Résumés
Résumé
Les finances publiques sont un enjeu important pour tout gouvernement. Leur contrôle est essentiel pour assurer la pérennité et l’efficacité de l’action gouvernementale. Au Québec, différents acteurs contribuent au contrôle des finances dans les organisations publiques. Cette étude de cas exploratoire cherche à savoir si trois de ces acteurs – l’audit interne, le Contrôleur des finances et le Vérificateur général –, travaillent ou non en synergie. Il en ressort que les deux premiers travaillent en silo, tandis que le troisième fait régulièrement intervenir les deux autres durant ses missions. Un renforcement de leur collaboration serait un moyen d’amélioration de la performance gouvernementale.
Mots-clés:
- collaboration,
- Québec,
- audit interne,
- finances,
- contrôleur,
- vérificateur général,
- organisme public
Abstract
Public finances are an important issue for any government, and control of finances is essential to ensure the sustainability and effectiveness of government action. In Quebec, various actors contribute to financial control in public organizations. This exploratory case study seeks to determine whether or not three of these actors – the internal audit, the financial comptroller and the auditor general – work in synergy. We determined that the first two work in silos, while the third regularly involves the other two during its missions. Strengthening their collaboration would be a way to improve government performance.
Keywords:
- collaboration,
- Quebec,
- internal audit,
- finance,
- controller,
- auditor general,
- public agency
Corps de l’article
Le Nouveau management public (NMP) a donné une plus grande marge de manoeuvre aux gestionnaires publics, mais a aussi renforcé les mécanismes de contrôle et d’imputabilité (Hood, 1991; Aucoin, 2011). La volonté d’améliorer la performance des organismes autonomes devait être accompagnée d’instruments permettant de mesurer celle-ci et d’un éventail de moyens devant assurer la bonne utilisation des finances publiques (Bourgault et Marsolais, 2002; Duboiset al., 2015). Le Québec n’a pas échappé à cette tendance. Différents règlements et lois ont été adoptés ou amendés, et des organismes créés afin de tenir compte de ce nouveau paradigme de gestion publique qu’est le NMP (Fortier, 2010). Avec la prémisse qu’ils devraient être plus éloignés du pouvoir politique, les différents types d’organismes publics se caractérisent entre autres par une autonomie de gestion et un financement étatique (Bernier et Farinas, 2011). La gestion des finances publiques étant un enjeu capital pour tout gouvernement qui se veut responsable, le Québec a mis en place un système de gouvernance et de contrôle favorisant la performance de ses organismes publics. Dans ce système se trouvent entre autres l’audit interne, le Contrôleur des finances et le Vérificateur général (VGQ). Ces trois organes ont des responsabilités en matière de contrôle des finances publiques. Nous nous questionnons sur l’harmonisation de leurs responsabilités vis-à-vis des organismes publics. Comment l’audit interne, le Contrôleur des finances et le VGQ travaillent-ils dans les organismes publics pour assurer une bonne gestion des finances publiques? Fonctionnent-ils en collaboration ou en silo? Nous en savons très peu sur le sujet, et la présente étude cherche à combler cette lacune.
Dans sa description des contrôles de l’administration publique, Tremblay (2011) met l’accent sur le fait que l’audit interne et le Contrôleur des finances font partie des contrôles internes, tandis que le VGQ est chargé du contrôle externe au moyen des audits. Si les responsabilités de chacun des organes sont suffisamment décrites, l’argumentaire demeure règlementaire et normatif. L’empirie est absente. Roussy (2013; 2015) apporte un brin de lumière sur la relation réelle entre l’audit interne et le VGQ. Au moyen d’interviews réalisées auprès d’auditeurs internes de l’administration publique du Québec, l'auteure fait ressortir que la coordination des travaux et la négociation des rapports du VGQ font partie des fonctions de l’audit interne pour protéger leurs organisations. Le Contrôleur des finances et le VGQ ont également accès aux travaux de l’audit interne en cas de besoin, conformément à leurs lois constitutives. Contrairement à ce qu’énonce Tremblay (2011), le Contrôleur des finances fait partie des contrôles externes des organismes publics. Ces études permettent d’entrevoir le fonctionnement mutuel de l’audit interne et du VGQ, mais le rôle du Contrôleur des finances n’est pas explicité. De manière générale, le travail du Contrôleur des finances au sein des organismes semble entouré d’un mystère. Des ouvrages de référence sur les contrôles dans l’administration publique ne font que mentionner le Contrôleur des finances comme organe responsable de la comptabilité et de l’intégrité de l’information financière du gouvernement, alors qu’ils traitent plus en détail des contrôles législatifs (voir p. ex. Michaud, 2011; Crête, 2014; Tremblay, 2016). Bélanger (2000) fait d’ailleurs un compte rendu très critique d’un de ces ouvrages. Enfin, évaluant l’évolution de l’exercice de contrôle dans l’administration publique canadienne, Caron (2020) montre que les mécanismes mis en place par le gouvernement, prônant la souplesse dans les contrôles (par exemple, la gestion axée sur les résultats ou les codes éthiques), sont plus contraignants que flexibles.
