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C’est une véritable synthèse des questions d’aménagement, de développement et d’environnement au Québec, pour reprendre le titre de l’ouvrage du géographe et spécialiste en développement territorial Clermont Dugas, que ce dernier a entreprise. Le défi était de taille, mais la longue expérience de recherche universitaire de l’auteur sur ces sujets lui a permis de le relever avec substance et pertinence.

Par-delà les différents chapitres du volume, s’il y a une idée qui les traverse tous, c’est bien celle des disparités territoriales et sociales au Québec, et l’incapacité des nombreuses politiques territoriales depuis les années 1960 à empêcher l’écart croissant de ce point de vue entre ses deux régions métropolitaines (Montréal et Québec) et le reste du Québec, d’une part, et la décroissance de ses régions périphériques, d’autre part. Le triangle Québec-Montréal-Sherbrooke comprend au moins 75 % de la population provinciale et compte 44 des 52 villes de 20 000 habitants et plus ainsi que 8 des 10 villes de plus de 100 000 habitants. En 2016, comme dans les 25 années précédentes, les localités rurales ayant une population inférieure à 1 500 habitants en dehors des zones périurbaines démontraient une très grande fragilité sur le plan démographique.

La démarche intellectuelle de l’auteur est systématique. Après avoir examiné le territoire du Québec et son peuplement sous ses différentes facettes démographiques, économiques et institutionnelles dans une première partie, il s’emploie dans une deuxième partie à démontrer pourquoi les disparités territoriales et sociales sur le territoire national constituent un problème. Puis, dans les troisième, quatrième et cinquième parties, il s’emploie à faire un examen relativement exhaustif des interventions gouvernementales au fil des cinq dernières décennies, interventions qui sont au croisement des questions d’aménagement, de développement et d’environnement.

En matière de développement, il considère que le gouvernement a joué le rôle d’accompagnateur et parfois le rôle de sauveteur dans les démarches de développement local pour maintenir et améliorer les milieux de vie en assurant les services de base. Il constate toutefois que bien des territoires ruraux et, plus encore, les régions périphériques ont beaucoup de difficulté à faire entrer leurs entreprises locales dans la compétition mondiale. Tout en reconnaissant l’apport de l’économie sociale pour améliorer les conditions socio-économiques des milieux et des classes les plus désavantagées, celle-ci s’est avérée incapable à elle seule de freiner le déclin du nombre de petites municipalités rurales. L’auteur n’en est pas moins critique du concept de développement durable qui, malgré sa richesse, son contenu positif et ses objectifs qu’on ne peut que soutenir, génère peu de projets concrets luttant contre la pauvreté et les disparités.

Dans la quatrième partie de l’ouvrage, un examen minutieux est fait des progrès du Québec en matière d’aménagement du territoire depuis l’édiction de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme en 1979 et la mise en place des différents outils de gouvernance (Municipalités régionales de comté – MRC) et de planification territoriale (Schéma d’aménagement et de développement, Plans d’urbanisme et règlement de zonage) qu’elle a entraînée. La prépondérance de la dimension physico-spatiale et l’importance accordée à la dimension esthétique dans les pratiques de l’aménagement sont des aspects soulignés par l’auteur. C’est toutefois pour la Loi sur la protection du territoire agricole édictée en 1978 et renommée en 1996 Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles que les critiques les plus percutantes sont assénées dans la cinquième. Manque d’ajustement de la loi aux nouvelles réalités du monde rural et du secteur agricole, débordement du rôle de la Commission de la protection du territoire agricole (CPTAQ) sur des questions d’aménagement et de développement du territoire qui ne relèvent pas de son mandat, grande imprécision de nombreux articles de la loi et définitions inappropriées touchant particulièrement à la délimitation de la zone agricole sont parmi les principaux griefs soulevés.

C’est dans la sixième et dernière partie de l’ouvrage que l’auteur passe de l’analyse critique à la prescription. Pour lui, le Québec doit se diriger vers de nouvelles pratiques d’aménagement et de développement territoriaux. Les politiques territoriales déployées depuis près de 50 ans, y compris la Politique nationale de la ruralité édictée en 2001, n’ont pas réussi à arrêter le déclin des périphéries et de bien des milieux ruraux. Certes, elles ont amélioré la gestion du territoire québécois de façon significative; elles ont contribué en général à l’amélioration des milieux de vie et de leur développement, mais elles ont failli dans la lutte à l’accroissement des disparités. Selon l’auteur, les pistes d’intervention sont nombreuses, les opportunités de développement aussi. Les milieux ruraux peuvent profiter de l’économie résidentielle, mais ils devraient aussi pouvoir compter sur de nouveaux usages dans la zone agricole permettant, notamment, l’exploitation de petites fermes et des pratiques agricoles innovantes reliées aux spécificités régionales. Les innovations territoriales, qu’elles soient technologiques, sociales ou institutionnelles, impulsées par une approche endogène, ne seront toutefois pas suffisantes. Les milieux ruraux et les milieux périphériques ont besoin également d’un État plus interventionniste qui viendra renforcer la structure urbaine des régions périphériques par des interventions ciblées sur les petites et moyennes villes qui structurent leur peuplement, mais aussi auprès des centres de services. En 2016, il y avait environ 150 de ces centres qui regroupaient 482 000 habitants. Ce sont de petites villes ou des localités rurales dont la population varie de 2 500 à 5 000 habitants. Comme le préconise l’auteur, ces centres devraient aussi voir augmenter leurs secteurs de la production, de la transformation et des services, en particulier leurs services supérieurs et spécialisés.

Cette vision de l’occupation du territoire québécois est-elle bien comprise et partagée dans la société québécoise? Une telle vision cherchant à contrecarrer les forces globales menant à une polarisation toujours plus grande du développement et à une décroissance de nombreux territoires périphériques et ruraux peut-elle se réaliser? Rien n’est moins sûr, mais l’ouvrage de Dugas a à tout le moins le mérite de la proposer et de bien l’articuler.