l’absence volontaire est, pour de nombreux auteurs, une conduite de retrait qui résulte d’un sentiment de non-intégration à l’école, de ne pas avoir prise sur ce qui s’y passe et s’y décide, et du désinvestissement qui s’ensuit, bref de ce qu’on pourrait appeler un « sentiment d’aliénation » par rapport à l’école (Bryk et Thum, 1989 ; Finn, 1989 ; Murdock, 1999 ; Reid, 1981). Une hypothèse centrale de la présente étude est donc que le sentiment d’aliénation par rapport à l’école est le prédicteur le plus proximal de l’absentéisme, au-delà des caractéristiques sociodémographiques des élèves. Autrement dit, l’absentéisme résulterait en partie de l’impression de ne pas avoir sa place à l’école, d’y être comme un étranger, aliéné.

Si cette hypothèse se vérifie, il reste à identifier les variables qui expliquent ce sentiment d’aliénation. Plusieurs études indiquent que le sentiment d’appartenance (Goodnow, 1993) et les types de buts poursuivis par les élèves (Nicholls, 1989) – autrement dit leur « motivation scolaire » – influencent la satisfaction des élèves par rapport à l’école. Les élèves qui se sentent reconnus et valorisés au sein de leur école et les élèves qui cherchent à développer leurs compétences (buts d’apprentissage), rapportent un niveau plus élevé de satisfaction. D’autres recherches soulignent l’importance de la perception des structures de buts (Ames, 1992) et de la qualité perçue des relations entre enseignants et élèves (Wentzel, 1997) – autrement dit de la « perception du contexte scolaire » – pour l’attitude développée par les élèves vis-à-vis de l’école. Les élèves qui estiment que les pratiques des enseignants visent le progrès de chacun (structure centrée sur l’apprentissage) et ceux qui estiment que les interactions proposées par les enseignants sont respectueuses, soutenantes et équitables rapportent une attitude plus positive par rapport à leur scolarité. S’inspirant de la théorie des buts (goal theory), Midgley et ses collègues ont mené un grand nombre d’études intégrant les différentes variables citées ci-dessus (Midgley, 2002). Leurs résultats indiquent clairement que le sens qu’un élève donne à sa scolarité dépend à la fois de sa motivation et de sa perception du contexte scolaire dans lequel il se trouve. Sur la base de ces résultats, on peut faire l’hypothèse que le sentiment d’aliénation des élèves sera associé à leur motivation scolaire et à leur perception du contexte scolaire. Encore que les relations entre ces différents facteurs peuvent être modélisées de façon différente, car l’énorme majorité des études citées est de nature corrélationnelle.

À partir de la théorie des buts, on peut imaginer au moins trois modèles schématisant les relations entre contexte scolaire, motivation scolaire et sentiment d’aliénation qui sont compatibles avec les études existantes. Ces trois modèles postulent tous que le sentiment d’aliénation prédit l’absentéisme. Selon un premier modèle (modèle 1, figure 1), le sentiment d’aliénation est influencé tant par la motivation que par le contexte scolaire perçu. Dans ce modèle, le contexte perçu détermine aussi la motivation scolaire (Galand et Philippot, 2000). Le deuxième modèle (modèle 2, figure 1) est identique au précédent, sauf que l’effet du contexte scolaire sur l’aliénation est totalement médiatisé par la motivation scolaire des élèves (Anderman et Maehr, 1994). Le troisième modèle (modèle 3, figure 1) fait l’hypothèse d’une influence prépondérante de la motivation scolaire sur la perception du contexte (Pintrich, 2000). Dans ce modèle, la perception du contexte est considérée comme le reflet des différences individuelles de motivation et médiatise l’effet de celles-ci sur le sentiment d’aliénation. Dans l’éventualité où les deux hypothèses énoncées ci-dessus se confirment (effet du sentiment d’aliénation sur l’absentéisme et effet du contexte scolaire perçu et de la motivation sur le sentiment d’aliénation), un des objectifs de cette étude est de comparer l’adéquation de ces trois modèles théoriques auprès d’élèves de l’enseignement secondaire au moyen d’analyses en piste (Jöreskog et Sörbom, 1996).

