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En sciences sociales des religions, on connaît de mieux en mieux la diversité religieuse qui travaille la société québécoise. La prégnance d’un attachement culturel au catholicisme malgré un certain essoufflement chez les générations montantes a aussi été documentée et mise en évidence, notamment par les travaux d’E-Martin Meunier et de ses collaborateurs. Mais encore trop rares sont les études qui s’intéressent à la religiosité et à la spiritualité des enfants issus du baby-boom québécois (1943-1965), de manière à faire un pas de côté par rapport à la « mythistoire » de la Grande Noirceur (cf. texte de Boucher), et de manière à éclairer la teneur du rapport – non-dit – au catholicisme qui, malgré tout, persiste, jusque dans les générations subséquentes, à tel point qu’on peut parler d’« un véritable lien de transmission intergénérationnelle » (p. 143) malgré des écarts par ailleurs marqués.
C’est le mérite de cet ouvrage que de travailler à combler cette lacune. Il le fait, d’une part, à partir d’une approche méthodologique attentive à la « religion vécue » (p. 4-21), qui est transversale au propos et nous semble conséquente par rapport à l’objectif visé. Concrètement, l’ouvrage fait référence de façon constante à des récits de vie – les mémoires – d’individus issus de cette génération, dont on a pris soin de préciser les aspects démographiques et socioculturels (dans le premier chapitre d’Ignace Olazabal). Ces récits ont été récoltés au cours d’une recherche ethnographique menée par l’équipe de Géraldine Mossière. L’ensemble des auteurs y ont eu accès, même s’ils ne s’y réfèrent pas tous au même degré. D’autre part, l’ouvrage ne perd de vue ni les débats récents autour de la laïcité (le texte de Burchardt), ni l’ensemble des recherches qui explorent les recompositions du religieux au Québec, que ce soit la diversité croissante du fait religieux dont la vitalité demeure partiellement « cachée » car tabou (le texte de Meintel), l’émergence des sans religion (le texte de Wilkins-Laflamme), ou encore l’évolution du rapport des Québécois au catholicisme (voir le chapitre signé par Meunier, Perreault et Wilkins-Laflamme). Il en résulte un ouvrage cohérent qui évite l’écueil de l’éclatement dans lequel tombent trop d’ouvrages collectifs.
Les chapitres écrits par les chercheurs débutants de la nouvelle génération sont ceux qui exploitent le plus directement le corpus de récits qui forment l’arrière-plan de l’ouvrage. Le texte de Guillaume Boucher situe ainsi le catholicisme des enfants issus du baby-boom québécois par rapport à la modernité religieuse « classique » (p. 119). S’il en reprend plusieurs éléments caractéristiques – critique des institutions et de ses représentants, affirmation d’une religiosité pèlerine, mobile dans ses appartenances et centrée sur l’expérience individuelle –, il s’en distingue aussi en soulignant l’émergence d’une « modernité de responsabilité » (p. 120-123). De son côté, Isabelle Kostecki explore la persistance de la ritualité et son déplacement dans la sphère de l’intimité. On voit bien alors comment le catholicisme demeure présent, mais suivant un horizon religieux qui s’est considérablement élargi. Julia Itel explore elle aussi cette diversité, mais de manière à cerner l’émergence d’une conscience « écosophique » sensible au développement spirituel et personnel, à l’engagement social – notamment des femmes – et qui semble s’être « infiltr[ée] à plusieurs niveaux de la société québécoise » (p. 183). Le témoignage d’un intervenant en soins spirituels – Pierre Alexandre Richard – vient clore de façon toute concrète et originale le portrait de la religiosité des baby-boomers qui, lorsqu’ils sont confrontés à la maladie ou à la possibilité de la mort, repensent à leur vie, à celle de leurs parents, et discutent bien souvent de religion. Une brève postface signée par Valérie Aubourg apporte quelques éléments de comparaison avec le cas français.
Si le catholicisme est bien présent dans cet ouvrage, nous aurions aimé qu’il le soit encore un peu plus, ne serait-ce que pour donner davantage de chair à cette mémoire qui persiste par-delà la baisse évidente de la pratique traditionnelle. Par exemple, mis à part quelques références disparates à Dieu ou à Marie, que reste-t-il des représentations de la foi catholique? A-t-on rejeté en bloc l’entièreté du « dogme » véhiculé par le petit catéchisme, jusqu’à ne plus se référer – ou presque – à Dieu, à son Esprit, à Jésus, au Christ, ou encore à l’horizon d’une résurrection ou d’un accomplissement amorcés ici-bas et non plus réservés à l’au-delà ? Et si on rejette le dogme, comment le fait-on, en lien avec quels éléments des récits de vie? La mémoire du catholicisme et de certaines de ses figures conduit-elle des baby-boomers à poser un regard critique sur leur propre participation à l’émergence d’une société de consommation, ou pas ? Mais dans la mesure où cet ouvrage semble annoncer d’autres écrits, notamment de la part de sa directrice, nous ne saurions reprocher aux auteurs de ne pas avoir répondu à ces questions