L’objectif de cette étude exploratoire est de fournir un aperçu concret du fonctionnement de ces trois entités de contrôle dans un organisme public. Il est nécessaire de se pencher sur le sujet, car l’objectif de performance exige une gestion rigoureuse des ressources : éviter le gaspillage et augmenter la rentabilité. Les enjeux de coordination de l’action gouvernementale en vue d’améliorer l’efficacité sont également présents dans cet objectif de performance (Bourgault et Smits, 2020). Au moment où la société exige plus de transparence et d’efficacité du gouvernement (Dahler-Larsen, 2011), les moyens de contrôle ne doivent pas être des symboliques de mise en ordre (Power, 1997), mais plutôt des instruments efficaces de performance gouvernementale.
L’étude de cas se base sur des données de questionnaires et d’entrevues avec un analyste principal du Contrôleur des finances, un fonctionnaire ayant une connaissance approfondie du fonctionnement du VGQ, trois comptables et deux auditeurs internes d’un organisme public du Québec. Les résultats démontrent l’absence d’interaction entre l’audit interne et le Contrôleur des finances. Cependant, le VGQ est très présent dans les travaux des deux premiers. Il audite les comptes publics élaborés par le Contrôleur des finances, et peut commander la transmission de toute forme d’information ou de rapports des auditeurs internes.
Les rôles de chaque organe sont brièvement présentés dans la première partie. La deuxième partie explicite la méthode adoptée, tandis que la dernière expose et analyse les résultats de l’étude de cas.
Les garants des finances publiques
Le système global de gouvernance de l’administration publique renferme plusieurs mécanismes et agents de contrôle des finances publiques, allant des institutions publiques aux citoyens. Nous nous concentrerons ici sur trois entités ayant un pouvoir d’intervention direct dans les organismes publics au Québec.
L’audit interne
L’audit interne assure la maitrise des risques d’une organisation par l’évaluation des systèmes de contrôle, de gouvernance et de management des risques (IIA, 2017). Il « contribue à la surveillance du secteur public en fournissant aux hauts dirigeants et aux comités d’audit l’assurance que leurs systèmes et pratiques de gestion sont bien conçus et fonctionnent efficacement » (Abela et Mitchell, 2014, p. vi). C’est une fonction de soutien à la gestion axée sur les résultats, qui participe à la performance gouvernementale (SCT, 2014, p. 40). À la différence des autres fonctions de contrôle dans les organisations, l’audit interne évalue les procédures et systèmes. Il n’est pas recommandé qu’il intervienne dans l’opérationnel. C’est le contrôle de troisième ligne, le contrôle des contrôles (Visscher et Petit, 2002) ou le contrôle du contrôle interne (Renard, 2013). Bien que l’audit interne soit parfois considéré comme une illusion de contrôle ou une fonction de rationalisation (Tremblay et Malsh, 2012; Bezès et Musselin, 2015), il s’est bien implanté dans l’administration publique québécoise et se positionne comme outil participant à la saine gestion des organisations (Nonki Tadida et Daigneault, 2020).