Figure 1

Trois modèles théoriques des relations entre variables prédictives de l’absentéisme scolaire

Trois modèles théoriques des relations entre variables prédictives de l’absentéisme scolaire

-> Voir la liste des figures

Cependant, la mesure du nombre d’absences pose elle-même des problèmes de fiabilité. La mesure la plus courante consiste à reprendre les absences comptabilisées par les établissements scolaires. Mais, outre le fait que certaines absences ne sont pas détectées par les établissements scolaires, la distinction entre absences justifiées et injustifiées (seules prises en compte pour les sanctions vis-à-vis des élèves) est en partie arbitraire. En effet, d’après les membres des équipes éducatives, certains élèves fabriquent de faux justificatifs en imitant l’écriture de leurs parents, d’autres se procurent de faux certificats médicaux, sans parler des élèves majeurs qui peuvent signer eux-mêmes des justificatifs. À cela s’ajoutent les absences qui ne seront pas enregistrées pour des raisons de politique interne des établissements, ou celles injustifiées d’un point de vue administratif mais parfaitement justifiées par les circonstances de vie des élèves, c’est-à-dire qui ne reflètent pas un choix de leur part. Par conséquent, il paraît intéressant de croiser les observations des établissements avec une mesure autorapportée.

Bref, les objectifs de cette étude sont a) d’examiner le poids respectif des caractéristiques sociodémographiques et du vécu scolaire des élèves – en particulier le sentiment d’aliénation – dans l’explication de l’absentéisme ; b) d’évaluer l’effet de la motivation scolaire et la perception du contexte scolaire sur le sentiment d’aliénation ; c) de comparer l’adéquation de trois modèles théoriques de l’absentéisme, en associant une mesure autorapportée et une mesure observée de ce phénomène.

Méthode

Participants et procédure

Deux cent douze élèves de 4e, 5e et 6e secondaire, provenant de deux écoles belges confessionnelles situées en zone urbaine, ont complété un questionnaire. Trente-sept d’entre eux fréquentaient une filière technique de transition, 143 une filière technique de qualification et 32 une filière professionnelle[2]. Cet échantillon était composé de 56 % de filles et de 44 % de garçons, âgés de 15 à 21 ans (âge moyen = 18 ans), qui se répartissent équitablement entre les différentes filières. D’après la profession de leurs parents, bon nombre de ces élèves sont d’origine socioéconomique modeste, voire défavorisée. Parmi les participants, 57 % ont au moins un parent de nationalité étrangère. Plus de 76 % des élèves ont doublé au moins une fois. La passation du questionnaire avait lieu en classe durant les heures de cours, en présence d’un chercheur qui restait à la disposition des élèves pour répondre à leurs questions (pendant ce temps, leur enseignant répondait à un questionnaire qui lui était destiné et qui n’est pas traité dans cette étude).

Mesures

Tous les items, sauf le nombre d’absences, sont de type Likert avec sept modalités de réponse allant de 1 (out à fait faux) à 7 (tout à fait vrai). Le score à une échelle est calculé en faisant la moyenne des réponses aux items qui la composent. À l’exception du sentiment d’aliénation et de l’absentéisme, ces échelles ont déjà fait l’objet d’une validation auprès d’élèves belges francophones (Galand, 2001 ; Galand et Dupont, 2002 ; Galand et Philippot, 2002, 2003).

Perceptions des structures de buts. Neufs items évaluent les structures de buts perçues à travers les pratiques pédagogiques des enseignants (Ames et Archer, 1988 ; Roeser, Midgley et Urdan, 1996). Cinq items se rapportent à des pratiques pédagogiques favorables au développement optimal des potentialités de tous les élèves, c’est-à-dire à la perception d’une structure de buts centrée sur l’apprentissage (par exemple, « Dans cette école, on peut faire des erreurs du moment qu’on apprend. » ; α = 0,69). Quatre items se rapportent à des pratiques pédagogiques axées sur la sélection et la promotion des élèves les plus brillants, c’est-à-dire à la perception d’une structure de buts visant la performance (par exemple, « Quand les professeurs posent des questions, c’est surtout aux bons élèves qu’ils demandent de répondre. » ; α = 0,56). Une analyse factorielle exploratoire avec rotation varimax produit une solution à deux facteurs qui soutiennent la classification a priori en deux échelles distinctes.

