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Introduction

L'implication des citoyens dans des actions de restauration ou d'aménagement des écosystèmes locaux constitue un objectif populaire en éducation relative à l'environnement, car ces actions assurent la transformation tangible du milieu, contribuent à l'émergence de compétences locales (Bracht et Gleason, 1990) et optimisent la relation personne-groupe social-environnement (Pruneau, Chouinard et Arsenault, 1998). Comment s'assurer que ces actions environnementales se réalisent? Quels sont les facteurs socioculturels et pédagogiques qui favorisent une décision d'engagement communautaire pour la sauvegarde des ressources? Les travaux de recherche présentés dans cet article apportent une première réponse à ces questions.

L'historique du programme de recherche

Cette étude fait partie d'un programme plus vaste de développement communautaire et de recherche intitulé «Littoral et vie», réalisé dans des communautés côtières de l'est du Nouveau-Brunswick. Le programme global vise la restauration progressive des écosystèmes côtiers (ruisseaux, marais salés, zone intertidale) grâce à leur prise en charge par les acteurs sociaux. Les communautés concernées servent de lieu d'expérimentation aux stratégies pédagogiques, technologiques et sociologiques susceptibles de motiver et de soutenir le travail environnemental des citoyens.

À Cap-Pelé, village de 2500 habitants, où s'est effectuée l'étude présentée ici, l'implication des citoyens a débuté en 1996. Au cours d'une première recherche, des aînés à la retraite et des élèves du primaire ont vécu ensemble, durant neuf mois, un processus d'éducation à la relation au milieu, processus qui s'est terminé par le nettoyage et le déblocage d'une section du ruisseau Friel. À la suite de ce processus éducatif, les aînés ont manifesté leur désir de poursuivre la restauration écologique de leur milieu. Ils ont alors formé un regroupement qu'ils ont appelé les «Sénateurs et Sénatrices de l'environnement»; ils ont identifié d'autres problèmes environnementaux à résoudre et quatre nouveaux groupes sociaux pouvant s'engager dans leur résolution: Chevaliers de Colomb, pêcheurs et classes de quatrième et de septième année. Les chercheurs de l'Université de Moncton ont pensé qu'il serait opportun d'éduquer ces nouveaux groupes à l'environnement et de mettre à jour les facteurs socioculturels et pédagogiques qui conduiraient certains d'entre eux vers l'action environnementale.

Cette deuxième recherche, menée auprès des Chevaliers de Colomb, des pêcheurs et des classes de quatrième et de septième année constitue le sujet de cet article.

Nous présentons d'abord le cadre théorique qui a été élaboré pour faciliter l'étude des facteurs d'action environnementale. Nous décrivons ensuite les diverses activités éducatives expérimentées par les Chevaliers de Colomb, les pêcheurs et les élèves de quatrième et de septième année, et nous identifions notre méthode de recherche. Nous faisons part aussi des facteurs socioculturels et pédagogiques qui, selon les individus, ont exercé une influence sur leur désir d'implication. Nous utilisons finalement ces résultats pour formuler un diagnostic au sujet des attitudes environnementales dans la communauté de Cap-Pelé, diagnostic qui servira à y orienter les futures interventions pédagogiques.

La recension des écrits

Les écrits au sujet des facteurs d'influence de l'action environnementale sont relativement nombreux sans toutefois être fondés sur des travaux de recherche approfondis. Ce sont généralement des textes de vulgarisation destinés à des intervenants en éducation ou en animation sociale. Emmons (1997) définit l'action environnementale comme une démarche intentionnelle qui implique des décisions, une planification, une exécution et une réflexion de la part d'un individu ou d'un groupe. L'action est orientée vers l'accomplissement d'un objectif environnemental spécifique, objectif de moindre ou de grande envergure.

Emmons (1997) distingue l'action environnementale du concept de comportement environnemental responsable proposé par Hungerford et Volk (1990). Pour Emmons, le comportement environnemental responsable peut se présenter comme une façon d'agir volontaire et autodéterminée, mais il peut aussi apparaître comme une réponse automatique, relevant d'une habitude ou d'une crainte de sanction sociale. L'action environnementale est, par contre, simultanément un produit et un processus. Des individus décident de poser des gestes spécifiques en fonction de leurs connaissances et de leurs attitudes face à une controverse environnementale, et ils participent activement à la réalisation de leurs buts. Dans le cadre de notre recherche, nous avons adhéré à la définition d'Emmons.

Jensen et Schnack (1997) différencient également l'action environnementale directe, celle où les individus participent personnellement à l'amélioration des problèmes, de l'action environnementale indirecte, celle où les individus emploient diverses stratégies pour inciter de tierces personnes à s'investir pour le bien-être écologique. Dans le cadre de cette étude, il est davantage question d'actions environnementales directes.

