Cet ouvrage synthétique d’Annette Boudreau a le grand mérite de faire le point sur la question de l’insécurité linguistique et d’en expliquer les tenants et les aboutissants à des publics différents : les linguistes y trouveront un panorama complet de la question, les étudiants une introduction claire et les locuteurs de langues en contexte minoritaire des outils pour mieux comprendre leur vécu. Tout d’abord, Boudreau insère la question de l’insécurité linguistique dans le sillage des études sociolinguistiques, en partant des travaux de William Labov dans les années soixante-dix, puis en mentionnant la réflexion de Pierre Bourdieu sur la langue et le marché linguistique, celle de Louis-Jean Calvet sur l’écologie des langues, pour en arriver à la contribution de Michel Francard à la légitimation du français de Belgique et, plus généralement, des français périphériques. Les chercheurs belges ont en effet grandement contribué à l’analyse et à la légitimation du concept d’insécurité linguistique, notamment lors des trois colloques qui ont été organisés à Louvain dans les années 1990 et qui ont constitué l’assise scientifique d’une réflexion sur le sujet. L’autrice se penche ensuite sur les rapports entre francophonie et insécurité linguistique, puisque la francophonie est un « terreau de l’insécurité linguistique » (p. 21) à cause de l’idéologie unitariste au sein de laquelle les locuteurs des zones périphériques « ont souvent développé des représentations qui les font douter de leur compétence linguistique » (p. 21), ce doute étant renforcé par la glottophobie (Blanchet, 2016) et pouvant provoquer un sentiment de honte qui mène, dans les cas les plus extrêmes, au silence. Puisque Boudreau écrit d’un lieu particulier de la francophonie, l’Acadie, les exemples se réfèrent souvent à la situation canadienne, québécoise et acadienne. Voilà pourquoi l’autrice aborde la question de la diglossie et montre comment les milieux diglossiques favorisent l’apparition de l’insécurité linguistique à cause d’une hyperconsience linguistique et du sentiment, de la part des locutrices et locuteurs qui y vivent, que leur langue constitue une variété impure par rapport à la norme exogène. Un chapitre est ensuite consacré aux rapports entre les idéologies linguistiques et l’insécurité linguistique : Boudreau y fait une liste (bien sûr non exhaustive) de ces idéologies, parmi lesquelles on compte celles du bilinguisme, du monolinguisme, de la non-langue, du standard, du dialecte et de l’authentique, et elle se pose une question très intéressante, à savoir : « à partir de quand une idée devient une idéologie? » (p. 47). Pour répondre à cette question, Boudreau revient à l’exemple de la francophonie afin de montrer comment les représentations de la langue sont toujours idéologiques et ont des répercussions bien réelles sur le vécu des communautés et des locutrices et locuteurs. Les deux derniers chapitres sont enfin consacrés à la définition du locuteur francophone et à la difficulté de le définir, ainsi qu’à l’insécurité linguistique au Canada, ce qui permet à Boudreau de revenir de manière réflexive sur son expérience personnelle à la fois de locutrice et de sociolinguiste. Le chapitre 6 se penche sur la question de la légitimité de se dire francophone en partant d’une brève histoire de la langue française, qui se concentre surtout sur les représentations qui l’ont concernée au fil du temps. En effet, ainsi que l’écrit Klinkenberg (2001), les francophones ne sont pas tous pareils et certains sont plus affectés par l’insécurité linguistique, notamment ceux qui se trouvent en situation de minorisation. Boudreau reprend ici la typologie de Calvet (1999), qui identifie plusieurs types d’insécurité linguistique : statutaire, formelle et identitaire. Le dernier chapitre choisit le Canada comme exemple concret en illustrant les rapports entre les francophones du Québec et « les …
Parties annexes
Bibliographie
- Blanchet, Philippe, 2016 Discriminations : combattre la glottophobie, Paris, Textuel.
- Calvet, Louis-Jean, 1999 Pour une écologie des langues du monde, Paris, Plon.
- Klinkenberg, Jean-Marie, 2001 La langue et le citoyen : Pour une autre politique de la langue française. Paris : Presses Universitaires de France.