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Dans son avant-propos, Marie Bouchard, sociologue de formation et professeure titulaire au Département d’organisation et ressources humaines de l’UQAM, précise que cet ouvrage fut conçu à partir de longues conversations sur une période de deux ans avec le sociologue Benoit Lévesque. Ce dernier ayant commencé sa carrière de professeur régulier à l’UQAR a vécu l’essentiel de son expérience professionnelle au sein du Département de sociologie de l’institution où oeuvre sa collègue. Lévesque présente sa carte d’identité en affirmant faire partie « (…) d’une cohorte de sociologues engagés qui s’intéressent davantage aux mouvements sociaux et à leurs initiatives en vue d’une société en reconstruction qui serait plus démocratique… » (p. 329). Il dit appartenir « (…) à une génération de sociologues qui s’est investie dans la recherche avec la préoccupation du transfert des connaissances vers des acteurs sociaux organisés » (p. 319).
Co-fondateur de ce qui deviendra le Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), ses états de service ont été reconnus, entre autres distinctions, par le prix Marie-André-Bertrand (géographe à l’UdeM). Alors qu’il poursuit des études en sociologie des religions à l’Université de Sherbrooke, sa rencontre en 1971 avec Henri Desroche, alors professeur invité, sera déterminante. Le directeur du Collège coopératif à Paris lui propose alors de devenir son directeur d’études doctorales.
Il développe par la suite un intérêt pour le développement régional à l’UQAR (1975-1982) avant de passer à la sociologie économique à l’UQAM (1982-2004). Lévesque a puisé une inspiration dans la théorie de la régulation qui venait d’émerger à Paris sous l’instigation, entre autres, de M. Aglietta, R. Boyer et A. Lipietz. Cette nouvelle orientation intellectuelle lui permettra de faire sa niche à l’UQAM. C’est l’époque où, selon C. Saint-Pierre, la sociologie « (…) semble être mal dans sa peau depuis une dizaine d’années (…) à la recherche d’elle-même » (p. 60).
Dans ce contexte, Lévesque aura pour défi de participer aux débats en cours en repensant les approches théoriques et méthodologiques susceptibles de conduire à l’exploration de nouveaux terrains. Ici, il se veut reconnaissant envers Fernand Dumont dont la thèse La dialectique de l’objet économique a servi de stimulant pour le guider vers Max Weber. Il comprendra que la sociologie économique rejoint les économistes hétérodoxes en se référant cette fois à Karl Polanyi pour qui l’État doit intervenir afin de réguler le mécanisme du marché. La voie fut ainsi tracée pour celui qui se considère un des premiers à s’inscrire explicitement dans l’approche d’une « nouvelle sociologie économique » (p. 65).
Avec le chapitre Une retraite active qui se poursuit depuis 2004, on comprend que celle-ci a été préparée longtemps à l’avance. « Le travail demeure pour moi une vocation quasi religieuse », affirme-t-il (p. 92). Lévesque parle ici de philanthropie et de son implication dans l’institut Maillet. Nul doute que ceux qui oeuvraient au sein de cet organisme dédié à la culture philanthropique y trouveront leur intérêt.
La crise économique des années 1980 oblige Lévesque, en collaboration avec son regretté collègue Paul R. Bélanger, à considérer un repositionnement stratégique en matière de recherche. Ils eurent l’audace d’opter en faveur de l’innovation sociale dans une perspective de transformation. Il est question ici d’initiatives témoignant d’une double préoccupation : la production d’outils théoriques et méthodologiques et une production de nature à favoriser le changement social. Dans leurs travaux, les chercheurs du CRISES mettent en évidence quatre domaines d’innovation sociale : les rapports de production, les rapports de consommation, les rapports entre entreprises et les nouvelles formes de gouvernance.
Le mot « solidaire » s’ajoute au concept de l’innovation sociale. Lévesque voit ainsi un renouvellement du modèle de développement. Un chapitre très descriptif en témoigne. Dans un évident souci de rendre à chacun le mérite qui lui revient, il rend hommage à Nancy Neatam qui connaîtra son heure de gloire lors du sommet socio-économique de l’automne 1996. Pour répondre à la question de M. Bouchard sur ce qui caractérise l’économie sociale au Québec, les exemples abondent. Aux dires de Lévesque trois organismes sont « exemplaires » : les CPE; la Société de développement Angus; Fondaction CSN (p. 180). On admettra l’importance de ces réalisations.