Selon la directive sur l’audit interne du gouvernement du Québec (art. 35), les travaux d’audit interne couvrent différents champs d’activité dont la conformité, l’assurance d’une gestion efficace et efficiente des ressources ainsi que l’évaluation de la fiabilité et l’intégrité de l’information (notamment celle contenue dans les rapports annuels de gestion – RAG). Les RAG contiennent à la fois des informations non financières et des informations financières. Les informations financières sont enregistrées dans le système comptable du gouvernement, qui est le domaine d’expertise du Contrôleur des finances.
Le Contrôleur des finances
Le Contrôleur des finances est une entité rattachée au ministère des Finances. Il est le garant de l’intégrité du système comptable gouvernemental. Ses principales responsabilités sont d’assurer la fiabilité des données financières enregistrées dans le système comptable et de veiller au respect des normes, principes et conventions comptables (Tremblay, 2011). La gestion financière est encadrée par plusieurs lois au Québec. La Loi sur le ministère des Finances - LMF (L.R.Q. c.M-24.01), la Loi sur l’administration publique - LAP (L.R.Q. c.A-6.01) et la Loi sur l’administration financière - LAF (L.R.Q. c.A-6.001) sont entre autres celles qui confèrent des pouvoirs d’exercice au Contrôleur des finances.
En vertu du chapitre III de la LMF, le Contrôleur des finances a pour responsabilités de « préparer, pour le ministre, les comptes publics et tout autre rapport financier du gouvernement » (art. 19). De même, la LAF confère au Contrôleur des finances la possibilité d’offrir des services-conseils, du soutien et des formations aux ministères, organismes et entreprises du gouvernement dans son domaine de compétence (art. 21); et d’exiger, de toute personne qui en a la garde, la possession ou le contrôle, tout document, livre, registre, compte, dossier ou renseignement relatif aux opérations et affaires financières (art. 22). La LAP exige des gestionnaires publics le respect des règles de transparence et d’imputabilité conformément aux principes du NMP. Les exigences faites au ministre de tenir un registre des engagements financiers, de procéder à leur enregistrement dans le système comptable du gouvernement (art. 14 et 24 de la LAF) et de produire un RAG (art. 24 de la LAP), en pratique remplies par les dirigeants d’organismes, en tant que responsables de leurs procédés internes de gestion (Hurley, 2005; Abela et Mitchell, 2014).
Afin d’assurer la fiabilité de l’information financière, le Contrôleur des finances a mis en place divers contrôles. Selon le manuel de contrôle interne à l’égard de l’information financière (CIIF) pour les entités du secteur public,
(u)n de ces contrôles est l’obtention et l’examen des attestations des dirigeants des entités du secteur public quant aux responsabilités concernant la fiabilité de l’information financière produite et l’intégrité de leur système d’information.
CIIF 2014, chapitre1 art. 021, p. 12
Les attestations reçues par le Contrôleur des finances sont la preuve de la responsabilité des sous-ministres et dirigeants d’organismes à l’égard de leur système de contrôle, et servent à la préparation des états financiers consolidés. En plus des attestations,
…(d)’autres contrôles sont aussi effectués par le Contrôleur des finances. À titre d’exemple, des analyses des données financières enregistrées au système comptable du gouvernement sont effectuées afin de s’assurer que les données sont exemptes d’anomalies significatives. Des interventions sont aussi réalisées dans les entités du périmètre comptable pour s’assurer qu’elles sont mises en place un système de CIIF adéquat.
CIIF 2014, chapitre1 art. 025, p. 13
Les responsabilités de l’audit interne et du Contrôleur des finances se rencontrent au niveau du contrôle interne.
En effet, le contrôle interne vise dans un sens restreint la bonne comptabilisation des opérations pour éviter les erreurs et les fraudes, et dans un sens plus large l’examen de l’ensemble des procédures d’une organisation en vue de l’amélioration de sa performance (Mikol, 2018). Dans la dynamique du NMP, le contrôle interne, bien qu’existant déjà dans les organismes publics, a pris davantage d’importance (Pigé, 2017; Eun et Pupion, 2019). Le contrôle interne est ainsi un élément fondamental de l’environnement de contrôle de toute organisation, quels que soient sa taille ou son secteur d’activité (Schicket al., 2002). C’est un processus mis en oeuvre par le haut management et les collaborateurs d’une organisation pour fournir une assurance raisonnable quant à la réalisation d’objectifs liés aux opérations, à la conformité et la reddition des comptes (COSO, 2013). Bien qu’il s’intéresse à tous les aspects de l’organisation pour l’atteinte de ses objectifs, la fiabilité et l’intégrité de l’information comptable et financière sont les objectifs principaux du contrôle interne (Cappelletti, 2006).
