Comptes rendus

Darryl Leroux, Distorted Descent. White Claims to Indigenous Identity, Winnipeg, University of Manitoba Press, 2019, 296 p.[Notice]

  • Jean-Philippe Warren

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Dans cet ouvrage fouillé et passionnant, Darryl Leroux explore l’invention opportuniste, depuis une vingtaine d’années, d’une identité autochtone chez des Québécois francophones. Les cas récents d’appropriation controversée d’une identité autochtone par des personnes oeuvrant notamment dans les domaines politiques et scientifiques rendent l’analyse à laquelle se livre Leroux d’autant plus importante. Certes, d’autres études ont porté sur le même phénomène dans les autres provinces canadiennes ou aux États-Unis, mais il semble que le mouvement soit encore plus prononcé au Québec qu’ailleurs, comme le montre la progression spectaculaire du nombre de personnes qui se disent autochtones dans les recensements. Leroux commence son ouvrage (dont certains de ses articles parus donnaient déjà un aperçu) en précisant un fait simple, qui est pourtant source de confusion considérable : si seule une poignée de femmes appartenant aux groupes autochtones se sont mariées avec des colons français dans la vallée du Saint-Laurent, leurs descendants sont aujourd’hui légion à cause du très petit bassin de population initial. En d’autres termes, la douzaine ou quinzaine d’intermariages que l’on peut répertorier au moment de l’établissement de la Nouvelle-France n’empêche pas la moitié des Québécois francophones actuels de pouvoir se réclamer d’une origine autochtone. Alors que les sujets d’origine française représentaient 97,7 % de la composition ethnique de la colonie en 1760, et les sujets d’origines autochtones seulement 0,4 % (le reste se répartissant entre divers pays européens), l’absence à peu près complète de mariage avec des membres des premières Nations par la suite n’a pas empêché les Québécois de devenir de plus en plus métissés. L’énorme majorité des Québécois ayant une ancêtre autochtone quelque part dans la plus lointaine génération n’avait jamais, jusqu’au début du nouveau millénaire, mis en avant cette filiation. Or, ce sont maintenant des dizaines de milliers de personnes qui s’autoproclament autochtones au Québec, sans appartenir à une nation reconnue. Que s’est-il passé pour que l’on assiste à une telle refondation identitaire? Pour Leroux, la réponse est claire : le phénomène d’indigénisation des Québécois francophones découle bien davantage d’un déplacement des politiques de blanchitude (whiteness) et de suprématisme blanc (white privilege et white supremacy) que d’une véritable quête de racines autochtones. Favorisées par l’arrêt Powley (2003), qui trace un chemin vers la reconnaissance de communautés métisses en dehors des Prairies et des territoires, les revendications des Québécois francophones qui se prétendent autochtones sont d’abord liées à un détournement du concept de Métis. On croit que le simple fait d’avoir du « sang indien » suffit à asseoir une identité autochtone et justifier un radical  race shifting , c’est-à-dire le passage rapide d’une identité ethnique à une autre. Leroux souligne que le glissement du terme « métissé » (ceux et celles ayant plus d’une origine ethnique) à celui de « Métis » (ceux et celles appartenant à un groupe constitutionnellement reconnu) s’opère dans la plus confondante méconnaissance de l’histoire des peuples autochtones et sans avoir personnellement subi aucun des terribles sévices infligés aux Premières Nations. Trois stratégies de race shifting sont mises en oeuvre. La stratégie  lineal : des personnes se trouvent quelque part dans leur généalogie une ancêtre autochtone, laquelle, pour n’être qu’un nom parmi 2 000 ancêtres, devient la référence fondatrice et tutélaire de leur nouvelle identité. La stratégie aspirational : des personnes indigénisent une ancêtre en lui attribuant à tort une identité autochtone et en l’affiliant, selon les circonstances, à diverses nations (abénakie, wendate, algonkine). La stratégie  lateral : » des personnes font de la présence dans leur arbre familial d'un ancêtre en ligne collatérale la base de leur identité autochtone : elles argueront, par exemple, que le fait …