Le Project Wild (1995) fournit une typologie intéressante pour faciliter la classification des facteurs socioculturels qui incitent les groupes sociaux à s'impliquer dans des projets d'action environnementale. Il s'agit des facteurs internes et externes. Ainsi, certains groupes sont, par exemple, influencés par leurs valeurs, croyances, habiletés, connaissances, alors que d'autres sont poussés par la pression sociale. Nous avons recours à cette typologie pour présenter les écrits recensés au sujet des facteurs socioculturels qui influencent l'action environnementale.

Parmi les facteurs internes figure d'abord l'attachement au milieu. Iozzi (1989), Low et Altman (1992), Proshansky, Fabian et Kaminoff (1983) et Thomashow (1995) expliquent que les gens qui entretiennent une relation significative avec leur milieu biophysique ou leur communauté sont plus enclins à prendre des mesures pour le protéger car, comme leur milieu leur procure satisfaction et fierté, ils sont plus attentifs aux éléments ambiants et aux changements environnementaux qui pourraient être nocifs. Ces gens s'identifient à leur environnement ou à leur communauté. Le deuxième facteur interne consiste dans la motivation des individus à agir lorsqu'ils souffrent directement des conséquences immédiates d'un problème (Bracht et Gleason, 1990; Wall, 1995). Les personnes cherchent alors à atténuer les effets négatifs.

D'autres facteurs internes sont également évoqués par le National Consortium for Environmental Education and Training (1994). La connaissance suffisante du problème environnemental et de ses solutions, les attentes positives concernant l'action entreprise ainsi que des expériences préalables d'actions communautaires ou environnementales vont contribuer à sécuriser les groupes et à soutenir leur désir de participation. Certaines attitudes ou systèmes de valeurs, comme l'éthique environnementale (Noe et Snow, 1989), le sens du devoir et le centre de contrôle interne (Hungerford et Volk, 1990), vont également exercer une influence. Le centre de contrôle interne correspond, chez les individus, à un sentiment de confiance en leur capacité d'apporter des changements positifs à une situation problématique. De même, la présence, chez les individus d'un groupe, de certaines habiletés, dont le leadership et les capacités d'organisation et de planification, va finalement avoir un impact sur leur sentiment de pouvoir agir (Florin et Wandersman, 1983).

Les facteurs externes que mentionnent les auteurs sont aussi très diversifiés. La présence d'amis dans le projet d'action (Wandersman et Giamartino, 1980), l'influence de leaders jugés compétents ou particulièrement habiles en regard de la tâche à accomplir (Jang Hsu et Roth, 1996) et la pression des pairs (Dresner et Gill, 1994) constituent d'importants facteurs d'influence dans la prise de décision d'une implication environnementale. En effet, une information qui émane d'un pair est plus crédible dans la communauté, car cette personne est considérée comme ayant les mêmes valeurs et attitudes que son groupe social. L'impact de ces trois derniers facteurs sera d'autant plus grand s'il s'agit d'une communauté où on retrouve une forte solidarité sociale (Oropesa, 1992) et des valeurs environnementales marquées (Wall, 1995). Ainsi, plusieurs sociologues mentionnent que la solidarité sociale exerce un effet positif sur l'engagement régional. Selon Park (1967), l'interaction avec les voisins favorise l'attachement à un milieu et la prise de conscience d'intérêts communs, d'attitudes qui constituent les fondements des organisations locales. Cette théorie est toutefois remise en question par Oliver (1984) qui estime plutôt que, dans le cas d'une forte solidarité sociale, les personnes s'identifient tellement à leur communauté qu'elles pensent que leurs pairs vont s'occuper de résoudre les problèmes locaux. Au contraire, les gens qui partagent moins ce sentiment d'identification évaluent leur participation comme essentielle pour la mise en place de changements. Un autre facteur socioculturel externe consiste dans les récompenses personnelles escomptées à la suite de l'action environnementale. Les personnes croient qu'elles retireront des bénéfices matériels ou psychologiques (admiration, visibilité, etc.) pendant ou après l'action (Uusitalo, 1992). Finalement, la disponibilité des ressources nécessaires au travail à réaliser constitue également un facteur déterminant (Bracht et Gleason, 1990).

Par ailleurs, la recherche concernant les interventions pédagogiques qui favorisent l'engagement dans l'action environnementale est peu développée. L'équipe d'Harold Hungerford a travaillé à l'investigation des méthodes pédagogiques qui exercent une influence positive sur le comportement environnemental responsable, concept qui, à la fois, s'apparente à celui d'action environnementale et s'en différencie comme nous l'avons mentionné précédemment. Hungerford et Ramsey (1989) ont identifié sept variables susceptibles d'influencer le comportement relatif à l'environnement. Ce sont a) la connaissance d'actions stratégiques, b) l'acquisition des habiletés requises dans la réalisation d'actions environnementales, c) la sensibilité environnementale, d) le centre de contrôle interne, e) la connaissance des problèmes, f) les croyances et valeurs ainsi que g) la connaissance des principaux concepts écologiques. Ils estiment que des méthodes pédagogiques qui visent à développer un comportement environnemental responsable devraient exploiter ces sept variables ou en tenir compte. L'approche pédagogique privilégiée ici est celle de la résolution de problèmes réels sur le terrain.

