Le titre se veut fidèle au travail de l’autrice : donner accès à la parole de femmes vivant dans la période précédant le développement de l’industrie touristique dans la région charlevoisienne entre 1940 et 1980. Dès les premières pages, Bouchard situe la nécessité ressentie par plusieurs familles rurales d’adopter une diversité d’activités économiques afin d’assurer leur subsistance. Cette exigence de pluriactivité devient l’élément central du livre : faire face aux impératifs de la vie quotidienne pour des femmes devenues seules responsables de l’organisation familiale et, par extension, de la communauté, dans une région rurale du Québec où les mobilités géographiques temporaires des hommes sont un phénomène structurant. En réponse à la pauvreté des matériaux donnant accès à la quotidienneté des femmes rurales qu’elle étudie, la chercheuse opte pour une série d’entretiens auprès de celles dont la vie a été modelée durablement par la mobilité temporaire masculine. Cette méthode contribue à valoriser la parole des femmes au coeur de leur propre histoire. L’ouvrage est divisé en trois parties, chacune d’elles étant l’occasion de développer un aspect particulier de la réalité abordée. Il est d’abord question des caractéristiques propres à la région charlevoisienne du point de vue de la subsistance des familles; cette partie propose un portrait géographique de la région. Les deuxième et troisième chapitres offrent un plus grand intérêt. Ils abordent respectivement l’espace familial, en mettant en lumière les différentes tâches et fonctions qui incombent aux femmes pendant l’absence de leur conjoint, et l’espace communautaire et les liens sociaux qui se créent pendant ce temps. Les témoignages recueillis par la chercheuse confirment la division genrée des pratiques de la vie de tous les jours. Les femmes se rappellent les nécessités qu’impliquait la prise en charge de la bonne marche de la maison : cuisiner pour des tablées nombreuses, veiller à la propreté de la maison et des vêtements, coudre et tisser, tenir une gestion serrée des finances familiales. De la sorte, Bouchard dresse un portrait convaincant, et pas si fréquent, de la quotidienneté des femmes rurales québécoises. Les personnes interviewées ont été témoin de la transition d’une économie de subsistance vers l’économie de marché, transition qui a eu pour effet d’alléger les tâches des femmes, grâce notamment à la consommation de produits finis. Le projet annoncé par Marie-Pier Bouchard d’étudier les conditions d’existence de celles « qui restent » est attaqué de front à partir des deux tiers du livre. La mobilité géographique des hommes entraîne inévitablement une complexification du partage des tâches au sein des familles touchées. La chercheuse observe dans le discours des femmes que cette adaptation n’est pas perçue comme une action militante visant une transformation sociale liée à la division sexuelle des tâches. Les femmes relatent cette période où elles devaient « jouer l’homme » comme une contrainte provoquée par les exigences de leur situation particulière. Le matériel recueilli valide en outre un trait qui colle à la représentation de la femme rurale idéale dans la littérature : leur force (Yolande Cohen). Ici, la pensée de Tzvetan Todorov sur la question de l’altérité est mobilisée pour faire la démonstration de l’assignation identitaire de la « femme rurale forte » intériorisée par les Charlevoisiennes, lesquelles finissent elles-mêmes par se présenter en ces termes. Enfin, c’est l’importance de l’ancrage communautaire qui émerge du discours des participantes. Par exemple, la parenté représente un premier espace de solidarité chez les femmes dont les conjoints migrent temporairement pour le travail. Dans une moindre mesure, les associations féminines agissent comme lieu de sociabilité. Surtout, c’est l’enracinement des femmes à leur village qui intéresse. « Si les hommes se retrouvent déchirés entre deux …
Marie-Pier Bouchard, Vivre au coeur de « paroisses de femmes » dans la région de Charlevoix 1940-1980, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019, 161 p.[Notice]
…plus d’informations
Karina Soucy
Université Laval
karina.soucy.1@ulaval.ca