Pour circonscrire à l’intérieur du contrôle interne le champ qui lui est propre, le Contrôleur des finances a développé le manuel du contrôle interne à l’égard de l’information financière afin de « fournir une assurance raisonnable que l’information financière est fiable et que les états financiers ont été établis, aux fins de la publication de l’information financière, conformément au référentiel d’information financière applicable » (CIIF, 2014, chapitre 2, art. 028). Si le Contrôleur des finances se limite à la fiabilité et à l’intégrité de l’information financière, l’audit interne quant à lui doit assurer la fiabilité de tout type d’information, financière comme non financière (Roussy, 2013). En effet, l’audit interne surveille en permanence l’efficacité des procédures du contrôle interne afin de les améliorer (Schicket al., 2002; Mikol, 2018).
Ainsi, le contrôle interne est la principale zone de travail du Contrôleur des finances, et c’est également la finalité de l’audit interne. Dans la définition de l’audit interne comme activité qui évalue les processus de gouvernance, de gestion des risques et de contrôle (Québec - Directive sur l’audit interne, 2021), le contrôle interne en est l’un des processus fondamentaux. Au terme de l’année financière, les informations financières enregistrées permettent au Contrôleur des finances de produire les états financiers consolidés. Ces derniers sont audités par le VGQ.
Le Vérificateur général du Québec
Le VGQ est un agent public indépendant issu du Parlement. Il est chargé de veiller à l’intégrité et à la bonne gestion des finances publiques au moyen des audits réalisés : les audits de conformité, les audits de performance et les audits financiers. Ce sont des audits externes, qui apportent la certification que les lois sont mises en oeuvre, que les procédures mises en place sont adéquates, qu’elles respectent les normes et répondent aux besoins de l’organisation (Pigé, 2017), mais aussi du gouvernement. Les rapports d’audit du VGQ sont divulgués et médiatisés. La Loi sur le Vérificateur général (L.R.Q. c.V-5.01) confère à ce dernier des pouvoirs d’enquête et l’accès à toutes les personnes et tous les documents dont il a besoin dans l’exercice de ses fonctions.
Dans le cadre des audits financiers, le VGQ donne son opinion sur les états financiers établis par le Contrôleur des finances; c’est-à-dire qu’il indique si, à son avis, les états financiers consolidés sont fidèles à la situation financière du gouvernement (art. 38 et suivants). Dans le cadre des audits de conformité ou de performance, le VGQ est notamment en relation avec l’audit interne de chaque organisme. Il est d’ailleurs perçu comme l’organe de contrôle le plus menaçant par les auditeurs internes, car ceux-ci le considèrent comme l’évaluateur de leur travail (Roussy, 2013, p. 563). Ils doivent donc réaliser correctement leurs travaux pour que le VGQ n’ait pas à noter des manquements. Les résultats d’audits de performance du VGQ semblent être mieux acceptés par les audités, contrairement aux perceptions des gestionnaires ayant été confrontés à ce type d’audit (Morin, 2000). Dans son rapport de 2016 sur l’optimisation de la fonction d’audit interne au Québec, le VGQ réclamait toutefois plus d’interactions avec les équipes d’audit interne afin de faciliter la planification des audits. Cette collaboration sera aussi utile pour réduire les coûts des audits externes (Roussy et Perron, 2018).