Le modèle pédagogique de Pruneau et Chouinard (1997) a été également associé à des résultats positifs en ce qui a trait à sa capacité d'inciter des groupes sociaux à amorcer une action environnementale. Ce modèle allie les techniques de la résolution de problèmes à des approches de contact sensoriel et affectif; il comporte les étapes successives suivantes: inviter les apprenants à apprécier, à critiquer et à connaître les ressources de leur milieu; faire partager les impressions et les inquiétudes relatives au milieu; faire projeter une vision de la biorégion pour le futur; agir pour améliorer l'environnement. De même, on retrouve dans la documentation scientifique d'autres techniques pédagogiques qui, selon les auteurs, semblent exercer une influence sur le désir d'action des apprenants. Ainsi, le President's Council on Sustainable Development (1997) suggère de choisir des projets d'action qui correspondent aux besoins des citoyens et de faire la publicité de ces besoins. Le Project Wild (1995) conseille l'emploi des histoires à succès, c'est-à-dire des articles de journaux ou de magazines qui font part des actions environnementales entreprises et réussies dans d'autres communautés. Il y a enfin les activités de vision et d'échéancier ( President's Council on Sustainable Development, 1997) qui consistent à inviter les membres d'une communauté à projeter une vision d'un milieu idéal et à rédiger un échéancier des étapes nécessaires à l'atteinte de leurs buts. Ainsi, ce type de stratégie inciterait à l'action tout en renforçant les croyances, les valeurs et les attitudes sociales favorables à l'environnement.

Le déroulement des activités pédagogiques auprès des groupes

Étant donné la rareté de l'information au sujet des techniques pédagogiques qui peuvent garantir la mise en branle d'actions environnementales chez les groupes sociaux, les chercheurs ont opté pour des activités éducatives variées. La longueur des interventions pédagogiques auprès des groupes a été fixée à quatre heures, compte tenu de la disponibilité des groupes d'adultes, c'est-à-dire les Chevaliers de Colomb et les pêcheurs. Le choix d'une formation courte apparaissait aussi comme une option réaliste auprès des élèves de quatrième et de septième année. En effet, les enseignantes participantes ne pouvaient consacrer davantage de temps à ce domaine d'études puisque l'éducation relative à l'environnement (ERE) est peu abordée dans les programmes pédagogiques du Nouveau-Brunswick. Les séances d'éducation auprès des quatre groupes ont été planifiées et offertes par des étudiants de l'Université de Moncton inscrits à la Maîtrise interdisplinaire en études de l'environnement et participant, dans le cadre de leur programme, à un cours d'éducation relative à l'environnement. Pour chaque groupe social, une équipe de deux formateurs a été constituée, équipe composée d'un scientifique et d'un pédagogue[1]. Les équipes ont elles-mêmes conçu, planifié et animé leurs propres activités pédagogiques. Les étudiants retenus connaissaient le but de la recherche, à savoir inciter les groupes à amorcer une action environnementale. Les activités de formation ont été élaborées en fonction de leurs croyances et de leur conception de l'ERE. Les chercheurs estimaient que, même si elle complexifiait l'analyse des données, la diversité des activités vécues pouvait enrichir les résultats. À partir de cette étape, la recherche a pris la forme de quatre études de cas.

Les activités pédagogiques vécues avec les élèves de quatrième année

Les animateurs qui sont intervenus auprès des élèves de quatrième année devaient, selon le choix des sénateurs et sénatrices de l'environnement, les familiariser avec les problèmes du ruisseau Friel[2]. Le ruisseau était jonché de déchets domestiques et bloqué à divers endroits, ce qui diminuait son débit. Les animateurs ont opté pour les activités pédagogiques suivantes:

  • narration de l'histoire du ruisseau Friel (y compris le nettoyage d'une section de ce ruisseau effectué auparavant par les aînés et par d'autres élèves);

  • présentation, par rétroprojecteur, d'informations concernant l'écologie d'un ruisseau;

  • anticipations écrites par les élèves au sujet des éléments qu'ils pensaient retrouver dans le ruisseau (pour favoriser une dissonance cognitive);

  • visite au ruisseau et court nettoyage;

  • dessin, dans un grand livre, de l'état réel du ruisseau.

