FR :
Les expressions « retour d’Europe » et « retour d’Amérique » forment des personnages symboliques propres à l’histoire culturelle du Québec. Conséquence de l’intensification des relations universitaires entre le Québec et le reste du monde durant la première moitié du 20e siècle, elles désignent les étudiants canadiens francophones ayant séjourné sur le continent européen, surtout à Paris, ou encore aux États-Unis, sur ses campus, dans le cadre de voyages d’études, et qui sont par la suite revenus au pays. S’ils s’inscrivent dans l’espace, ces voyageurs lettrés s’inscrivent simultanément dans la culture et la hiérarchie sociale. Immergés dans l’intensité, l’abondance et la puissance – symbolique, culturelle et intellectuelle – des « grandes nations », ces étudiants se sont trouvés pris d’un malaise, sinon d’un vertige. C’est qu’en se mirant dans le miroir rapetissant des grandes villes et des institutions de haute culture, le retour d’Europe ou d’Amérique prend la mesure des lacunes et des insuffisances de sa culture d’appartenance dont la grandeur lui apparaît aussitôt inatteignable, sinon radicalement étrangère. Le choc, ressenti à l’aller comme au retour, se réfracte différemment dans les trajectoires, confinant tantôt au sentiment d’infériorité culturelle, tantôt au dégoût de soi, tantôt au désir de changement et d’amélioration. Dans cet article, nous nous proposons d’explorer les figures – comparables mais non assimilables – du retour d’Europe et du retour d’Amérique en tant qu’elles ont cristallisé, au Québec, un mode d’être au monde qui est caractéristique des nations dites « petites ». Par-delà les expériences singulières qu’ils recouvrent, et dont nous livrons certains exemples, les « retours » s’appréhendent en effet comme des expériences subjectives et concrètes de la marge et de l’excentrement à travers lesquelles s’éprouve la réalité d’un arrimage souvent difficile, sinon parfois conflictuel, de la petite nation avec l’universel.
EN :
The expressions “return from Europe” and “return from the United States” are tropes in Quebec’s cultural history. A consequence of the intensification of Quebec universities’ relations with those of the rest of the world during the first half of the 20th century, they refer to French-speaking Canadian students who had spent time on campuses in Europe, especially in Paris, or the United States as part of their student travels and who subsequently returned to their homeland. As these literate travelers traversed land and space, they also left their marks on their culture and social hierarchy. Immersed in the intensity, abundance and power—symbolic, cultural and intellectual—of “great nations,” many of these students found themselves gripped by a sense of unease, if not vertigo. Reflecting themselves in the vanishing mirror of major cities and institutions of high culture, those returning from Europe or the United States became conscious of the shortcomings and inadequacies of their own culture, whose grandeur then appeared lackluster or radically foreign. The shock, perceived upon both leaving on and returning from the journey, manifested differently in the trajectories of each individual, leading to a feeling of cultural inferiority for some, to self-loathing for others and to a desire for change and improvement for others still. In this article, we propose to explore the experiences—comparable but not assimilable—of the returns from Europe or the United States insofar as they have crystallized, in Quebec, into a mode of being in the world that is characteristic of so-called small nations. Beyond the singular experiences they encompass, some of which will be described, “returns” can be understood as subjective and concrete experiences of marginality and eccentricity through which the reality of an often difficult, if not conflicting, alignment of the small nation with the universal is experienced.