Tableau 1

Moyennes et écarts-types par sexe

Moyennes et écarts-types par sexe

Note : Toutes les échelles, sauf le nbre d’absences, vont de 1 à 7.

a

= p < 0,001 ;

b

= p < 0,01 ;

c

= p < 0,05.

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 2

Corrélations (Pearson) entre les variables relatives au contexte scolaire, à la motivation et à l’absentéisme

Corrélations (Pearson) entre les variables relatives au contexte scolaire, à la motivation et à l’absentéisme
n

= 212 ;

a

= p < 0,001 ;

b

= p < 0,01 ;

c

= p < 0,05.

-> Voir la liste des tableaux

Relations enseignants-élèves. Cette échelle se compose de 12 items qui décrivent dans quelle mesure les élèves estiment que les enseignants font preuve à leur égard d’écoute, d’équité et de soutien (Midgley, Feldlaufer et Eccles, 1989 ; Wentzel, 1997). Il s’agit d’items tels que « Dans cette école, les professeurs s’intéressent à nos problèmes. » ; « Les professeurs prennent le temps de discuter de l’organisation des cours avec les élèves. » (α = 0,74).

Sentiment d’appartenance à l’école. Cette échelle, composée de cinq items, décrit dans quelle mesure l’école fréquentée par un élève constitue, pour lui, une communauté dans laquelle il se sent reconnu, et dont il valorise le fait d’être membre (Goodnow, 1993). Il s’agit d’items tels que « C’est important pour moi d’être membre de cette école. » (α = 0,81)[3].

Orientations motivationnelles. Treize items portent sur les buts poursuivis par l’élève dans sa scolarité (Nicholls, 1989). Trois orientations de buts sont distinguées : l’orientation vers l’apprentissage, c’est-à-dire vers le développement de ses compétences (5 items ; par exemple, « Une raison importante pour laquelle je travaille à l’école est que je veux m’améliorer. » ; α = 0,65) ; l’orientation vers la performance, c’est-à-dire vers la démonstration de ses compétences par rapport à autrui (5 items ; par exemple, « J’aimerais montrer à mon professeur que je suis plus intelligent que les autres élèves de ma classe. » ; α = 0,76) ; et l’évitement du travail, c’est-à-dire la préférence pour un minimum d’effort (3 items ; par exemple, « À l’école, je veux faire des choses très faciles pour ne pas devoir travailler beaucoup. » ; α = 0,63). Une analyse factorielle exploratoire avec rotation varimax produit une solution à trois facteurs qui supportent la classification a priori en trois échelles distinctes[4].

Compétence perçue. Cette échelle, de huit items, porte sur l’évaluation que fait l’élève de son niveau par rapport aux autres et de ses capacités à atteindre un certain résultat (Kaplan et Midgley, 1997 ; Miller, Berhens, Greene et Newman, 1993). Il s’agit d’items comme « Par rapport aux autres dans cette classe, je pense que je suis doué(e). » (α = 0,67).

Sentiment d’aliénation par rapport à l’école. Sous cette appellation sont réunis six items qui portent sur le désintérêt, le désinvestissement et le vécu de contrainte par rapport à l’école. Ces items, qui s’inspirent partiellement de Vallerand, Fortier et Guay (1997), composent un unique facteur couvrant 47 % de la variance. Il s’agit d’items tels que « L’école, ça sert vraiment à rien. » ; « À l’école, je me sens comme en prison. » (α = 0,77).

Absentéisme volontaire. Les élèves étaient invités à se positionner par rapport à l’affirmation suivante : « Je brosse souvent les cours », qui reflète une certaine intentionnalité par rapport au fait de ne pas assister aux cours.

Nombre d’absences. Il s’agit du nombre de demi-jour d’absences « non excusées » entre le début de l’année scolaire et la semaine précédant la passation du questionnaire (soit une période d’environ six mois) figurant dans le registre de l’établissement. Ce nombre varie de 0 à 25, avec une moyenne de trois et un écart-type de cinq.