Les activités choisies se veulent de nature constructiviste (emploi de la dissonance cognitive et expérience sur le terrain) et traditionnelle (transmission directe d'informations écologiques et historiques).

Les activités pédagogiques vécues avec les élèves de septième année

Les activités éducatives effectuées auprès des élèves de septième année étaient également centrées autour des problèmes du ruisseau Friel. Ces derniers ont d'abord reçu de l'information au sujet de l'écologie d'un ruisseau; ils ont écouté la narration d'une histoire à succès; ils ont visualisé leur village en l'an 2000 et ils ont complété les mots manquants de la chanson «Il y avait un jardin» de Georges Moustaki. Ils se sont enfin rendus au ruisseau pour observer le problème.

Les activités pédagogiques vécues avec les Chevaliers de Colomb

Les Chevaliers de Colomb ont été sensibilisés à la pénurie d'arbres et de végétation dans Cap-Pelé. Leur formation a débuté en forêt par des activités sensorielles et expérientielles: écoute des bruits, recherche d'arbres qui pourraient être utiles à des animaux particuliers, rencontre solo avec un arbre de leur choix, etc. Ils ont par la suite été informés au sujet des arbres qui pourraient être plantés dans ce village situé près de la mer. Finalement, ils ont participé à un jeu questionnaire au sujet de l'utilité des arbres et à un débat portant sur une question relative à leur région: la nécessité de couper les arbres d'une forêt pour construire une autoroute.

Les activités pédagogiques vécues avec les pêcheurs

Les informations transmises aux pêcheurs au sujet de la relation écologique ruisseaux-mer ont été adaptées à leurs besoins et intérêts, c'est-à-dire la pêche et la chasse. Les animatrices avaient préparé pour eux un diaporama et un jeu questionnaire qui supposait la manipulation de matériel pertinent, tel que des bois d'orignaux, des dents de renard, etc. Ils ont ensuite visionné un vidéo permettant d'observer l'état du ruisseau Friel sur une distance de deux kilomètres. Un deuxième vidéo a aussi servi pour témoigner de l'action de déblocage accomplie antérieurement par les aînés sur une section de ce ruisseau. Une discussion a suivi, portant sur les actions qui pourraient être réalisées pour sauver le ruisseau.

Méthode

À la fin des activités pédagogiques, les groupes ont été invités à s'engager, s'ils le désiraient, dans une action de restauration. Ils ont reçu la consigne de communiquer leur décision à l'étudiant diplômé en charge du projet, dans un délai maximum de deux semaines après la formation. Quant à elles, les enseignantes ont été prévenues d'éviter d'influencer leurs élèves afin de les laisser décider de façon autonome. À la fin du temps de réflexion accordé, tous les participants des quatre groupes ont exprimé un désir manifeste d'implication dans l'action.

Afin d'identifier les facteurs qui ont incité les groupes à opter pour l'action environnementale, les chercheurs ont mis sur pied un guide d'entrevue dont les questions faisaient appel à deux outils de recherche: le récit de vie et l'entrevue semi-structurée. La première partie de l'entretien, axée sur le récit de vie, comportait des questions telles que «Racontez-moi ce qui s'est passé et ce qui a fait que vous avez décidé d'agir pour les arbres (ou pour le ruisseau).» Des sous-questions de clarification ont aidé les personnes à expliquer leur point de vue. Selon Connely et Clandinin (1990), ce type de questions favorise la compréhension en profondeur des expériences vécues qui sont rapportées de façon symbiotique avec les émotions, les valeurs et les impressions rattachées à ces expériences. Les questions de la deuxième partie, posées avec l'approche d'entrevue semi-structurée, étaient inspirées de la recension des écrits qui a été présentée précédemment. Les questions de la seconde partie étaient semblables aux suivantes: «Vous sentez-vous capable de résoudre ce problème? Pourquoi?», «Avez-vous déjà posé des gestes pour aider votre communauté? Lesquels?», «Est-ce que vous pensez que cela vous a influencé(e) d'avoir des amis dans ce projet? Expliquez-moi.», «Pensez-vous que l'environnement c'est important pour les gens de Cap-Pelé? Pour qui?», «Je vais vous rappeler les activités pédagogiques vécues avec x et y. Selon vous, lesquelles vous ont incité(e) à agir?», etc. Ces questions plus spécifiques ont été ajoutées en raison du milieu socioculturel de Cap-Pelé. Les chercheurs avaient déjà eu l'occasion de remarquer que les personnes de cet endroit n'ont pas l'habitude de développer longuement leur pensée. Les réponses sont courtes et directes. Une validation du guide d'entrevue a ensuite été réalisée au moyen de deux essais successifs auprès d'adultes et d'enfants ayant participé aux sessions éducatives. Les chercheurs ont alors remarqué que les deux parties de l'entrevue assuraient, tel que le recommande Van der Maren (1995), une triangulation sur le plan des instruments de cueillette de données. En effet, l'analyse ultérieure a permis de vérifier la concordance entre les réponses des deux sections de l'entrevue. Souvent, la deuxième partie permettait aux acteurs de préciser ou de développer leur réponse.

