Notes critiques

Relire Fernand Dumont : voix interprétatives de l’oeuvre d’un herméneute Julien Goyette, Temps et culture. Fernand Dumont et la philosophie de l’histoire, Québec, Presses de l’Université Laval, 2017, 251 p.Daniel Poitras, Expérience du temps et historiographie au XXe siècle. Michel de Certeau, François Furet et Fernand Dumont, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2018, 301 p.Serge Cantin, La distance et la mémoire. Essai d’interprétation de l’oeuvre de Fernand Dumont, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019, 392 p.[Notice]

  • Jacques Palard

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Fernand Dumont a construit son parcours de vie et sa pensée sur un double socle. Son itinéraire est avant tout indissociable de son origine familiale, de son enfance et de son adolescence à Montmorency, de sa classe sociale, de sa génération, de sa foi chrétienne, de ses convictions politiques, mais les étapes de sa réflexion ont aussi constamment puisé aux meilleures sources de la pensée sociologique, historique et philosophique. C’est à l’entrecroisement de ces deux lignes de vie qu’a été conçue et développée une oeuvre que l’on peut légitimement tenir pour inspirante, une oeuvre également marquée par l’interdisciplinarité, eu égard à la large palette des savoirs qui s’y trouvent mobilisés. La bibliographie établie en 2007 à l’initiative de la Chaire Fernand-Dumont pour la culture comporte, dans le seul registre proprement universitaire, une vingtaine d’ouvrages, une quinzaine de directions d’ouvrages, quelque 160 articles de revues scientifiques, culturelles et générales et environ 80 contributions à des ouvrages collectifs et à des actes de colloques (Harvey, Séguin-Noël et Verreault, 2007). C’est l’oeuvre d’une vie féconde, et qui continue de porter fruit. Les trois ouvrages dont tente de rendre compte leur lecture croisée forment comme un bouquet d’interprétations nées, chacune, d’un objectif ou d’un projet spécifique, mais qui ont en commun de mettre en valeur les enjeux toujours actuels de la pensée de Dumont : l’hommage rendu par Serge Cantin à celui qui fut son maître, la recherche doctorale en philosophie de Julien Goyette et l’analyse de Daniel Poitras, également dans le cadre d’une thèse de doctorat, en histoire et civilisations, sous forme de comparaison transatlantique entre Dumont et deux historiens français. Ces interprétations sont des « traductions », si l’on convient que comprendre c’est avant tout traduire en ses propres mots (Rancière, 2009, p. 108). Ce qui paraît fonder l’oeuvre de Dumont, qui fait volontiers appel à l’approche psychanalytique, c’est moins une enquête qu’une quête personnelle : celle de l’intelligibilité de l’histoire humaine, démarche qui conduit à une investigation des médiations sociales et politiques aptes à combiner valeurs communes et sauvegarde de la conscience critique. C’est dire que Dumont est à lui-même, en bonne part, son propre objet d’analyse : ses travaux peuvent en effet être lus à la lumière d’une approche protéiforme qui vise à percer le mystère et l’énigme qu’il représente, mais dont l’objectif est aussi, dans le même mouvement, de faire partager ses interrogations et son interprétation. En ce sens, on peut percevoir en lui la figure d’un prophète qui prend conscience de sa vocation non seulement d’intellectuel engagé, mais aussi de relais, de médiateur, d’interprète de la référence. Sa mission – son rêve? – serait dès lors de susciter une communauté des interprétants et une herméneutique collective de la culture par la mise en chantier d’une anthropologie de l’interprétation. Dumont reconnaît – fût-ce de façon implicite – l’exercice de cette fonction lorsqu’il affirme que « quelqu’un qui ne s’appuie pas sur le passé solide, […] ce n’est pas un prophète, c’est un utopiste au mauvais sens du terme. […] Le prophète, lui, rappelle de vieux engagements qui nous impliquent en profondeur, qui nous ramènent aux racines les plus solides » (Dumont, 1976, p. 148). Citant ce passage, empreint d’évocation biblique, Julien Goyette souligne que le prophète, loin d’annoncer une destinée inédite, « préserve l’historicité de la vie humaine en invitant à poursuivre aujourd’hui une oeuvre d’hier » (p. 203), à la façon d’un « continuateur », s’il est vrai que, comme le suggère Paul Valéry, « nous entrons dans l’histoire à reculons », ou, comme l’observe Tocqueville dans …

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