Résultats

Régressions multiples

Les moyennes et écart-types des différentes variables figurent dans le tableau 1, pour les filles et pour les garçons. Les corrélations entre les principales variables de l’étude figurent dans le tableau 2. Afin d’examiner le poids respectif des caractéristiques sociodémographiques et du vécu scolaire des élèves dans la prédiction de l’absentéisme, nous avons comparé les résultats de deux équations de régression. La première inclut comme variables prédictives uniquement les caractéristiques des élèves (étape 1) : sexe, âge, année, filière, nombre de doublement, professions des parents, nationalité des parents. La deuxième équation inclut comme variables prédictives, en plus des caractéristiques citées ci-dessus, les échelles relatives au vécu scolaire des élèves (étape 2) : structures des buts, relations enseignants-élèves, sentiment d’appartenance à l’école, orientations motivationnelles, compétence perçue, sentiment d’aliénation. Les résultats de ces régressions pour l’absentéisme volontaire (autorapporté) et pour le nombre d’absences (observé) figurent au tableau 3. Les résultats de l’étape 1 font voir que les garçons et les élèves de milieux socioéconomiquement défavorisés rapportent davantage d’absentéisme. Par contre, le nombre d’absences enregistrées par les établissements scolaires n’est associé à aucune des caractéristiques des élèves. Conformément aux hypothèses, les résultats de l’étape 2 indiquent que le sentiment d’aliénation vis-à-vis de l’école est positivement lié aussi bien à l’absentéisme volontaire qu’au nombre d’absences. D’ailleurs, c’est le seul élément du vécu scolaire qui a un effet notable.

Même si les effets observés sont relativement faibles, nous avons examiné les prédicteurs de l’aliénation scolaire afin de mieux comprendre ce phénomène de désengagement. Nous avons donc procédé au même type d’analyse que pour l’absentéisme. Les résultats figurent dans la colonne de droite du tableau 3. Le sexe est la seule caractéristique sociodémographique des élèves qui soit significativement liée au sentiment d’aliénation : les garçons se disent davantage aliénés par rapport à l’école que les filles (tableau 1). Cet effet disparaît si l’on tient compte des autres variables relatives au vécu scolaire (étape 2). L’effet du sexe sur l’aliénation paraît donc médiatisé par d’autres variables. Plus précisément, on voit que l’aliénation est d’autant plus forte que l’orientation vers l’évitement du travail est élevée, mais qu’elle est d’autant plus faible que la qualité des relations enseignants-élèves, le sentiment d’appartenance et l’orientation vers l’apprentissage sont élevés.

Tableau 3

Coefficients uniformisés pour les régressions pas à pas avec l’absentéisme et l’aliénation scolaires comme variables dépendantes

Coefficients uniformisés pour les régressions pas à pas avec l’absentéisme et l’aliénation scolaires comme variables dépendantes
n

= 185 ;

p

< 0,05.

-> Voir la liste des tableaux

Analyses en pistes

Étant donné que le sentiment d’aliénation vis-à-vis de l’école est un des principaux prédicteurs de l’absentéisme identifiés dans cette étude et qu’il est lui-même relié à des variables relatives à la motivation et au contexte scolaire perçu, il paraît pertinent de comparer l’adéquation des trois modèles théoriques présentés dans l’introduction. Une analyse factorielle a été réalisée sur les scores aux différentes échelles mesurant le vécu scolaire (sauf l’échelle d’aliénation), afin d’examiner s’il était possible de composer un indicateur du contexte scolaire et un indicateur de la motivation ou s’il fallait développer des modèles plus complexes que ceux présentés dans la figure 1. Les résultats de cette analyse montrent que les deux échelles relatives aux structures de buts et celle portant sur les relations enseignants-élèves composent un facteur unique, que nous avons baptisé « contexte scolaire ». Le sentiment d’appartenance à l’école, l’orientation vers l’apprentissage et l’évitement du travail forment un autre facteur, appelé « motivation ». L’absentéisme volontaire et le nombre d’absences constituent également un facteur, nommé « absences ». Comme les autres échelles qui ne sont pas incluses dans ces facteurs ne sont pertinentes ni par rapport aux modèles théoriques proposés ni par rapport aux résultats des régressions ci-dessus, elles n’ont pas été retenues dans les analyses qui suivent.