D'une durée de trente minutes, les entretiens se sont déroulés deux ou trois jours après que les différents groupes eurent confirmé leur décision d'agir. Tous les participants aux activités éducatives ont été interrogés dans les groupes d'adultes: soit huit Chevaliers de Colomb et trois pêcheurs. Dans chacune des classes de quatrième et de septième année, un échantillon de huit enfants a été sélectionné à l'aide de la méthode par quotas (Van der Maren, 1995). L'échantillon des huit élèves était composé d'enfants qui avaient déjà posé des gestes pour aider l'environnement et d'autres qui avaient été moyennement ou peu actifs. Un questionnaire écrit, construit pour mesurer ce type d'action et validé dans une classe qui ne participe pas au projet, a été administré dans le but de rassembler cet échantillon de cas typiques. Les chercheurs ont également sollicité l'aide des enseignantes pour n'interroger que des élèves qui manifestaient une certaine facilité d'expression. De même, dans un but de triangulation concernant des sources de données, nous avons questionné un informateur par groupe, c'est-à-dire un sénateur de l'environnement qui avait participé aux activités pédagogiques de ce groupe.

Les entrevues ont été enregistrées sur cassette audio, puis transcrites fidèlement pour fins d'analyse. Avant de commencer l'analyse, les chercheurs ont procédé à ce que Husserl (1970) appelle une critique de connaissance. Il s'agissait de mettre à jour les préjugés personnels qui pouvaient entraver l'objectivité de l'analyse. En effet, dans l'équipe pluridisciplinaire des chercheurs, chacun possédait ses propres hypothèses en ce qui concerne les facteurs d'influence de l'action environnementale. Il importait d'effectuer une prise de conscience préalable de ces présupposés qui pouvaient nuire à l'objectivité de l'analyse.

L'analyse du contenu a été accomplie par trois juges dont le pourcentage intercodeur a été de 96%. Les réponses et les commentaires des participants et des informateurs qui correspondaient aux catégories a priori, c'est-à-dire aux facteurs d'action identifiés dans la recension des écrits, ont d'abord été relevés. D'autres éléments jugés significatifs, qui ne figurent pas dans le cadre théorique, ont ensuite été identifiés, pour désigner des catégories émergentes. Le modèle de codage employé était donc mixte; le codage s'est déroulé en trois étapes: désignation individuelle des catégories par chacun des juges, entente interjuge au sujet des catégories et assignation d'une pondération pour chaque catégorie et pour chacun des acteurs (présence de la catégorie oui ou non).

À la suite de l'analyse du corpus, des fiches ont été construites pour chacun des groupes. Sur ces fiches, on retrouvait les catégories du cadre théorique, les catégories émergentes et les pondérations accordées pour chaque catégorie (oui, non). Un tableau compilatif pour tous les groupes a finalement été élaboré: on pouvait y observer la présence ou l'absence des catégories reliées aux facteurs socioculturels qui ont influencé l'action environnementale. Les facteurs pédagogiques qui ont incité les groupes à entamer une action n'ont pas été additionnés dans un tableau étant donné la diversité des interventions éducatives choisies par les animateurs.

Résultats

Les facteurs d'action à caractère socioculturel

Le tableau 1 présente les facteurs socioculturels qui, selon les individus interrogés, ont favorisé ou facilité leur décision d'agir. Certains regroupements que présente ce tableau (valeurs morales, anthropocentriques, biocentriques) ont été inspirés de la recherche de Kempton, Boster et Hartley (1995). Ces anthropologues, qui ont interrogé 46 adultes considérés comme des environnementalistes, ont trouvé que les valeurs environnementales de ces derniers étaient dérivées de trois sources principales: la religion, l'anthropocentrisme[3] et le biocentrisme[4]. Les autres regroupements de catégories ont été établis à partir des données elles-mêmes.

Dans le tableau 1, on remarque que les facteurs socioculturels qui ont davantage motivé l'action des individus interrogés sont le sens de la solidarité, l'impression de réussite grâce à la présence d'un groupe, le sentiment que le projet est réalisable, ainsi que l'attachement à la nature et aux personnes du milieu. De même, l'accomplissement préalable d'actions communautaires et l'attente de récompenses consécutives à l'action ont été des facteurs de motivation importants. La présence d'amis dans le projet, la conscience de l'avenir, les valeurs esthétiques, la responsabilité environnementale, l'influence des leaders et la pression sociale ont été des sources d'incitation moyennement influentes. Finalement, les valeurs religieuses, la disponibilité, l'intérêt personnel pour le projet d'action, la perception de la gravité du problème et la crainte pour la santé ont été peu mentionnés comme facteurs d'influence.

