Je suis née à Montréal dans une famille ouverte sur le plan intellectuel et politique et qui se définissait comme « canadienne-française » avant que l’on adopte l’identité québécoise. Mon père, notaire de profession, gardait vive la mémoire ancestrale, celle des luttes historiques des Canadiens français et vivait fort mal la discrimination exercée contre eux par les anglophones. Cette situation était l’objet de constantes discussions. Ma mère, Annette Maillet, femme au foyer, provenait de la lignée des écrivaines Adrienne Maillet et Andrée Maillet. J’ai vécu l’époque où nos mères ne pouvaient que s’exprimer laborieusement en anglais dans les commerces anglophones et où l’on se faisait invectiver dans la rue par un « speak white » (ce fut mon cas). Élevée chez les religieuses, je fus mise à la porte du Collège Basile-Moreau en rhétorique – pour comportement de « forte tête » – (1958) par Soeur Marie Laurent de Rome, rectrice, qu’on allait retrouver par la suite comme membre de la Commission Parent. Une « forte tête » signifiait à l’époque poser trop de questions, ce qui n’était pas encouragé. J’ai donc dû terminer les deux années de philosophie à l’Université de Montréal pour obtenir le baccalauréat. Puis de 1960 à 1964, j’ai vécu à Paris lors d’une période marquée par la guerre d’Algérie et les luttes anticolonialistes dans le monde. Je suis alors « mère au foyer », mon compagnon étudiant au doctorat, mais j’obtiens un certificat en égyptologie. Mon expérience à Paris, ce côtoiement de diverses nationalités issues de contrées lointaines, m’a captivée et la force de l’idéologie assimilationniste à la française m’a fait pressentir la situation particulière de la question nationale québécoise au sein de la fédération canadienne. Un intérêt que je ne cesserai d’approfondir. À mon retour, je m’inscris en anthropologie dans un département où la pensée de gauche est en pleine effervescence sous l’influence des professeurs Rémi Savard et Pierre Beaucage. Après diverses bourses, charges de cours et assistanats de recherche, entre autres auprès des sociologues Marcel Rioux et Robert Sévigny, j’obtiens mon doctorat en 1975, puis intègre le département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) en 1976. Mon fils unique Patrice décède deux ans plus tard à la suite d’un accident causé par un homme en état d’ébriété. Je prends ma retraite en 2014. L’enquête-terrain étant requise aux études avancées, j’ai vécu en Haïti en 1971-1972, avec mon fils, où j’ai mené des dizaines d’entrevues auprès d’Haïtiens de la bourgeoisie à la paysannerie. Patrice fréquentait alors le Collège Bird à Port-au-Prince où il fut l’objet de railleries en tant que « petit Blanc ». Pendant ce séjour, j’ai observé l’impact de l’esclavage lié au commerce triangulaire sur la question de la couleur, ainsi que le rôle de l’idéologie noiriste du régime dictatorial des Duvaliers. Dès cette époque, je saisis que la « race » est un signifiant qui renvoie à différents signifiés et se décline de façon variable selon les classes sociales et selon les sociétés. Ma recherche me vaudra d’être expulsée manu militari par des militaires macoutes, lors d’un bref retour en Haïti, après la soutenance de ma thèse de doctorat (Labelle, 1978). Au cours de l’interrogatoire me menant à l’aéroport, le chef macoute se gaussant du fait qu’il avait étudié à la Faculté d’ethnologie de Port-au-Prince, m’a demandé de comparer les organes sexuels des Haïtiens et des Africains. Je comprends alors, pour le reste de ma vie, pourquoi Immanuel Wallerstein écrira que le racisme et le sexisme font partie intégrante de la géoculture du système monde. De ce fait, ce sont les rapports de pouvoir et les …
Parties annexes
Bibliographie
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