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Contrairement à certains de ses contemporains, François-Xavier Garneau est resté bien vivant dans la mémoire collective québécoise. Cependant, il a laissé plus de traces que ce qui avait été étudié jusqu’à présent. Depuis un moment déjà, on entendait Patrice Groulx parler de son projet de recherche sur l’historien du 19e siècle lors de colloques et de conférences. Le projet massif arrivé à son terme étend notre connaissance collective sur cet homme de lettres, cet historien, qui a marqué son époque. Cette biographie, à la fois attendue et nécessaire, retrace en parallèle la vie personnelle et familiale de Garneau, ses réussites et ses ambitions d’homme de lettres, ancrées dans le contexte bas-canadien de l’époque. C’est avec un plaisir évident – et une plume quelque peu romantique qui aurait fait rougir Garneau lui-même – que Groulx raconte les origines de l’historien. Dès le premier chapitre, il nous fait entendre les « grincements de scie » et « les coups de mailloche » des chantiers navals de Québec (p. 21). L’auteur adopte ainsi un ton qui tranche avec la sobriété habituelle de ce type d’études très fouillées.
La qualité de la recherche est incontestable. De manière convaincante, Groulx raconte la vie de Garneau avec beaucoup de détails : des informations intéressantes sur les lectures de l’historien et sur sa relation avec de nombreux notables et politiciens patriotes et réformistes, parmi lesquels Papineau, Lafontaine, les deux Viger et « le bouillant » O’Callaghan. À bien des égards, la vie de Garneau suit les aléas de l’évolution politique et culturelle du Bas-Canada. De poète romantique nationaliste aux abords des Rébellions, il se résout à un certain pragmatisme quand il devient historien du Canada et greffier de la ville de Québec. Comme nous l’apprend Groulx, Garneau reste toute sa vie admirateur de l’intègre Louis-Joseph Papineau, même s’il se rend à l’intelligence calculatrice de Louis-Hyppolite Lafontaine et des réformistes comme beaucoup de ses compatriotes.
Groulx offre également une vue saisissante de la vie personnelle de Garneau, principalement sa quête de notoriété et d’élévation sociale et les aléas financiers des Garneau. Armé de son talent et de son ambition, l’historien a laissé derrière lui la pauvreté de son enfance, même s’il a légué des dettes importantes à sa succession. Il n’est jamais devenu riche, mais Garneau possède à la fin de sa vie un actif qui dépasse largement celui de son père.
Le lecteur est frappé par l’affection profonde qu’entretient Groulx avec son objet. C’est en admirateur de Garneau que l’auteur le dépeint comme un libre-penseur armé d’une ambition sans limites, insoumis au clergé catholique, écrivant par moment malgré une critique publique impitoyable. L’ouvrage n’a pas le même ton critique que les précédentes monographies de Patrice Groulx, notamment Les Pièges de la mémoire dans lequel il décape le mythe de Dollard des Ormeaux et lance quelques pointes à l’autre Groulx, Lionel de son prénom.
La plus grande qualité de cette biographie est d’offrir un éclairage nouveau sur des sujets récurrents dans l’historiographie québécoise. Je note en particulier les détails sur la réaction à la première édition de l’Histoire du Canada, publiée entre 1845 et 1847, qui est ici exposée avec maitrise. Groulx raconte efficacement le projet de Jacques Viger (1787-1858) de torpiller l’Histoire en collaboration avec des intellectuels cléricaux, dont Jean-Baptiste-Antoine Ferland, grand rival de Garneau. On savait que l’Histoire avait reçu un accueil plus que tiède de la part des milieux cléricaux et « cléricophiles », mais jamais ces débats n’ont été racontés avec autant de précision grâce au recours à la correspondance privée. De même, les détails sur les motivations de Garneau à publier son Abrégé d’histoire du Canada, une démarche essentiellement commerciale ayant éreinté l’historien, viennent enrichir notre connaissance du milieu de l’édition scolaire, sur lequel on a beaucoup écrit sans toujours avoir les idées bien claires.
Si la recherche de Groulx se démarque souvent par sa précision, elle manque parfois de perspective transversale. Beaucoup d’historiens ont plaidé pour une compréhension globale de l’oeuvre garnélienne, l’inscrivant dans les contextes international et impérial. On pense ici en particulier aux hypothèses d’Yvan Lamonde dans François-Xavier Garneau : Une figure nationale. Or, Groulx tend à se limiter à l’univers des patriotes et des réformistes du 19e siècle sans vraiment offrir une contextualisation latérale de la vie de l’homme et de son oeuvre. C’est à travers les voix d’Étienne Parent et de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau que Groulx explique le rapport Durham, par exemple, sans jamais vraiment s’attarder au contexte impérial ou à la complexité des idées qui y sont exprimées. De même, on est surpris du traitement express accordé à Michel Bibaud (1782-1857), l’auteur d’une synthèse d’histoire du Canada en deux volumes publiée avant celle de Garneau. Il ne semble pas mériter un paragraphe entier puisque son Histoire du Canada est dépeinte comme une « plate succession d’événements » (p. 97). Un examen de l’oeuvre de Bibaud aurait pourtant permis de relever des prises de position originales, prenant le contrepied d’un autre historien du Canada, William Smith fils.
François-Xavier Garneau : Poète, historien et patriote étend notre savoir sur un récit dont on connaissait déjà les grandes lignes : fils de famille pauvre, Garneau, a porté sur ses épaules le grand projet de l’Histoire du Canada dans une quête de notoriété à la fois personnelle pour lui-même et collective pour les Canadiens. Cependant, cette biographie n’offre pas une perspective fondamentalement nouvelle sur l’oeuvre ou sur l’homme, en partie parce que la lecture patriote et réformiste des événements y est réaffirmée. Le lecteur trouvera donc une étude fouillée qui cherche jusque dans les poèmes de Garneau les mystères de sa pensée : une étude méritoire et bien écrite qu’on lira avec plaisir. Une maitrise plus large des contextes culturels et politiques aurait cependant donné à l’ouvrage la couleur originale qui lui manque quelque peu.