La prépondérance du sens de la solidarité dans les réponses des acteurs concernant les raisons de leur désir d'action était prévisible dans cette communauté acadienne reconnue pour sa tradition coopérative. En effet, durant les années trente, les citoyens de cette communauté rurale de 2500 habitants ont dû, pour subsister, faire preuve d'un esprit d'entrepreneuriat et d'un sens de la coopération qui les a conduits à mettre sur pied des entreprises familiales (industries de poissons et boucanières) permettant à toute la population de subvenir à ses besoins de façon interdépendante. À Cap-Pelé, les pêcheurs vendent les produits de leur pêche aux industries où travaillent souvent leurs épouses et plusieurs autres membres de la communauté. De même, les Acadiens sont généralement reconnus pour leurs attitudes d'entraide et de solidarité. C'est ainsi que des réponses telles que celles-ci ont été fréquemment formulées: «Il faut que chacun prenne sa part de responsabilité dans le projet d'action» (un Chevalier); «J'aime aider et je veux travailler avec les autres (un élève de septième année)»; etc.

Tableau 1

Facteurs socioculturels qui ont incité les quatre groupes à l'action environnementale

Facteurs socioculturels qui ont incité les quatre groupes à l'action environnementale

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L'attachement au milieu naturel et aux gens du village était également très enraciné dans les réponses des acteurs. Les sentiments d'identité écologique (Thomashow, 1995) et d'identité communautaire (Altman et Low, 1992) étaient faciles à repérer dans leurs explications: «Je vis près de la mer et je veux tout le temps y aller. Il ne faut pas détruire cela» (un élève de quatrième année); «On est vraiment attachés aux gens de Cap-Pelé. On fait tout ce qu'on peut pour améliorer cette paroisse» (un Chevalier).

Les réponses concernant la réalisabilité du projet d'action ont été variées. Les acteurs expliquaient leur conception de la facilité de la tâche par la présence, dans leur groupe, de personnes fortes ou compétentes, par la nature simple de la tâche, par le nombre important de bénévoles dans leur groupe et par la disponibilité des ressources financières: «Avec l'aide du gouvernement et la participation du grand Chevalier Raoul, on peut faire quelque chose» (un Chevalier); «On est beaucoup! Ils sont forts et courageux!» (un élève de quatrième année).

Les récompenses personnelles attendues à la suite de l'action que les gens ont mentionnées sont de nature concrète ou psychologique: la fierté, la joie, la visibilité, l'intérêt des touristes, la gloire, le retour des enfants qui ont grandi et qui n'habitent plus dans le village, etc.

La conscience de l'avenir et les valeurs esthétiques sont deux facteurs d'action qui n'ont été retrouvés que dans le groupe des Chevaliers de Colomb. Leurs propos étaient parsemés d'un ardent désir d'embellir le village pour le bien-être des générations futures: «Je pourrais dire que l'environnement est important pour le futur de mes enfants et non pour moi. Notre village embelli par les gros arbres sera beau pour mes enfants qui grandissent» (un Chevalier). La pression sociale, la présence d'amis dans le projet et l'influence des leaders sont, par contre, des facteurs d'influence qui ont été mentionnés dans tous les groupes. Les individus qui ont fait part de l'importance de ces facteurs dans leur processus motivationnel se sont dits «entraînés» vers l'action par leurs amis, par leurs leaders reconnus comme habiles et efficaces ou par une impression que «l'environnement, c'est important pour les gens de Cap-Pelé» (un élève de quatrième année).

Le facteur de la gravité du problème n'a été identifié que dans le groupe des pêcheurs, mais il a été exprimé par tous ces travailleurs de la mer. En effet, durant leur formation pédagogique, ces derniers ont appris à reconnaître une relation de cause à effet entre l'état détérioré des ruisseaux, des marais côtiers et la diminution des ressources de la pêche. L'un d'eux explique ses inquiétudes de la façon suivante: «On pouvait pêcher les coques. Elles sont contaminées. Toute la chaîne alimentaire est affectée!»