De cette brève présentation, il découle un lien théorique et légal, mais disparate, entre ces trois organes de contrôle. D’une part, le contrôle interne rassemble l’audit interne et le Contrôleur des finances qui semblent travailler en étroite collaboration à la fiabilité des informations financières. L’audit interne validerait la fiabilité des informations à l’intérieur de l’organisme, et le Contrôleur des finances agirait en seconde instance pour revalider la fiabilité et l’intégrité de ces informations financières. Il est important de préciser que les organismes autonomes[1] sont les premiers responsables de l’élaboration de leurs états financiers (article 89 de la Loi sur l’administration financière). On peut donc supposer que le contrôle de première ligne est effectué au sein de l’organisme par l’unité compétente. D’autre part, les états financiers du gouvernement mettent en relation le Contrôleur des finances et le VGQ : le premier élabore les états financiers consolidés, et le second les audites. Le VGQ agit ainsi comme véritable contrôle externe du gouvernement. Enfin, les audits réalisés dans les organismes sous-entendent une interaction entre le VGQ et l’audit interne, concernant la mise en place des meilleures pratiques de gestion et leur amélioration. Les comités d’audit interne jouent également un rôle essentiel en interaction avec le VGQ, notamment dans l’examen de leurs rapports et des états financiers (art. 44 de la directive sur l’audit interne du Québec). Qu’en est-il en situation réelle?
Méthode
L’étude de cas unique est fondée sur trois entrevues, trois questionnaires détaillés et un échange d’informations réalisés de novembre 2019 à janvier 2021. Deux entrevues ont été effectuées avec des auditeurs internes et une avec un comptable d’un organisme public[2]. Chaque entrevue a duré en moyenne trois quarts d’heure. Une entrevue prévue avec l’analyste principal du Contrôleur des finances n’a pu être réalisée, car ce dernier était en cours de changement de poste. Il a cependant accepté de remplir un questionnaire explicitant son rôle en relation avec l’organisme. Deux autres comptables de l’organisme ont également rempli des questionnaires. Ces derniers ont été conçus et les réponses analysées à partir de Google Formulaires; ils étaient anonymes et spécifiques à chaque catégorie de participants. L’échange d’informations a été fait par appel (via Teams) avec un fonctionnaire maitrisant les règles de fonctionnement du VGQ. Pour faciliter l’analyse et protéger l’identité des participants, les deux auditeurs internes interviewés ont été codifiés A1 et A2. Ces derniers exercent depuis sept années en moyenne au sein de l’organisme. Les comptables ont été codifiés C1, C2 et C3. Ils exercent dans l’organisme depuis huit années en moyenne. Le fonctionnaire a été codifié F et possède près d’une dizaine d’années d’expérience dans la fonction publique québécoise. L’organisme comptait au moment de l’étude sept auditeurs internes et trois comptables.
La méthode d’étude présente toutefois quelques limites. Premièrement, il aurait été souhaitable de mener une entrevue avec l’analyste principal du Contrôleur des finances, car les réponses au questionnaire n’étaient pas assez explicites pour permettre une compréhension suffisante du mécanisme d’intervention de cette instance dans les organismes, et de lever le mystère entourant son fonctionnement concret au sein des entités gouvernementales. Ensuite, deux auditeurs internes sur sept ont participé à l’étude, ce qui donne un taux de participation de 28 %. Ce taux peut paraitre réduit, mais nous pensons avoir obtenu les informations essentielles. De même, le rôle du comité d’audit dans le processus de contrôle n’a pas été analysé. Enfin, l’étude se limite à un cas unique. Il n’est pas assez représentatif des organismes publics au Québec et de leur collaboration avec les agents de contrôle; c’est pourquoi nous la considérons comme une étude exploratoire. Les différences de fonctionnement dans les organismes sont également des éléments à prendre en compte, notamment en ce qui concerne la taille des organisations (effectif du personnel, unités décentralisées, etc.) ou le volume de leurs opérations. L’organisme à l’étude ici est un organisme de grande taille avec une clientèle de plusieurs millions de personnes.
L’agrégation de l’ensemble des informations recueillies démontre que, dans la pratique, le Contrôleur des finances et l’audit interne fonctionnent en silo. On remarque surtout la forte présence du VGQ, mais aussi le rôle essentiel des comptables dans l’ensemble du processus du contrôle des finances.