L’utilisation des trois scores factoriels ainsi obtenus et du score d’aliénation permet une comparaison directe des trois modèles théoriques au moyen d’analyses en pistes, plutôt que de devoir dériver des modèles plus complexes qui représenteraient la logique sous-jacente à chacun des modèles. Les analyses ont été réalisées au moyen de LISREL 8.3. Les indices d’adéquation des trois modèles théoriques figurent dans le tableau 4. L’adéquation du modèle 3 est clairement mauvaise et tous les indices plaident en faveur d’une meilleure adéquation du modèle 1 par rapport au modèle 2 (Byrne, 1998). La différence de valeur du chi-carré entre ces deux modèles est d’ailleurs significative en faveur du modèle 1 (χ2 (1) = 12,81 ; p < 0,01). Autrement dit, c’est le modèle postulant un effet direct et un effet indirect – par la motivation – de la perception du contexte scolaire sur le sentiment d’aliénation qui correspond le mieux aux données observées.

Tableau 4

Analyses en pistes – Indices d’adéquation des différents modèles

Analyses en pistes – Indices d’adéquation des différents modèles

Notes : n = 198 ; sRMR = standardized Root Mean Square Residual ; AGFI = Adjusted Goodness of Fit Index ; ECVI = Expected Cross-Validation Index ; CAIC = Consistent Akaike’s Information Criterion ; Réf. = valeur de référence indiquant une bonne adéquation, ou le sens de la comparaison ; ns = non significatif.

-> Voir la liste des tableaux

Étant donné les différences entre filles et garçons concernant l’aliénation et l’absentéisme, la stabilité du modèle en fonction du sexe des élèves a également été examinée pour le modèle présentant la meilleure adéquation, c’est-à-dire pour le modèle 1 (Jöreskog et Sörbom, 1996). Un modèle strictement équivalent (tous les paramètres égaux) entre filles et garçons donne un chi-carré égal à 29,48 avec 11 degrés de liberté (p = 0,002). Un modèle parallèle (niveaux moyens différents, mais relations parallèles entre les variables) présente un chi-carré égal à 20,50 avec 10 degrés de liberté (p = 0,025). Ce modèle offre donc une adéquation significativement meilleure qu’un modèle d’égalité stricte [χ2(1) = 8,98 ; p < 0,01]. Par contre, un modèle sans contrainte d’égalité (tous les paramètres sont libres de fluctuer d’un groupe à l’autre) obtient un chi-carré égal à 17,22 avec 6 degrés de liberté (p = 0,008), ce qui ne représente pas une amélioration notable par rapport à un modèle parallèle [χ2(4) = 3,28 ; p > 0,10]. Ces résultats suggèrent que les relations entre les variables du modèle 1 (figure 2) sont identiques chez les filles et les garçons, chaque groupe se situant cependant à des niveaux différents sur ces variables. Autrement dit, si les filles et les garçons présentent en moyenne certaines différences dans leur vécu scolaire, les relations entre les composantes de ce vécu paraissent identiques d’un groupe à l’autre. Toutes les pistes sont significatives à 0,01 et exprimées en valeurs standardisées (n = 198).

Figure 2

Diagramme en piste du modèle offrant la meilleure adéquation pour les relations entre contexte scolaire, motivation, aliénation et absentéisme

Diagramme en piste du modèle offrant la meilleure adéquation pour les relations entre contexte scolaire, motivation, aliénation et absentéisme

-> Voir la liste des figures

Discussion

Un des objectifs de cette étude était d’examiner le poids de différentes catégories de variables dans l’explication de l’absentéisme scolaire. En rapport avec notre hypothèse, les résultats sont extrêmement clairs : ils mettent en évidence le rôle prépondérant du sentiment d’aliénation par rapport à l’école. L’aliénation est d’ailleurs le seul prédicteur significatif du nombre d’absences. Assez étonnamment, c’est pour la mesure d’absentéisme autorapporté qu’on observe un effet des caractéristiques sociodémographiques des élèves, à savoir le sexe et dans une moindre mesure la profession de la mère. Des analyses complémentaires indiquent que le sentiment d’aliénation est lui-même associé à certaines orientations motivationnelles, au sentiment d’appartenance et à la perception de la qualité des relations enseignants-élèves. Ces résultats suggèrent que certains aspects du vécu scolaire des élèves sont au moins aussi importants dans l’explication de l’absentéisme que les déterminismes « sociologiques » classiques, et que ce vécu scolaire dépend en partie d’éléments sous le contrôle des équipes éducatives.