Les facteurs d'action à caractère pédagogique

Le tableau 2 donne un aperçu des activités pédagogiques que, dans leur désir d'engagement face à l'environnement, les acteurs ont rapportées comme des sources de motivation. Tel que cela a été mentionné précédemment, ce tableau ne comporte aucun chiffre puisque les formations offertes aux quatre groupes sont différentes. Il s'avère toutefois intéressant de remarquer que le contact visuel avec le problème environnemental, que ce soit un contact direct ou par vidéo, a été un important facteur dans la décision d'agir de trois des groupes sociaux. Des propos tels que ceux-ci ont été recueillis: «Quand on a été voir le ruisseau, on a vu qu'il était pollué par de gros morceaux de bois... J'ai eu envie de le faire mieux, de l'aider, d'enlever ce qui est dedans» (un élève de septième année); «Je ne savais pas que le ruisseau était si sale. Le vidéo m'a influencé beaucoup» (un pêcheur). De la même façon, la dissonance cognitive utilisée auprès des élèves de quatrième année semble avoir exercé un impact décisif: «Moi, je croyais que j'allais voir des grenouilles et des petits poissons. Quand j'ai vu l'état du ruisseau, je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose.»

La transmission de connaissances environnementales est un facteur d'influence qui a été identifié par plusieurs individus et dans tous les groupes sociaux. Les acteurs ont expliqué que cette intervention pédagogique les avait intéressés et aidés à mieux comprendre ou à «sortir de leur ignorance» face au problème. De même, dans la classe de septième année, l'emploi d'une histoire à succès semble avoir renforcé le sentiment de pouvoir agir: «C'est ce conte qui m'a fait me décider. Je me suis dit que, nous aussi, on pouvait s'en mêler.» Quant aux Chevaliers de Colomb, ils ont été touchés et amusés par les activités sensorielles: «Ce qui m'a impressionné, c'est chaque bruit des branches qui craquaient et le ruisseau qui coulait. C'était intéressant et j'ai eu envie de m'impliquer.» Finalement, les élèves de quatrième année ont dit avoir été très encouragés par l'accomplissement de leur première action: «On peut le faire! C'est amusant et on l'a déjà fait.»

Tableau 2

Facteurs pédagogiques qui ont incité les groupes à l'action environnementale

Facteurs pédagogiques qui ont incité les groupes à l'action environnementale

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Ainsi, malgré la diversité des interventions pédagogiques vécues, l'aspect «connaissance concrète de la présence du problème sur le terrain» semble avoir exercé une influence déterminante sur la décision d'agir des groupes sociaux. De même, l'ajout d'informations au sujet des caractéristiques, des causes et des conséquences des problèmes observés est apparu comme un facteur crucial de motivation à agir.

Discussion et conclusion

Les facteurs socioculturels et pédagogiques qui ont incité les quatre groupes de Cap-Pelé à amorcer une action environnementale sont très diversifiés. Ils pourraient être regroupés comme suit:

  • facteurs reliés au pouvoir agir: emploi des histoires à succès, accomplissement d'une première action, impression de réussite si en groupe, projet réalisable, disponibilité;

  • facteurs liés à l'habitude d'agir: actions communautaires préalables, sens de la solidarité, valeurs religieuses;

  • facteurs liés à la connaissance du besoin d'agir: informations fournies, constatation visuelle du problème, emploi de la dissonance cognitive;

  • facteurs reliés à l'agir des autres: influence des leaders, présence d'amis dans le projet, pression sociale;

  • facteurs personnels et affectifs: attachement à la nature et aux gens, emploi de l'approche sensorielle, responsabilité environnementale, récompenses personnelles consécutives à l'action, conscience de l'avenir, valeurs esthétiques, problème perçu comme grave, crainte pour la santé, intérêt personnel pour le projet d'action.

La théorie de l'action raisonnée, telle qu'elle est appliquée en éducation relative en environnement par Fishbein et Manfredo (1992), permet d'effectuer une seconde analyse des résultats obtenus ici. Cette théorie s'appuie sur le postulat suivant: les êtres humains sont des êtres raisonnables qui utilisent systématiquement l'information qui leur est fournie. Ils décident d'adopter un comportement en fonction de deux déterminants: leur attitude personnelle face au comportement proposé (déterminant personnel) et leur perception des pressions sociales exercées pour l'accomplissement dudit comportement (déterminant social). Un individu aura tendance à adopter un comportement si les deux conditions sont présentes: s'il croit que le comportement va lui procurer des conséquences positives et si ces conséquences sont importantes pour lui; s'il estime que ses concitoyens considèrent qu'il doit accomplir le geste en question et s'il est motivé à se conformer aux normes sociales. Ainsi, on remarque, dans les résultats obtenus à Cap-Pelé, la place prépondérante qu'occupent les déterminants personnels: l'attachement au milieu, les récompenses personnelles attendues à la suite de l'action, la connaissance personnelle du problème, l'accomplissement d'actions communautaires préalables, etc. C'est peut-être cette présence importante de déterminants personnels qui a favorisé l'émergence rapide et généralisée du désir d'action chez les groupes participants.

