Corps de l’article
Si l’on considère que la formation des maîtres est le plus puissant levier de transformation et de progrès du système éducatif, il faut constamment chercher de nouveaux moyens de l’évaluer et de l’améliorer. En France, la formation des professeurs de lettres du collège et du lycée se fait en deux étapes : à l’université, puis dans les IUFM. L’arrimage entre les deux continue à poser problème. De plus, le passage entre la connaissance d’une discipline et celle de son enseignement se heurte aux valeurs et aux croyances des étudiants-maîtres. Les auteurs de la recherche intitulée Images de la littérature et de son enseignement (pourquoi ne pas avoir utilisé le terme représentation dans le titre, puisque c’est de cela qu’il s’agit ?) ouvrent la voie à de nouvelles connaissances sur les conceptions de la littérature et de son enseignement en cherchant du côté de 500 étudiants de première année (en préparation au concours) et de deuxième année (en stage) de l’IUFM des Pays de la Loire. Cette étude apporte un éclairage fort intéressant à la fois pour la didactique, pour les concepteurs de programmes universitaires et de formation des maîtres ainsi que pour les formateurs d’enseignants. Les trois chercheurs qui ont mené l’étude, soit Anne Raymonde de Beaudrap, Dominique Duquesne et Yvon Houssais, ont misé sur des questionnaires quantitatifs et des entrevues qualitatives pour vérifier auprès des étudiants-maîtres quelles sont leurs représentations, d’une part, des savoirs acquis à l’université, puis à l’IUFM ainsi que de la « littérature à enseigner », et, d’autre part, des pratiques de l’enseignement de la littérature.
Cette étude permet de répondre par la voix des étudiants à plusieurs questions : quelles notions littéraires se sentent-ils à l’aise d’enseigner ? Quelles oeuvres jugent-ils importantes à enseigner ? Qu’est-ce qu’un bon enseignant ? Qu’est-ce qu’un bon manuel ? De manière générale, les étudiants ont une vision traditionaliste du choix des oeuvres littéraires (Molière, Balzac...) à enseigner et ne voient pas ce que la didactique apporte à la littérature. Ils ne privilégient pas la littérature contemporaine ou étrangère, car ils la connaissent peu. Selon eux, la littérature dans les IUFM est instrumentalisée et dénaturée, même si les méthodes enseignées la rendent opérationnelle. Conditionnés à l’analyse méthodique des textes littéraires, ils reprochent à leurs professeurs d’université leur attitude froide et distante, et au programme littéraire d’être morcelé, mais ils jugent les oeuvres pertinentes. Alors que les IUFM cherchent à déplacer ces représentations négatives de la didactique de la littérature, en familiarisant, par exemple, les étudiants avec les théories de la réception, cette étude permet de décrire les représentations figées des étudiants. Ce qui ressort, c’est la maîtrise des notions d’analyse littéraire par rapport à celles qui relèvent de la pragmatique, de la sociocritique et de l’histoire littéraire.
Il aurait été enrichissant de vérifier auprès de ces enseignants quelles sont leurs représentations des apprentissages réalisés en lecture littéraire. Cet ajout aurait pu servir à évaluer leurs conceptions de l’appropriation des savoirs en littérature. Lorsqu’on leur demande d’identifier les auteurs et les notions qu’ils se sentent à l’aise d’enseigner, il peut exister un décalage entre ce qu’ils connaissent et ce qu’ils jugent pertinent. Par exemple, ils se sentent plus à l’aise d’enseigner le théâtre, le roman du 19e siècle que les oeuvres contemporaines, mais on ne les questionne pas sur l’intérêt d’enseigner ces dernières. De la même manière que la didactique articule ce qu’elle sait des objets d’enseignement à ce qu’elle sait des sujets apprenants, les conceptions des étudiants-maîtres devraient faire état de ces deux aspects.
Ce qu’il faut toutefois retenir, c’est l’intérêt que l’explicitation de leurs représentations peut apporter aux étudiants, surtout si on leur en fait prendre conscience à travers leur propre formation. Les auteurs prévoient poursuivre l’étude auprès des enseignants des autres disciplines. C’est à suivre…