Cette interprétation des résultats est renforcée par les résultats de la comparaison de modèles que nous avons ensuite réalisée. Ces modèles représentent trois façons différentes de théoriser les relations entre perception du contexte scolaire, motivation des élèves, sentiment d’aliénation et absentéisme. Les résultats de cette comparaison plaident nettement en faveur du modèle qui postule un effet de la motivation des élèves et de la perception du contexte scolaire sur le sentiment d’aliénation, de même qu’un effet du contexte scolaire sur la motivation. Ces résultats ne corroborent pas l’idée d’une influence prédominante de la motivation sur la perception du contexte scolaire. Des analyses complémentaires indiquent que la dynamique motivationnelle est identique chez les garçons et chez les filles, même si ces dernières rapportent généralement un vécu scolaire plus positif (tableau 1) et paraissent donc moins « à risque » face à l’absentéisme. Ces résultats appuient l’idée que les absences des élèves sont, en partie, l’aboutissement d’un processus de démotivation, de désaffiliation et d’aliénation qui aboutit à des conduites de retrait. Selon la logique qui sous-tend la plupart des recherches antérieures, l’absentéisme résulte d’un problème personnel de l’élève (Byrk et Thum, 1989). Cependant, cette logique s’accorde mal avec le fait que le taux d’absentéisme ou d’abandon scolaire varie d’une école à l’autre, même quand on tient compte des caractéristiques de recrutement des écoles (Rutter, 1983). Les résultats de la présente étude apportent un point de vue plus nuancé, puisque si le problème est bien lié à la dynamique motivationnelle de l’élève, celle-ci résulte en partie du contexte scolaire dans lequel il se trouve (Murdock, 1999). Ces résultats sont d’autant plus importants qu’une action préventive vis-à-vis de l’absentéisme pourrait avoir des effets positifs sur l’abandon scolaire, dont les conséquences négatives sont bien connues (Galand et al., 2000) et dont l’absentéisme est un signe avant-coureur. Ces résultats suggèrent que les interventions individuelles auprès d’élèves pourraient être utilement complétées par des interventions au niveau des pratiques d’enseignement auxquelles ces élèves sont confrontés (Kaplan, Gheen et Midgley, 2002).

Si les différences relevées entre filles et garçons sont cohérentes avec les études sur la motivation et l’abandon scolaire (Royer, Moisan, Saint-Laurent et Giasson, 1993), l’absence totale d’effet du nombre de doublements du statut professionnel du père ou de la nationalité des parents est plus surprenante. L’échantillon considéré n’est certes pas représentatif. Il est composé d’un public relativement défavorisé d’un point de vue socioéconomique ou socioculturel et ne comprend aucun élève de la filière générale, mais tous les niveaux des indicateurs considérés sont représentés (aurement dit, la variance est plutôt importante). De plus, sauf pour le climat centré sur la performance, les réponses de cet échantillon ne se distinguent pas, en moyenne, de celles d’un autre échantillon de 1 015 élèves de toutes les filières de l’enseignement secondaire belge (Galand, 2001). Cette quasi-absence d’effet des caractéristiques sociodémographiques individuelles, à l’exception du genre, est tout à fait cohérente avec les résultats d’études menées auprès d’autres échantillons de l’enseignement secondaire belge (Galand et Philippot, 2002, 2003). Ces études font voir clairement que la filière d’enseignement fréquentée n’a en soi aucun effet. Les participants étant déjà relativement âgés, on ne peut cependant exclure l’hypothèse que les élèves les plus fragilisés ont déjà abandonné l’école (Cairns, Cairns et Neckerman, 1989) ou qu’ils ont déjà été relégués dans l’enseignement en alternance ou spécialisé. Peut-être aussi, cette absence d’effet reflète-t-elle des variations dans le fonctionnement du système d’enseignement, l’effet des variables en question ayant surtout été traité dans les pays anglo-saxons. Il faut également noter que les résultats de cette étude portent sur l’absentéisme, alors que les résultats relatifs à un effet des caractéristiques sociodémographiques portent principalement sur la réussite ou l’abandon scolaire. Cette quasi-absence d’effet des variables distales est, cependant, tout à fait en conformité avec plusieurs recherches récentes qui montrent que les variables liées à l’expérience scolaire sont les prédicteurs les plus puissants du désengagement scolaire, et qu’une fois ces variables prises en compte, les caractéristiques sociodémographiques n’ajoutent pas grand-chose à la prédiction (Janosz, LeBlanc, Boulerice et Tremblay, 1997 ; Kasen, Cohen et Brook, 1998). On ne peut néanmoins exclure l’hypothèse que les variables identifiées dans la présente étude jouent un rôle plus déterminant chez les élèves « à risque » (Rutter, 1983).