Résultats et discussion
Processus d’intervention du Contrôleur des finances
Suivant les prérogatives qui lui sont conférées par les lois, le Contrôleur des finances intervient dans les organismes de différentes manières : contacts par courriels directs, rencontres physiques au besoin. Les discussions téléphoniques sont fréquentes afin de diffuser, de demander des informations ou des documents spécifiques. Les principaux interlocuteurs du Contrôleur des finances dans l’organisme sont les comptables, avec lesquels il communique au moins une fois par semaine (selon 100 % des comptables), ou une fois par mois (selon l’analyste principal du Contrôleur des finances). Ces échanges servent, d’après les comptables, à « leur expliquer des écarts dans nos coûts de programmes et dans le cadre du processus de clôture mensuel, ceci pour chaque type de comptes de dépenses » (C3); pour la « reddition de comptes » (C2); à « avoir des éclaircissements sur les états financiers mensuels, … » (C1).
Les comptables ne sont pas unanimes sur la question de savoir quelle est l’entité responsable du contrôle des finances de l’organisme. Pour C1, c’est l’organisme lui-même avec la collaboration du Contrôleur des finances et du ministère responsable. Pour C2, c’est le Contrôleur des finances et le ministère responsable. Pour C3, c’est le Contrôleur des finances uniquement. Il faut préciser que l’organisme autonome relève du ministre et non du ministère associé. La responsabilité du ministre envers l’organisme n’est pas clairement définie en matière de contrôle financier. Cependant, considérant que tout ministre dont un organisme relève a un rôle à jouer dans les finances de cet organisme (p. ex. les transferts de crédits), la précision de ce rôle serait bénéfique non seulement dans le cadre de l’imputabilité, mais aussi pour harmoniser et améliorer le travail à effectuer par chaque acteur de contrôle.
En pratique, le contrôle financier est effectué principalement au moyen des fichiers MicroSoft Excel élaborés par le Contrôleur des finances et dont les comptables doivent remplir des données chiffrées pour expliquer les écarts (C3). Ces fichiers sont remplis manuellement, ce qui expose à des erreurs, surtout dans la manipulation des grandes valeurs où un seul chiffre omis peut faire une grande différence. En tenant compte toutefois des coûts attachés, une automatisation du système de contrôle pourrait être la bienvenue, à la responsabilité du Contrôleur des finances, et au bénéfice de toutes les entités dont il effectue le contrôle de la gestion financière. Le moment actuel est propice, notamment avec le virage numérique engagé par le gouvernement.
Concernant les états financiers, ils sont préparés mensuellement et consolidés annuellement par les comptables. Le Contrôleur des finances effectue des contrôles sur ces états financiers mensuels et annuels par poste de dépenses, afin de s’assurer du respect des normes comptables notamment. Ces contrôles excluent malheureusement l’organe interne de contrôle qu’est l’audit interne.
Contrôleur des finances et audit interne
Les auditeurs internes confirment, de même que l’analyste principal du Contrôleur des finances, qu’aucune collaboration n’existe entre ces deux organes. S’il est vrai que le Contrôleur des finances a accès aux rapports des auditeurs internes (Roussy, 2015), ce pouvoir n’est pas valorisé. En pratique dans cet organisme, les deux organes n’échangent aucune information, ni sur le contrôle des informations financières enregistrées, ni sur les rapports de contrôle, et encore moins sur les audits financiers.
Pour A1, l’audit interne n’a pas de responsabilité en matière d’information financière. À notre avis, cette affirmation ne saurait être prise au premier degré. Comme souligné par A2, au cours de la validation des informations contenues dans le RAG, les auditeurs internes peuvent être amenés à contrôler des données ou factures relatives à divers programmes, lesquelles sont des informations à caractère financier. La responsabilité de l’audit interne concernant l’information financière dont parle A1 concerne uniquement les états financiers. En effet, les auditeurs internes des organismes publics ne réalisent pas d’audits financiers (confirmé par A1 et A2). Tout audit relatif à la vérification des états financiers relève de la responsabilité du VGQ. Les auditeurs internes peuvent effectuer des audits de performance, des vérifications ayant un caractère financier comme dit précédemment (p. ex. contrôle des dépenses liées à un programme, gestion contractuelle), mais ces vérifications ne constituent pas un audit des états financiers. C’est pourquoi, même si la déclaration attestant la fiabilité des données du RAG signé par le dirigeant d’organisme stipule que « les résultats présentés ont été évalués quant à leur plausibilité et ont fait l’objet d’une mission d’examen de la direction de l’audit interne », le rapport de validation de la direction de l’audit interne précise bien : « à l’exception des états financiers, dont la responsabilité de l’audit est confiée au Vérificateur général du Québec ».