En se trouvant plongé dans l’histoire du Québec contemporain (1960-1980), le lecteur découvre la première génération du modèle québécois. Les moins de 50 ans tireront un grand profit des descriptions fournies. Quant à leurs ainés, non seulement un rafraichissement de mémoire leur fera grand bien, mais ils gagneront à connaître de menus détails que la lecture quotidienne du Devoir ne leur a pas permis de bien saisir. Pour Lévesque, tout commence par l’avènement au pouvoir de « L’équipe du tonnerre » de Jean Lesage. S’il insiste beaucoup sur les changements institutionnels mis en place dans les années 1960-70, le sociologue occulte totalement la désaffectation de la population envers l’Église et la libération sexuelle.
La deuxième génération du modèle québécois s’étendra sur 23 ans à partir de 1980. Avec l’arrivée du PLQ au pouvoir, l’État deviendra partenaire, voire accompagnateur. La voie vers le néolibéralisme que suivront les gouvernements Charest et Couillard se trouve tracée. Très bien documenté, comme le prouvent les 26 pages de la bibliographie, Lévesque ne se prive pas, à sa façon, de blâmer le gouvernement pour son parti pris idéologique. Mais, avant d’y arriver, quitte à s’éloigner de l’économie sociale, il s’étend sur le rôle des grandes institutions telles Investissement Québec ou la Société générale de financement, sans oublier une panoplie de sociétés d’État aujourd’hui disparues. Ce à quoi s’ajoutent le Fonds de solidarité FTQ, les sociétés Inovatech, la SODEC, la Cité du Multimédia, les Centres collégiaux de transfert de technologie, etc. Le tout est décrit sans un regard critique.
La rupture avec le « nationalisme économique et la concertation » fait l’objet de l’avant-dernier chapitre. Alors que Margaret Thatcher – pour qui la société n’existait pas – avait pour bible La route de la servitude de Friedrich Hayek, plusieurs apprendront que pour Philippe Couillard la bible c’était The Fourth Revolution de J. Micklethwait et A. Wooldridge. Selon ces penseurs, il faut aller au-delà du néolibéralisme en réduisant davantage la taille de l’État. On comprend que Lévesque préfère s’étendre sur la Loi visant à vaincre la pauvreté et l’exclusion sociale adoptée par le gouvernement du PQ.
Le dernier chapitre, Un engagement pluriel : de la sociologie de l’engagement à une sociologie engagée, s’adresse avant tout aux sociologues. Finies les longues descriptions des différentes administrations gouvernementales et des organismes qui s’y greffent. Il n’allait pas rater l’occasion de montrer sa nature de sociologue en ne cachant pas à quelle enseigne il loge. Pour ce faire, il se rapporte en premier lieu aux oeuvres de trois célèbres sociologues de notre ex-mère patrie : Foucault, Bourdieu, et Touraine.
En se référant à Alain Caillé, Lévesque souligne que la sociologie doit respecter quatre impératifs : l’empirisme; l’explicatif; le compréhensif; le normatif. La description de l’affrontement entre Touraine et Bourdieu à la fin de 1995 intéressera les lecteurs qui connaissent l’oeuvre des deux protagonistes. Pour Lévesque, le débat s’est terminé par une demi-victoire de part et d’autre (p. 323). La sociologie de Bourdieu est vue ici comme étant constructiviste et structurale. Celui qui, des années après son décès, règne toujours en maître sur la sociologie de la Ville Lumière, « (…) propose une théorie de la pratique à partir d’habitus, mais encadrée par des champs traversés par des conflits, alors que la sociologie de Touraine est plus centrée sur la subjectivation de l’acteur (…) » (p. 324).
Trois grands sociologues québécois ont aussi droit à la reconnaissance de Lévesque : Fernand Dumont, Marcel Rioux et Guy Rocher. Ils sont vus comme des marqueurs de la Révolution tranquille : dans le domaine de la culture pour Dumont, celui des arts pour Rioux et, bien sûr, celui de l’éducation pour Rocher (p. 328). Selon Lévesque, deux approches suscitent l’engagement et ouvrent des perspectives. D’abord, une sociologie critique s’en prend à la déconstruction occasionnée par le laisser-faire. S’y ajoute une sociologie des mouvements sociaux mettant en évidence la diversité des actions collectives et l’importance des orientations sociétales (p. 345). C’est sur ces mots, non dépourvus d’espoir, que se termine cet entretien exhaustif.
Jeunes et moins jeunes apprécieront particulièrement ce grand tableau sur l’évolution de l’économie sociale depuis 1996. En août de cette année, la marche « Du pain et des roses » organisée par le mouvement des femmes a beaucoup attiré l’attention; Lévesque ne manque pas de le souligner. Cet ouvrage montre l’implication et la reconnaissance de Lévesque à l’égard des acteurs qui ont contribué à faire de l’économie sociale autre chose que le parent pauvre de l’économie québécoise.