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La spécialiste de l’histoire religieuse du Québec Dominique Marquis nous offre une étude sur un des personnages les plus connus de l’ultramontanisme canadien-français : Jules-Paul Tardivel (1851-1905). Cependant, il y a un paradoxe dans cette affirmation, puisque Tardivel n’a jamais bénéficié d’un soutien populaire important, tout au long de sa vie professionnelle. C’est là un point central du livre : Tardivel nageait à contre-courant de son époque et son discours n’avait pas beaucoup d’écho : « Il aura été un des derniers défenseurs d’une cause à laquelle même l’Église n’accorde plus la même attention » (p. 228). Malgré ses échecs professionnels et personnels, on peut se demander : « Qu’est-ce qui l’anime? Pourquoi poursuit-il une lutte que même les évêques ne semblent plus vouloir mener? Quel homme est-il pour s’entêter de cette manière? » (p. 17) Voilà les questions que l’historienne nous invite à approfondir. Le livre comprend quatre chapitres : 1) « Tenir un siège et protéger l’Église canadienne des assauts des ennemis »; 2) « Une oeuvre difficile à soutenir »; 3) « Faire la guerre aux francs-maçons »; 4) « Un homme passionné ».

Dans le premier chapitre, la bataille contre le libéralisme et le désordre moral qui en découle est la trame de fond. La pensée ultramontaine et conservatrice de Tardivel se résume ainsi : « S’il reconnaît l’utilité des progrès techniques, notamment en matière de transport et d’agriculture, à ses yeux, le progrès dit sociopolitique ou moral ne peut mener qu’au chaos et au désordre » (p. 35). On apprend qu’il ne lâche pas le morceau dans le dossier du morcellement du diocèse de Trois-Rivières, malgré le fait que Mgr Laflèche lui ait dit de ne pas nuire aux intérêts supérieurs de l’Église (p. 56). Sur la question des écoles, Tardivel est catégorique : « Les droits de l’Église et de la famille en matière d’instruction priment sur les droits de l’État » (p. 61). En ce qui concerne Louis Riel, le fait que ce dernier soit français et catholique lui a valu l’échafaud et il ne fait pas de doute que c’est la faute des orangistes et/ou des francs-maçons (p. 74). La question morale est donc au coeur de son combat et Tardivel n’épargne personne.

Dans le deuxième chapitre, il est question des difficultés financières de Tardivel, puisque son journal n’était pas très rentable. Malgré son souci de subvenir aux besoins de sa famille, il est tiraillé entre ce devoir et les demandes de ses amis et donateurs de poursuivre son oeuvre, lesquelles prennent « des allures de boulets aux pieds » (p. 97). Cependant, son obstination personnelle lui vaut aussi des ennuis (Ibid.). L’abandon par son imprimeur L. Drouin et Frère après que Tardivel a torpillé le gouvernement Mercier est aussi un dur coup qui amène ses filles à prendre à leur charge le bon fonctionnement du journal. On découvre aussi un homme qui ne se gênait pas de critiquer les évêques, ce qui n’aide pas sa cause non plus.

Bien que Tardivel critique même les personnes qui semblent être dans son camp, ses plus grands ennemis restent les francs-maçons. Le troisième chapitre traite de cette haine « quasi légendaire » (p. 129). N’importe quel évènement politique et social qui ne fait pas l’affaire de Tardivel est soupçonné d’être le produit des francs-maçons. En s’inspirant de l’encyclique de Leon XIII Humanum Genus, le journaliste de combat tient tête et polémique avec les membres du haut clergé. Tardivel voue son « roman chrétien de combat » (p. 145) Pour la patrie : roman du XXe siècle à combattre les éléments maçonnique et satanique (Ibid.). Le chapitre finit avec l’affaire Diana Vaughan, ce personnage imaginé par l’ex-franc-maçon Léo Taxil et qui « était sa réponse à Humanum Genus et au pape » (p. 164-165). Malgré cette humiliation, les convictions de Tardivel ne seront pas ébranlées.

Dans le dernier chapitre, l’autrice s’intéresse à Tardivel « le gestionnaire » (p. 171). Son verdict est sans appel : « il n’est pas un homme d’affaires, mais il est un homme passionné et il s’entête à lancer des projets qui sont pratiquement voués à l’échec dès leur conception » (p. 214). Les placements de publicité dans son journal ont disparu, malgré les revenus qu’ils procuraient, puisque Tardivel voulait vivre de ses abonnements seulement (p. 181). Non seulement il n’a pas la fibre gestionnaire, mais ses projets d’écriture ne trouvent pas d’écho dans le public, « puisqu’à la fin du 19e siècle les idées véhiculées par ses ouvrages ne sont vraiment plus à l’ordre du jour; elles n’interpellent qu’une petite partie de la population » (p. 214).

Cet ouvrage a le mérite de plonger dans la vie privée de Tardivel et de proposer des explications de ses agissements publics, à la lumière de nouvelles sources. Nous comprenons mieux son entêtement et sa foi inébranlable en ses projets. Tardivel était passionné et avait une foi peu commune, même pour l’époque, mais ses agissements s’expliquent aussi par les sollicitations et demandes de ses amis et collaborateurs. Se dégage du livre un portrait nuancé d’une époque souvent assimilée à la « survivance ». Marquis nous fait découvrir que des débats ont existé au sein même de l’Église et que la population n’a peut-être pas été aussi réceptive qu’on le pense aux idées promulguées par certains membres du clergé.