Ce fonctionnement, défini légalement selon la loi constitutive de l’organisme, est assez particulier. Car, sachant que toute opération en entreprise ayant une incidence financière aura un impact sur les états financiers, le rôle de l’audit interne est somme toute amoindri et pourrait être davantage mobilisé. Si A1 ne voyait aucun problème dans ce fonctionnement (puisque conforme à la loi), A2 proposait à ce sujet de faire intervenir l’audit interne afin qu’il travaille en collaboration avec le service chargé de la préparation des états financiers au sein de l’organisme et avec l’analyste du Contrôleur des finances. Ce travail ne sera pas une intrusion dans les opérations comme certains peuvent le penser (car l’audit interne ne devrait pas intervenir dans l’opérationnel), mais il doit être considéré comme le contrôle de troisième ligne qu’il est réellement, avant que n’intervienne le contrôle extérieur réalisé par le Contrôleur des finances. Aussi, ce sera une utilisation judicieuse du titre de Comptable Professionnel Agréé que certains auditeurs internes arborent. Ce fonctionnement pourrait également servir à réduire les interventions (appels ou rencontres pour justifications) du Contrôleur des finances et lui permettre de se rendre davantage utile dans les autres ministères et organismes où l’expertise de l’audit interne ne permet pas de faire ce type de contrôle au préalable.
Il est aussi important de préciser, comme l’a signifié C3, que « l’audit interne valide – et non audite – le rapport annuel de gestion ». Cette subtilité entre validation et audit est importante pour révéler la place du VGQ dans l’ensemble du processus.
Rôle du Vérificateur général
Nous considérons le VGQ comme la plaque tournante du contrôle de l’information financière. Les équipes du Vérificateur demeurent dans les établissements de l’organisme six mois par an pour effectuer des travaux, soit la moitié de chaque année. Leur travail est essentiel compte tenu du volume important de fonds publics que mobilise cet organisme particulier au bénéfice des Québécoises et Québécois.
Les travaux du Vérificateur au sein de l’organisme impliquent autant les comptables, les auditeurs internes, que le Contrôleur des finances. Selon F, « le principal lien entre le VGQ et le Contrôleur des finances est un lien d’auditeur à audité puisque le VGQ audite les états financiers consolidés du Gouvernement du Québec (les comptes publics), lesquels sont préparés par le Contrôleur des finances ». Pour les comptables, le VGQ ne fait appel à eux « que pour obtenir des informations requises pour ses propres travaux et analyses ». Ceci est confirmé par les comptables. Selon C3, ils répondent aux questions du VGQ pour toute demande de pièces justificatives, de factures, écritures du journal, procédures, fiabilité des enregistrements, « le bon montant au bon moment et dans le bon compte ». Quant aux auditeurs internes, ils sont coordonnateurs du processus d’audit des états financiers (C3), et veillent au suivi des recommandations du VGQ (A1 et A2). Selon F, la collaboration du VGQ et des auditeurs internes « se limite généralement à un accompagnement ou à une liaison vers les acteurs clés de l’organisation, ou à l’obtention des travaux d’audits menés par les auditeurs internes ». Ils sont « la porte d’entrée du VGQ dans l’organisme, des facilitateurs, les courroies de transmission ».
Le système de collecte des informations du VGQ entre les auditeurs internes et les comptables a sans doute ses avantages, une sorte de triangulation pour assurer la fiabilité des informations reçues. Cependant, si les auditeurs internes effectuent, comme proposé plus haut, un contrôle des informations financières contenues dans les états financiers en amont, avant leur transmission au Contrôleur des finances, ce dernier et le VGQ pourraient se limiter aux auditeurs internes comme intermédiaires principaux pour les justifications des écritures, et ne plus aller jusqu’aux comptables pour ces demandes, à moins de situations particulières, étant entendu que le VGQ audite d’autres aspects du travail de notre organisme. Une partie non négligeable du travail effectué par les comptables étant manuelle (saisie des chiffres, écritures du journal, élaboration des fichiers Excel, etc.), ce transfert de responsabilités pourrait assurer un gain de temps et d’efficacité.