Ces résultats ne signifient pas que le contexte familial d’un élève est sans importance pour son engagement scolaire. De nombreuses recherches indiquent que le soutien familial influence la motivation scolaire des élèves (Royer et al., 1993 ; Vallerand et al., 1997). La mise en relation des informations issues du questionnaire de cette étude avec celles d’une quarantaine d’entretiens menés parallèlement, donne une corrélation de - 0,36 entre le soutien familial perçu et le sentiment d’aliénation. Mais il s’agit là de facteurs sur lesquels les équipes éducatives n’ont que peu de moyens d’action.

Les résultats de la présente étude suggèrent, par contre, qu’à travers leurs pratiques d’enseignement et le cadre relationnel qu’elles instaurent, ces équipes peuvent agir pour favoriser l’engagement des élèves (figure 2). Plus précisément, en proposant des activités d’apprentissage qui offrent des occasions de choix et présentent un certain défi, en entretenant des attentes élevées vis-à-vis de chaque élève, en transformant les erreurs en occasions d’apprendre et en traitant davantage les élèves comme des partenaires, les enseignants peuvent probablement favoriser le développement chez ceux-ci d’une identité scolaire positive et soutenir leur motivation à apprendre et avoir ainsi un effet préventif sur l’absentéisme (Fry et Coe, 1980 ; Nicholls, 1989 ; Rutter, 1983).

Cette interprétation des résultats repose néanmoins sur le postulat que les perceptions des élèves se fondent, au moins partiellement, sur les caractéristiques objectives de leur environnement d’apprentissage. Plusieurs études indiquent que les perceptions des élèves reflètent, au moins partiellement, des variations de leur contexte scolaire (Anderman et Midgley, 1997 ; Galand et Philippot, 2003), même si elles n’apportent que rarement la démonstration que ces variations correspondent directement aux pratiques auxquelles se réfèrent ces perceptions (Hook et Rosenshine, 1979). De plus, les effets des perceptions qu’ont les élèves de leur contexte d’apprentissage sont similaires aux effets de manipulations expérimentales portant sur des paramètres du contexte censé être l’objet de ces perceptions (Covington et Omelich, 1984 ; Butler, 1987).

Une bonne part de la variance de l’absentéisme reste cependant inexpliquée. Au-delà des problèmes de mesure associés à cette variable et de l’effet de facteurs qui ne sont pas repris dans cette étude (Rumberger et Larson, 1998), il se peut qu’un certain nombre d’absences aient un caractère non planifié, imprévu, occasionnel, très difficile à investiguer de façon systématique. De plus, la méthode de recherche utilisée dans cette étude, comme dans la plupart des études disponibles, ne permet aucune conclusion ferme en termes de causalité, puisqu’elle est corrélationnelle. Les résultats d’études longitudinales (Kasen, Cohen et Brook, 1998 ; Roeser, Eccles et Sameroff, 1998) recoupent néanmoins ceux des études transversales. Ce qui fait sans doute le plus défaut, ce sont des évaluations rigoureuses de programmes d’interventions. À condition que ces programmes soient basés sur des modèles théoriques précis, ils permettraient de réelles avancées tant pour notre compréhension des processus menant au décrochage que pour les actions de prévention à instaurer.