Par contre, certains déterminants de nature sociale (influence des leaders, présence d'amis dans le projet et pression sociale) étaient moins présents dans les réponses des acteurs. Cette place moins importante, relevée dans les résultats par les déterminants sociaux, nous incite à nous interroger sur la présence de normes sociales en faveur de l'action environnementale dans le village de Cap-Pelé. En effet, pour ce qui est de la réalisation concrète de l'action environnementale sur le terrain, le degré de participation des groupes a été excellent lors d'une première journée. Ainsi, les Chevaliers de Colomb ont offert leur collaboration lors de la «Journée de l'arbre» qu'ils ont eux-mêmes organisée, journée durant laquelle des milliers d'arbres ont été vendus à prix modique aux habitants du village. De même, les pêcheurs et les élèves de quatrième et de septième année ont travaillé très fort, lors d'une première corvée, à nettoyer et à débloquer le ruisseau Friel sur une distance d'un kilomètre. Toutefois, au cours d'une deuxième journée consacrée à la restauration du ruisseau, seuls quelques pêcheurs mais aucun élève de septième année invités à cette rencontre se sont présentés sur le terrain. Il faut dire que cette deuxième journée pour le ruisseau s'est déroulée au mois de juillet, c'est-à-dire au moment des vacances des élèves et à une période importante pour la pêche au maquereau.

À la lumière de l'interprétation des résultats faite selon la théorie de l'action raisonnée (Fishbein et Manfredo, 1992), nous pouvons formuler l'hypothèse que le désir d'action environnementale peut facilement être suscité, à l'aide de moyens pédagogiques variés et de courte durée, dans un village à tradition coopérative tel que Cap-Pelé. Toutefois, la conviction et la régularité d'accomplissement reliées au comportement d'action environnementale devront faire l'objet d'autres interventions pédagogiques. Ces interventions pourraient avoir comme cible le développement de normes sociales en faveur de l'accomplissement d'actions environnementales. Il faudrait donc promouvoir, dans la population en général, la valeur accordée au comportement cible, c'est-à-dire l'implication dans la restauration des écosystèmes biorégionaux. Une connaissance plus généralisée des problématiques environnementales locales favoriserait davantage cette promotion sociale du comportement d'action environnementale.

À ce sujet, les chercheurs ont entrepris des mesures pour vérifier la présence, dans la population en général, d'une conscience des problèmes environnementaux ambiants et d'un désir de participation. Une enquête menée dans ce village par Boubacar (1998) a permis de relever, chez les groupes déjà impliqués dans la recherche et chez d'autres individus, un manque important de connaissance des principaux problèmes ainsi qu'une interrogation marquée quant à leur capacité de s'investir personnellement dans la résolution de ces problèmes. Pour faire face à la situation, les intervenants prévoient la planification et la réalisation d'autres interventions pédagogiques. L'une de ces interventions consiste dans la planification collaborative, avec les gens du village, d'un site interactif, disponible sur Internet, où les citoyens pourront trouver des informations au sujet de l'état des ressources de leur milieu, des suggestions au sujet des moyens d'aménagement possibles, des outils de communication intergroupe, des vidéos incitatifs démontrant les actions déjà entreprises, etc. Les chercheurs estiment que ce site pourra influencer les normes sociales favorables à l'environnement en généralisant la prise de conscience des controverses environnementales, en favorisant l'émergence de nouveaux leaders, en offrant la promotion des événements et des gens associés au projet et en augmentant l'identité communautaire et la cohésion sociale. Une autre stratégie pédagogique, soit la méthode accélérée de recherche participative (Chambers, 1994), sera aussi mise à profit auprès des groupes sociaux dans le but de parfaire leur conscientisation à la situation environnementale et de favoriser leur engagement. Cette méthode, fréquemment employée dans les pays en voie de développement, consiste d'abord en des techniques d'exploration et d'échange pour mieux connaître le milieu. Les groupes visitent les différents sites de leur village et ils illustrent leurs connaissances endogènes à l'aide de cartes, de graphiques, de diagrammes, etc. Une discussion suit la démarche qui se termine par le choix et l'accomplissement d'actions environnementales.

En définitive, sur le plan scientifique, cette recherche apporte des indications concernant les facteurs d'influence de l'action environnementale dans les petites communautés. L'action environnementale semble d'abord facile à stimuler, mais plus difficile à maintenir. Certains facteurs paraisssent déterminants, tels que la connaissance concrète et visuelle du problème, l'impression de la réalisabilité de la tâche, l'importance de l'information, le sens de la solidarité sociale et l'attente de récompenses personnelles consécutives à l'action. Par contre, d'autres facteurs paraissent davantage associés à des groupes ou à des intérêts particuliers: le sens esthétique (les Chevaliers), les conséquences économiques des problèmes (les pêcheurs) et l'intérêt personnel pour le projet d'action (le désir d'aller sur le terrain, pour les élèves). D'autres recherches seront toutefois nécessaires pour renforcer la validité des résultats présentés.