⁂
Malgré le principe du NMP qui prône plus de flexibilité et d’autonomie des managers publics, les mécanismes mis en place par les gouvernements semblent avoir apporté plus de rigidité et de contrôle (Caron, 2020). Cependant, ces mécanismes jouent un rôle essentiel pour assurer la conformité des opérations aux lois et améliorer la gestion des finances publiques dans les organismes québécois. L’audit interne, le Contrôleur des finances et le VGQ ont des responsabilités définies, distinctes et complémentaires. Le cas de l’organisme étudié permet toutefois de constater que la notion d’État pluraliste (Osborne, 2010) n’est pas encore mise à profit, notamment en ce qui a trait à la collaboration et à la coordination de plusieurs processus pour atteindre des objectifs communs. Cette collaboration serait bénéfique, car elle permettrait notamment une augmentation du degré d’efficacité des opérations de contrôle, en relevant particulièrement l’importance de l’audit interne.
En effet, l’audit interne est sous-utilisé et pourrait être renforcé. En collaboration avec le Contrôleur des finances, il serait nécessaire que l’audit interne effectue un contrôle a priori des informations financières liées aux états financiers. En lien avec le VGQ, les travaux de l’audit interne sont déjà très utiles, mais peuvent encore être améliorés au niveau du suivi des recommandations, dont l’influence n’a pas toujours l’impact souhaité (Taft, 2016). Une étude empirique approfondie est souhaitable, notamment pour faire en sorte que l’audit interne soit considéré comme l’interlocuteur principal des contrôleurs externes dans les organismes. Les auditeurs internes sont-ils prêts à accepter, et outillés pour remplir, cette responsabilité? Liston-Heyes et Juillet (2020) montrent déjà dans leur étude que la responsabilité des auditeurs internes en matière de transparence et de divulgation des informations n’est pas largement acceptée. À court terme cependant, une automatisation des services comptables serait utile afin de faciliter et accélérer le travail de ces derniers.
Enfin, spéculant sur la possibilité que la relation entre le Contrôleur des finances et l’audit interne fonctionne de façon identique dans tous les organismes autonomes, rien ne porte à croire que c’est bien le cas dans les ministères et autres entités du périmètre comptable gouvernemental. Dans certains organismes, la fonction d’audit interne est soit absente, soit existante mais avec des ressources limitées. L’opérationnalisation des activités du Contrôleur des finances dans ces autres entités serait d’un grand bénéfice pour la communauté scientifique concernant la gouvernance des organisations, et aussi pour les professionnels en exercice chargé du contrôle financier, dans le cadre de l’amélioration continue des pratiques.
Parties annexes
Note biographique
Eriole Zita Nonki Tadida est doctorante en science politique et membre du Centre d’analyse des politiques publiques (CAPP) de l’Université Laval. Ses intérêts de recherche sont axés sur le management public, les contrôles et audits dans l’administration publique. Sa thèse porte sur le rôle des institutions supérieures de contrôle dans la lutte contre la corruption. Avec P.-M. Daigneault, elle a publié « L’indépendance des auditeurs internes dans l’administration publique du Québec », dans Revue Gouvernance/Governance Review, 17-1 (2020).
Notes
-
[1]
Un organisme autonome est un organisme créé par loi ou décret, dont la majorité des dirigeants est nommée par le gouvernement ou un ministre; une partie de son financement provient de l’État et ses activités sont relatives à un secteur des services publics. Voir Bernier et Farinas (2011) pour plus de détails. Le terme réfère dans cet article aux organismes autres que budgétaires.
-
[2]
L’organisme public a requis l’anonymat.
Bibliographie
- Abela, Carmen et James R. Mitchell, 2014 L’optimisation du pouvoir de l’audit interne dans le secteur public, Projet de recherche, IAI Canada.
- Aucoin, Peter, 2011 « The political-administrative design of NPM », dans: T. Christensen et P. Laegreid (dir.), The Ashgate Research Companion to New Public Management, Farnham, UK, Ashgate, p. 33-46.
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